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Olivia Ruiz, romancière mise en bulles

La commode aux tiroirs de couleurs, adaptée du roman du même nom, sort le 3 novembre 2021. L’œuvre raconte l’histoire d’une jeune femme qui hérite d’une intrigante commode. Le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses tiroirs et dérouler le fil de la vie de sa grand-mère, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de sa famille de la dictature franquiste à nos jours. Olivia Ruiz revient pour nous sur l’adaptation de son roman en BD par Amélie Cause, Winoc et Véronique Grisseaux.

Comment s’est passé votre collaboration avec les dessinateurs, Amélie Causse et Winoc, ainsi qu’avec la scénariste Véronique Grisseaux ?

Ça été vraiment facile. Plein de plaisir. Winoc est un peu le parrain du projet puisqu’il est le plus expérimenté des deux dessinateurs. C’est le premier album d’Amélie Causse, une jeune femme qui a un talent fou, une écoute incroyable et la capacité à travailler avec enthousiasme tout le temps. Les dessinateurs me faisaient des crayonné avec le scénario de Véronique Grisseaux. Et puis je les corrigeais. On avait à peu près un rendez-vous en visio tous les quinze jours. Et je disais « à cet endroit cela ne va pas parce que Rita ne pourrait pas dire ça ». Ou, par exemple, « les filles ne sont pas du genre à s’effondrer en larmes comme ça ». C’était des réunions où on repassait toutes les pages qui avaient été crayonnées, puis les dessinateurs partaient sur la version définitive.

Rita, l'héroïne, est une femme forte

Rita, l'héroïne, est une femme forte © Grand Angle, éditions 2021

J'aime bien mettre mon nez partout mais quand même plus sur le contenu que sur le dessin. J'ai réécrit tous les dialogues. Parce qu’une fois que j'ai fait la tête à Toto, je suis au maximum de mes capacités de dessinatrice. Et encore elle n’est pas terrible cette tête à Toto ! J’étais dans l'incapacité de donner des indications si ce n'est dire « il leur faut des sourcils plus épais, n’oublions pas que ce sont des Espagnoles ». J’intervenais pour des petites choses comme ça.

Je me souviens qu’on a bien rigolé parce que le personnage de Raphaël, qui doit être extrêmement viril et bestial, avait des mains très efféminées. Alors je leur ai dit « Il vous fait rêver là, vous ? » C’est cliché, mais dans la tête d’une petite Espagnole des années 30, il faut que l’homme soit viril et même avec une forme de machisme, parce que c'est culturel. Donc, je ne suis pas sûre qu’il lui plaise s’il a sa petite main toute délicate. !

Ce récit est presque autobiographique. Qu'est-ce que ça vous a fait de vous voir dessinée ?

Il n'y a pas d'autobiographie dans La commode. J'ai écrit ce roman parce que j'avais besoin d'asseoir quelque chose malgré le silence familial sur mon histoire. Pour vous dire, j'ai appris il y a une semaine que ma grand-mère, Rita, avait vraiment fait la Retirada ! Mais, elle, elle ne peut pas en parler. C'est parce que je suis partie en Espagne voir des cousins que je l’ai appris. J'étais en train de dire à mon cousin : « quand tu lire mon histoire, ne t'en fais pas, tu ne retrouveras rien de personnel, à part les prénoms ». Et tout d’un coup, il me dit : « mais enfin ta grand-mère a vraiment fait la Retirada ». Il est le fils de la sœur de ma grand-mère. Et comme la sœur de ma grand-mère est repartie en Espagne, le lien avec ses origines est complètement différent.

Trois de mes grands-parents ont fui l'Espagne. Je ne sais pas exactement à quel moment, mais je sais qu’ils étaient des enfants. Et j’ai appris tout récemment, qu'effectivement une de mes grands-pères avait fait la Retirada. Pour ma deuxième grand-mère, je ne sais pas. Donc non, tout ça n'a rien d’autobiographique. Je n'ai jamais eu un demi-mot à l'oral, je n'ai jamais eu de lettre, je n'ai pas eu de commode… Je n'ai eu que des larmes à chaque fois que j'ai questionné mes grands-parents sur leur exil.

