Pour Halloween, quoi de mieux que de découvrir les aventures d’une mignonne petite sorcière ? Guillaume Bianco nous entraîne dans un univers aussi poétique qu’étonnant avec Comment Mélissandre la petite sorcière découvrit le secret du bonheur. A l’occasion de la sortie de son album le 29 octobre 2021, il nous a parlé de sorcières, de bouddhisme et… d’élan du cœur !
Est-ce que, comme pour Pixar, tes albums (Billy Brouillard, Zizi chauve-souris) se déroulent tous dans le même univers ?
Je ne sais pas quoi répondre. La réponse non-officielle c’est que je ne sais pas dessiner grand-chose : je n’ai pas envie de dessiner de voitures, de villes. Ça ne m’intéresse pas. Alors du coup je dessine un peu toujours les mêmes choses : des arbres, des herbes et des forêts. Peut-être que certains auteurs réfléchissent vachement en amont à où ils vont établir leur histoire. Moi je ne réfléchis pas à tout ça. Je dessine vraiment ce qui me passe par la tête. Je n’ai pas réfléchi à l’univers. Il s’est un peu imposé de lui-même. Mais, merci pour la comparaison avec Pixar. C’est vrai que c’est toujours un peu les mêmes univers : j’aime bien quand il n’y a pas de date, je n’aime pas trop les univers contemporains…
Tu remercies Lewis Trondheim au début de l’album… Peux-tu nous parler davantage de ton travail sur cet album ?
Pour Mélissandre, au début, il y a un petit avis pour les lecteurs, pour annoncer que c’est en fait du dessin fait au jour le jour ! Comme ça ! Avec Lewis Trondheim on se challenge un petit peu la bourre. J’étais chez lui pour le premier de l’an de je ne sais plus quelle année, j’ai pris un carnet et j’ai fait un dessin comme ça, le genre que l’on fait au téléphone, sans trop réfléchir. Je me suis dit « tiens, je vais en faire un par jour », comme une petite gymnastique, comme certains font des pompes. Pendant que je dessinais, cette petite sorcière revenait souvent. J’ai essayé de garder le rythme d’un dessin par jour quoi qu’il arrive et je les mettais sur Instagram.
Je ne pensais pas faire un album au départ. J’ai fait un dessin par jour et après une histoire s’est dessinée. D’ailleurs si on regarde les premiers dessins, ce n’est pas la même petite sorcière ! Après j’ai trouvé une astuce, j’ai dit qu’elle était allée voir sa cousine. Concrètement, un jour, je dessine le petit oiseau qui va se faire écraser la tête. Le jour d’après je prends ma feuille blanche, je regarde le dessin que j’ai fait la veille. Tiens, il s’est pris un coup de massue sur la tête, bon bah un fantôme va sortir de son corps !
Au bout de 365 dessins, une fois que je les avais postés sur Instagram, je me suis dit « c’est quand même sympa, y a un univers… ». Il suffisait juste de relire mes dessins. Là, il y a un truc un peu schizophrène : les mots apparaissent et illustrent les dessins. J’ai bien aimé cette méthode de travail. On nous apprend à faire un scénario, une première mouture, une deuxième, ensuite à faire un storyboard, de mettre au propre... Ça m’ennuie ! Je l’ai longtemps fait. Ça a fait ses preuves : tous les grands scénaristes travaillent comme ça. Mais j’aime bien le côté automatique. Des écrivains écrivent comme ça, ils se mettent à leur ordinateur, sans savoir qu’ils vont se faire embarquer par leur histoire. Avec Mélissandre, j’ai essayé de le faire. J’ai rajouté du texte après et je trouve que ça fonctionne bien. Quand je raconte une histoire de façon traditionnelle, je prends un peu moins de plaisir.
C’est impressionnant que tu n’aies pas eu besoin de refaire des dessins pour compléter ton histoire au moment de la mettre sous forme d’album ! Tu n’en as pas refait un seul ?
