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Midam, un auteur au talent monstre

A l’occasion de la sortie du dix-septième tome de Kid Paddle, Tatoo compris, Midam expose ses œuvres à la galerie Huberty & Breyne. L’auteur aux 10 millions d'albums vendus a reçu Zoo et lui a fait découvrir son exposition, sa méthode de travail et ses projets artistiques peuplés de Blork. Suivez le guide !

Quelles ont été vos inspirations pour l’univers de Kid Paddle et ses Blorks ?

J’ai commencé au Journal de Mickey et Popop, le cousin de Donald m’a inspiré pour Kid. Au début quand je dessinais Kid, je positionnais les mains comme le cousin Popop, le poignet était toujours cassé avec les doigts tendus. Encore aujourd’hui j’ai tendance à dessiner les mains comme ça.

Après il y a eu Gaston comme inspiration. Et les monstres de Franquin. Ils étaient en enluminures sur les couvertures de Spirou dans les années 70-80. Ils me passionnaient. Ce sont ces petits monstres qui m’ont le plus marqué, ainsi que les gags de Gaston où il y avait un monstre. Et puis, bien après, il y a eu Bill Watterson avec Calvin et Hobbes. Il a aussi ce côté fantasmagorique avec des monstres, de temps en temps des extra-terrestres. J’ai fait un peu un mix de tout ça.

Les Blorks en eux-mêmes… Il faudrait que je vérifie mais je crois que je les ai faits en même temps que Kid. J’essayais de les placer n’importe où dans le magazine Spirou. Le rédacteur en chef m’a même calmé et m’a dit « ça ne sert à rien, arrête avec ces personnages-là, ça n’aboutira jamais à rien ». C’est bête que j’aie jeté le fax où il le dit ! J’ai revu Thierry Tinlot, le responsable de l’époque, et je lui ai dit dans la voiture : « qu’est-ce que j’aurais voulu garder ce fax ! Tu aurais été ridicule pour le restant de ta vie ».

© Midam, 2021

Au départ, les Blorks ont des yeux globuleux, la mâchoire prognathe et quelques dents qui dépassent. Mais en fait il y en a qui n’ont pas les yeux globuleux ou de dents dépassant. Un Blork c’est n’importe quel monstre qui apparait dans Kid. Quand on voit un de mes monstres, c’est un Blork. J’ai beaucoup de plaisir à les dessiner parce qu’on peut aller dans tous les sens. On a toute liberté. Il n’y a pas de codes. Ce n’est pas comme un personnage : Kid Paddle si on rate le nez, on doit le recommencer. Un Blork si tu rates un pustule, ce n’est pas grave. Il y a une liberté graphique énorme. C’est aussi pour ça que j’ai fait une adaptation des Blorks sur des toiles, de différentes formes, parce que j’ai des possibilités illimitées.

Est-ce que vous avez un bestiaire précis, certains Blorks qui reviennent ?

Oh oui ! Sur les pages de garde de Game Over, il y a 5 000 Blorks. On avait même fait un album « cherche et trouve » avec tous les Blorks et de temps en temps un petit personnage dedans.

Pourquoi « Paddle » ? Notre Kid ne fait pas vraiment de sports nautiques…

Au départ, le paddle c’est une palette sur les consoles méga-drive et Nintendo dans les années début 1990, avec une croix directionnelle d’un côté et de l’autre des boutons. Le paddle c’est un joystick plat. Mais quand j’ai tapé paddle sur Google j’ai eu quelques surprises. Il y a, je l’ai découvert, dans les clubs sadomasos des paddles, des planches matelassées de cuir pour pas faire mal et beaucoup de bruit. Mais Kid Paddle ce n’est pas du tout cette direction ! Et puis, bien après, il y a eu le paddle nautique. Et récemment j’ai fait une affiche pour un paddle club. Le paddle c’est un petit court de tennis avec des raquettes qui amortissent. C’est un mini tennis ou un grand ping-pong, quoi !

A un moment de votre carrière, vous avez été débordé par le travail (avec le début de la nouvelle série Game Over et les échéances de Disney). Vous n’avez pas eu trop de mal à prendre des assistants et déléguer une partie de votre processus créatif ?