Audrey Latallerie, l’éditrice de Little Urban, m’a dit qu’il faudrait enlever quelques dessins pour la narration ou en intervertir certains. Mais elle a été super à l’écoute. Je lui ai dit que j’aimerais vraiment ne refaire aucun dessin ». Même si je me suis dit « ça, c’est mal dessiné » - y a des dessins qui sont vraiment mal-foutus. Mais non, il faut les laisser comme ça. C’était dans la spontanéité du moment.
Il a fallu trouver des astuces parce que des fois j’aurais aimé qu’il y est tel dessin avant pour expliquer ceci ou cela. Mais j’ai dit à Audrey « on rajoute aucun dessin. On les laisse tel que ça a été fait ». Il doit y avoir une raison pour qu’ils soient comme ça. La seule chose qu’on a rajoutée, c’est la première de couverture et les pages de chapitre. Je crois beaucoup en l’instinct, en l’improvisation, à quand tu ne résonnes pas. Dans tous les arts ou même dans le sport à haut niveau, c’est comme ça. Le pianiste en concert même s’il a répété ses gammes pendant des jours et des années, quand il est sur scène il s’oublie complètement. Il ne réfléchit plus à ce qu’il fait, dans une espèce de moment parfait. Bon, évidemment, je n’en suis pas là avec les dessins, mais c’est ça que je cherche.
Le dernier, tome de Billy Brouillard, c’est un peu le même procédé, même si c’était un peu plus écrit. J’avais une intention de départ, sa petite sœur disparait au début, et je savais à peu près comment ça allait finir. Mais au milieu je ne sais pas du tout ce qu’il y a. Et hop, j’improvise, je me balade avec lui. Je complexe un peu de cette forme d’écriture : les grands scénaristes ils reviennent sur leur copie. Ils placent des pièges scénaristiques, des indices… Moi il n’y a pas tout ça : je ne sais pas faire du tout !
Tu as un goût certain pour les sorcières, le monde des monstres et des fantômes, quelles sont tes inspirations ? D’où te vient ce goût ?
Les monstres c’est bien parce que tu peux un peu dessiner n’importe quoi. Les sorcières j’aime bien parce que ce sont des petites filles mignonnes et parce qu’elles sont facilement reconnaissables, avec un gros chapeau pointu. Je n’ai pas une passion particulière pour les sorcières si ce n’est qu’historiquement ce qu’on appelait les sorcières, c’était des rebouteuses ou, dans la culture païenne, des chamans avec un rapport privilégié à la nature. Quand il y a eu l’inquisition en Europe, notamment en France, les sorcières, les chamans du coin, les vieilles qui faisaient des potions qui connaissaient les plantes et qui comprenaient le rythme des saisons, ont été diabolisées. Parce que ça faisait partie d’une culture païenne qu’il fallait balayer. L’inquisition a dit qu’elles avaient des relations avec le diable, qu’elles volaient sur des manches à balais…
D’ailleurs je ne sais pas si tu connais la petite histoire des sorcières sur un manche à balais ? C’est quelque chose qui m’avait plu. On les représente souvent sur un manche à balais et elles volent dans les étoiles. Et j’ai appris que, notamment en Provence, je ne sais pas si ça se faisait dans d’autres régions de France, il y a une plante vachement commune qui est vénéneuse et qui une fois pilée permet de faire un onguent, une pommade. Les sorcières le mettaient sur un manche à balais pour se le mettre sur les muqueuses vaginales. Elles « enfourchaient » le manche à balais. Ça leur montait à la tête : la substance allait directement dans les muqueuses et elles avaient des visions chamaniques, donc elles allaient dans les étoiles. C’est pour ça qu’on représente la sorcière à cheval sur un balai qui va dans les étoiles. La métaphore qui se cache derrière la pratique est assez jolie.