Si, toujours. Le début est un peu compliqué, on se sent déposséder. Mais c’est à ce prix que l’on peut avoir une plus grande exploitation de l’univers. C’est aussi grâce à ça qu’on peut garder un rythme de production et une bonne qualité. Je me fais aider pour le dessin mais aussi pour les scénarios pour Game Over. Je choisis, je corrige, je reprends mais je me suis toujours dit que ce n’était pas grave si ce n’était pas moi qui trouvais l’idée. Le plus important c’est que le public rigole. Ce n’est pas moi qui dois signer tout le temps le truc. Si c’est ça, j’aurais fait un autre métier ou j’aurais verrouillé l’univers. Il y a plein d’auteurs, comme Franquin, qui ne veulent absolument pas qu’on touche à leur univers.

Et quand on voit les dernières choses que Franquin a faite, ça n’allait plus. S’il s’était fait aider dès le départ, son univers aurait continuer de se nourrir. Il avait des assistants, comme Christian Debarre l’auteur de Joe Bar. Il était tellement proche de ce que Franquin faisait. Et déjà, à l’époque Franquin ne savait plus dessiner comme ça. Si on parle de pérennité d’univers, je crois que savoir s’entourer est la bonne chose à faire.

On s’approche presque d’un atelier de mangaka avec vos assistants… Pensez-vous que ce type de structure va davantage se démocratiser dans la BD ?

Non. Il n’y a personne qui fait ça. J’ai fait un site en 2008 de collecte de gags. J’en ai reçu 30 000 (je les ai tous lu), mais je suis le seul à avoir fait ça. C’est compliqué, ça prend beaucoup de temps. J’en profite pendant les voyages, en avions ou en trains. Même en vacances j’essaye d’en faire une dizaine tous les jours. Mais c’est compliqué.

Il y a un bureau d’avocats qui a dû dresser un contrat extrêmement compliqué parce que c’est de la cession de droit mais sous forme de forfait, pas de droits d’auteurs. Le forfait est possible sous certaines conditions. Il faut tout signer. Il faut que ça soit des majeurs, donc quand ce sont des enfants, il faut la cosignature des parents.

Mais au final, je collecte des gags que je n’aurais pas trouvés sans qu’on me les envoie. De la même manière qu’on résout nos propres problèmes dans la vie, on va voir un psychologue ou on en parle à une amie, pour savoir ce qu’ils en pensent quand on est embrouillé. C’est pareil pour les scénarios, je vais toujours résoudre le problème scénaristique avec mon schéma mental. Alors que de temps en temps, un gamin m’envoie un truc et il a une vision tout à fait nouvelle de l’univers et du gag. C’est grâce à ça que Game Over marche aussi bien parce que c’est sans arrêt.

Bon j’en ai reçu 30 000 mais en réalité j’en ai acheté 200. Mais 200 c’est pas mal, ça fait 4 albums entiers uniquement faits par des amateurs. Et, dans le paquet, j’ai trouvé trois scénaristes qui le font régulièrement (dont un prof de maths !)

Dans les œuvres que vous exposez à la galerie Huberty & Breyne, il y a des toiles qui reprennent des références de la pop-culture américaine. On ne peut pas s’empêcher de voir du Banksy. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour ce passage à des œuvres hors BD ?

Banksy bien sûr. Mais il y a aussi des choses qui viennent de Giacometti. Je ne suis pas trop sculptures, mais plus peintures de Giacometti. J’ai adoré sa manière de travailler les portraits. Il charbonne très fort le visage et de temps en temps il y a des rehauts de blanc. Même si c’est très charbonné, c’est en même temps incomplet, il y a une certaine abstraction à l’arrière du personnage.

Il y a aussi Victor Hugo. On n’en parle jamais mais Victor Hugo était aussi dessinateur. Il travaillait à la brou de noix. Cette technique-ci c’est de la brou de noix. C’est une saleté… C’est une encre qui est complètement instable. On met l’encre, on dessine puis on met de l’eau. Et il va se passer ce qu’il va se passer ! ça va dans tous les sens. Il y a cet effet rayonnant, au niveau des mains, ici. Par contre en dessous les buildings, je les ai faits après sinon on n’aurait pas pu lire le dessin.

NBC I série New-Blork City, 2017

NBC I série New-Blork City, 2017 © Midam 2021

J’ai beaucoup aimé la libération du geste avec les œuvres hors BD. Pendant 25 ans, j’ai dessiné des formes et j’ai colorié à l’intérieur. Là, on se lâche complétement. Et puis la BD c’est hyper chronophage, c’est une semaine pour faire une planche, c’est long et lent. Et puis quand je vais faire mes courses avec mon caddie, je regarde du coin de l’œil le rayon librairie et je vois des enfants survoler les pages. Et je me dis « relis cette page ! Tu n’as pas vu tous les détails ! ». Il le fera sûrement chez lui s’il achète l’album… Alors qu’avec mes œuvres hors BD, ça va vite !