Aujourd’hui les gens commencent à comprendre que s’il n’y a pas de retour à la nature, on va droit dans le mur. Les sorcières étaient connectées à la nature. Donc j’ai une petite tendresse pour les sorcières même si les sorcières que je dessine ne sont pas vraiment celles qui ont existé. Mais bon, il y a quand même un lien. Je pense que les miennes sont plus proches du sens originel, proches de la nature, et pas au sens diabolique où elles fréquentent le diable.
Quels sont les défis liés au fait de parler de sujets graves et sérieux, comme la mort et le bonheur, dans un livre jeunesse ?
J’ai toujours le cul entre deux chaises. Après je me saoule un peu : c’est toujours un peu nian nian, cette recherche sur le bonheur. Après c’est les obsessions, c’est ce qui m’obsède, ce qui m’intéresse. Après c’est toujours les grandes phrases un peu débiles, qu’est-ce qu’on fait là, pourquoi ? La mort personne n’en parle, tout le monde fait comme si ça n’existait pas. Qu’est-ce que c’est ? Je suis allé vraiment fouiller là-dedans, vraiment trouver des réponses. Ça me passionne. Par contre c’est difficile d’en parler sans rentrer dans des croyances, la religion. Comme on ne sait pas comment en parler, on en parle qu’à moitié. Le bonheur, la joie, la vie, la mort et l’amour c’est les sujets fondamentaux. Tous les jours, on cherche à être bien, à être aimé et à aimer. On travaille pour ça, on élève des enfants pour ça. J’ai l’impression que tout le monde tourne un peu le dos à ces grandes questions et ça m’embête. On perd les tenants et les aboutissants de la vie.
Avec Billy Brouillard et avec Mélissandre, ça ressort toujours. Comme c’est dur d’en parler sans être maladroit, j’adopte un discours un peu naïf. Donc ça peut s’apparenter à de la BD jeunesse, mais en même temps le discours est lourd. Les parents n’aiment pas trop montrer ça à leurs enfants. Ça plait aux enfants mais ça effraye un peu les parents. C’est vrai que Mélissandre est classée BD jeunesse mais je ne sais pas qui le lira. Dans les grands salons BD, souvent les parents me demandent « c’est pour quel âge » et moi je dis « je n’en sais rien ! » A partir du moment où il n’y a pas de scènes pornographiques, les enfants peuvent tout voir.
Tu as un dessin doux mais tu dessines des scènes très dures !
Les contes de fée regorgent de ça. Les livres des Frères Grimm sont quand même gores : dans le Petit Chaperon Rouge, on ouvre le ventre du loup, la grand-mère en sort ! Même Harry Potter, qui est pour moi un conte de fée moderne, c’est dur. Ses parents se font assassiner… C’est très violent parce que J.K Rolling ne prend pas ses lecteurs pour des imbéciles. C’est aussi très naïf, presque du livre jeunesse. Le lecteur grandit avec le héros et au quatrième tome, il commence à y avoir des morts. Il ne faut pas préserver les enfants : la mort fait partie du quotidien.
Je vivais à la campagne, et j’ai trouvé mon chat mort quand j’étais petit, ça m’a marqué, c’était un cap initiatique. Je n’ai pas de fascination particulière pour les cadavres ! Il n’y a pas si longtemps on veillait encore les morts sur les tables de la cuisine, on buvait un coup avec eux et le lendemain on allait les enterrer. Aujourd’hui on ne voit même plus les cimetières, ils sont placés à l’extérieur des villes. Il y a une peur de tout ça. Je trouve que c’est assez malsain de préserver les enfants, en fait ce n’est pas les préserver du tout ! Il faut leur expliquer ce qu’est la vraie vie.
J’ai fait un truc naïf avec Mélissandre : l’oiseau meurt en se faisant taper sur la tête. Ça peut paraitre violent, mais c’est comme Guignol. Je ne me voyais pas faire une petite sorcière qui fait des bisous à tout le monde pendant deux cents pages. Il faut qu’il y ait un drame. Et une scène n’est jamais aussi drôle que si elle est à côté d’une scène triste. Et inversement. La violence ne sera jamais aussi violente que si elle apparait dans la douceur. J’aime bien les contrastes. C’est marrant que tu trouves mon dessin doux, il y a une certaine douceur mais aussi une noirceur, une espèce de violence. C’est difficile de parler de ses dessins… Je fais quelque chose de mignon mais avec un trait noir.
Le chapitre « Quand l’élève est prêt, le maitre arrive », est très philosophique…
Oui c’est un peu initiatique. Billy Brouillard, le tout premier, c’était plus la peur de la mort. J’ai un peu évolué depuis… Tu trouves que c’est philosophique, je dirais plus que c’est un cheminement spirituel ! Mais je ne peux pas m’empêcher de trouver ça naïf. C’est dire des poncifs du type « sois présent ». C’est à la mode, mais heureusement ! Pour moi, c’est essentiel. Ce sont des trucs qu’on entend tellement que ça perd du sens. Après c’est un truc connu « quand l’élève est prêt, le maître arrive », on peut le comprendre dans plein de sens. Quand on est prêt à entendre un enseignement, quand on est alerte, on va croiser quelqu’un, on va voir une publicité qui va répondre à notre question. On appelle ça « la réciprocité ». C’est complètement fou.
« Quand l’élève est prêt, le maitre arrive » ça veut aussi dire que l’élève quand il est attentif, il s’élève au rang de maitre, il se réalise. Ça rejoint tous les courants bouddhiques qui considèrent qu’on est tous éveillés mais qu’il y a un voile d’illusions sur nous et qu’il suffit de l’enlever. Les bouddhistes considèrent qu’on est déjà des maitres mais qu’on croit qu’on ne l’est pas. Il faut s’enlever un système de croyances qu’on s’est mis dans la tête. Mon bouquin survole ça parce que je m’y intéresse. C’est spirituel mais c’est un bien grand mot, j’ai toujours peur que ça soit naïf !
Tu as des projets futurs ?
J’ai longtemps été frustré de ne pas être riche, du coup je cherchais à faire des trucs qui allaient cartonner. Ça fait un moment que je fais de la BD et j’ai toujours fonctionné comme ça. Mais ça ne m’a jamais rendu heureux. Je me projette dans l’utilitaire, je sais qu’il me faut de l’argent pour payer mon loyer. Je vais faire des histoires courtes pour le magazine Manon. Mais je ne cherche plus les grands projets. Je me laisse aller. Il faut se laisser porter par ce que certains spirituels appellent « l’élan du cœur ». C’est bête ce que je dis, mais ou tu écoutes ton cœur ou tu écoutes ta tête. La tête c’est pour le pratique, mais quand il y a un choix important à prendre, ton cœur peut avoir le dessus. Par exemple quand on choisit un appartement, la tête fait attention au prix, mais le cœur s’imagine vivre dans l’appartement. On va sentir tout de suite si ça nous plait : c’est ça l’élan du cœur. C’est pour ça que j’ai fait un dessin par jour.
D’ailleurs, depuis deux ans, je fais Inktober : un dessin par jour pendant le mois d’octobre sur des thèmes donnés. Comme je n’ai pas eu le temps de faire un dessin par jour pendant un an, j’ai sauté sur le concept et je me suis mis à faire des petits dessins. C’est disponible sur mon Instagram. Il y avait « corbeau » comme thème, et ça tombe bien ! Il y a aussi des thèmes comme « nœud » ou « pression »… Je fais un petit dessin que je colorie et que je poste sur les réseaux sociaux. Je les vends aussi. L’année dernière, j’ai donné la moitié de l’argent récolté à une association. Les gens sont supers enthousiastes et généreux. Ils proposent eux-mêmes un prix. Je joins l’utile à l’agréable. Une partie de l’argent cette année sera pour une association marseillaise qui s’occupe d’enfants qui ont le cancer. Une fois que j’aurai fait ces 31 dessins, je vais les vendre mais, auparavant, je vais les scanner. Je vais m’amuser à écrire une histoire comme pour Mélissandre. Peut-être que ça fera un petit livre…
Votre Avis