Il y a un éclatement des codes. Avec la BD, j’accompagne le lecteur, « tu vois la première case, ça commence ici, voilà, lis la seconde. J’ai fait un gros plan-là, donc tu dois lire ça. Lis bien le texte. » Je prends le lecteur par la main. Ici, c’est l’inverse, je demande aux gens « qu’est-ce que vous voyez ? ». Il y en a qui me disent des charbonnages, d’autres qui repèrent les toits de New-York. Et ce sont des gens qui ne connaissent pas les BD. On met ça dans des salons d’art contemporain ou chez des antiquaires, des vieux messieurs viennent voir de près et ils ne connaissent pas. Le galeriste dit : « vous ne connaissez pas Midam, c’est un auteur de BD, il a tout un univers ». Ils se disent « oui, peut-être que mon petit-fils connait, mais ça, là, j’aime bien ». Et ça me ravit. Parce que s’il avait dit « ah ! C’est du Kid Paddle. Alors, j’aime bien ». Non, c’est l’inverse. Et c’est tout nouveau pour moi. C’est un nouveau public à conquérir.

Toujours dans cette exposition, pourquoi des coquilles d’œuf ?

Les coquilles d’œuf c’est parce que c’est organique. Et il y a un côté organique chez les Blorks, j’avais besoin de quelque chose de vivant. Et je voulais justifier le fait que les Blorks ont des origines. Ce sont des fossiles que l’on a trouvés en Amérique, donc ils ont une existence réelle. J’ai toujours été attiré par les fossiles, par leur pérennité. Je n’aime pas trop les timbres-poste. Quitte à collectionner, je vais collectionner des pièces en métal, qui vont durer des milliers d’années. Un timbre-poste, il suffit d’un souffle pour qu’il disparaisse. J’avais besoin de ces fossiles pour asseoir le statut du Blork.

J’utilise de la gaze médicale pour faire les ailes du Blork. J’ai adoré faire ça. C’est très décoratif. J’ai pris des illustrations des Blorks et je les ai mis dans des simulations d’intérieur, comme quand on va chez Ikea pour choisir. J’ai mis mon tableau dans des intérieurs et à chaque fois je trouve que ça fonctionne, que ce soit un intérieur Louis XVI ou ultra moderne. Mais ce n’est pas facile à vendre : ce n’est pas lié directement aux albums, ce n’est pas un personnage connu. Mais c’est aussi ce qui m’intéresse, c’est un défi ! Les illustrations et la couverture vont être vendues, mais, là, j’ai un nouveau défi.

Après le tome 17 de Kid Paddle, Tattoo compris ; le tome 20 de Game Over, Deep Impact et un hors-série de Game Over, Attack of the Blorks ; quels sont vos projets futurs ?

Il y a encore tellement d’autres choses que ce que j’expose. J’ai acheté de la peinture phosphorescente récemment et j’en ai mis sur les coquilles d’œufs. En mettant trois, quatre, cinq couches on a un beau résultat. Donc je m’imagine faire une série dans une galerie. Mais le concept serait que la galerie soit complètement dans le noir. Cette idée m’est venue la semaine passée. Après une idée, en appelle d’autres. Il y a tellement de projets...

© Midam 2021


Du côté des Blorks en métal, on a arrêté à cause de la pandémie, mais je voulais faire une Blorkette. Le même avec des ongles, un nœud, des cils et une peinture plutôt pailletée comme une peinture d’auto-tamponneuse. Je suis sûr que ça marcherait parce que Kid a été adopté par la pop-culture. Par les tatouages (tous les jours des gens se font tatouer des Blorks), par les graphs. Je me dis qu’il n’y a pas ça avec Cédric, le petit Spirou… Kid Paddle c’est un univers en bonne santé.

Mais quand j’en parle avec l’éditeur il me demande ce qu’il peut en faire, il ne sait pas par où prendre cette donnée. Les jeunes de 20 et 25 ans n’achètent plus d’albums mais sont toujours marqués par Kid Paddle. Et quand ils me suivent sur les réseaux, ils me disent qu’ils se sont arrêtés au tome n°10 de Kid Paddle : et maintenant il y en a un dix-septième ! En passant par le hors BD je veux leur parler à eux. Sinon je devrais attendre 10 ans (et moi je n’ai pas le temps d’attendre) que ces jeunes aient des enfants et qu’ils leur achètent les albums. Ça va faire long ! Il faut que je lance ce genre de projets maintenant !

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