La Commode raconte la transmission mémorielle au sein d'une famille d'origine espagnole

La Commode raconte la transmission mémorielle au sein d'une famille d'origine espagnole
© Grand Angle, éditions 2021

D'ailleurs, elle ne me ressemble pas vraiment la jeune femme qui ouvre les tiroirs. Ce n’était ni une volonté des dessinateurs ni de l’équipe. C'est vrai que je n'ai pas pensé à dire qu’elle pourrait avoir un peu ma tête, puisque je réalise ce qui était mon fantasme en écrivant cette histoire. C'est exactement l’histoire que j'aurais voulu vivre, exactement les femmes que j'aurais souhaité avoir dans ma vie.

Avec ce silence de vos grands-parents, sur quoi vous êtes-vous basée pour traiter de la Guerre civile espagnole ?

Sur l’INA. Je me suis abonnée pendant un an et c’est un poison ! On pourrait y passer des jours et des jours, on n’en finit jamais. C’est fantastique, mais ça devient vite une drogue. Avec un peu de recul, ce qui m'a le plus inspiré, ce sont les femmes des films d’Almodovar, d’Alfonso Arau, de Carlos Saura. Et les femmes de ma famille, même si elles sont beaucoup moins bavardes que Rita. Mais ce sont des femmes fortes, inspirantes. Je me suis basée sur mes copines aussi ! J’ai des copines qui sont des Rita guerrières et qui sont très inspirantes.

Pensez-vous que la BD apporte quelque chose de plus que le roman ?

C'est difficilement comparable. Il y a forcément quelque chose qui manque : on n’a que 80 pages pour se déployer. On a mis des choses de côté. C'était bien que ce soit Véronique Grisseaux qui fasse ces choix-là parce que je n’aurais pas été hyper objective. C’est mon bébé ! On n'a pas envie de couper une jambe ou un bras à son bébé. A l'exception de quelques petites choses, j'ai vraiment respecté les choix de découpage de Véronique. Si j'avais été en capacité de dessiner moi-même une BD et de la scénariser, je n’aurais sûrement pas fait comme ça. Mais pourtant, je trouve magnifique le travail qui a été fait.

Il y avait aussi une volonté de Grand Angle de faire en sorte que la BD ne soit pas aussi adulte que le roman. Je trouvais cette idée plutôt chouette. Et le dessin aussi est adapté à quelque chose d’un peu plus 7 à 77 ans. Même s’il y a deux trois scènes qui ne pouvaient pas ne pas être hyper sensuelles parce que c’est comme ça dans le roman. On ne peut pas raconter certaines choses avec trop de « joli ». Des choses doivent être un peu sauvages… Tous les enfants pourront la lire à l’exception d’une page ou deux qu’il faudra masquer !

Qu’est-ce que les lecteurs du roman vont découvrir de différent ?

J’ai beaucoup aimé qu’on ait des retours à la petite-fille, chose que je n’ai pas fait dans le roman. De temps en temps, on a quelques vignettes où on peut survoler les sentiments de la petite-fille. C’est une super idée de Véronique et Winoc, de la faire revenir régulièrement dans l’histoire. Et de voir aussi sa relation avec sa propre fille, qui elle aussi a envie de découvrir le passé familial. Ce qui suggère que la transmission mémorielle va avoir lieu. D’ailleurs, il me tarde que mon fils lise ces pages car l’héroïne s’adresse à sa fille avec les mêmes mots que ceux avec lesquels je m’adresse à mon fils. Je me dis qu’il va y trouver quelque chose de nous qui va le toucher.

Des va-et-vient entre présent et passé ponctuent l'histoire

Des va-et-vient entre présent et passé ponctuent l'histoire
© Grand Angle, éditions 2021

Etes-vous tentée maintenant par l’écriture d’un scénario de BD ?

Tellement ! Si je n’avais pas travaillé sur ce projet, ça ne me serait même pas passer par la tête. Alors avec, bien sûr, un apprentissage. On ne devient pas scénariste comme ça. Peut-être main dans la main avec un scénariste… Mais j’adorerais. C’est peut-être plus au niveau du dialogue, aujourd’hui, que je suis en capacité. La forme scénaristique d’une BD, en simple lectrice je ne l’ai pas analysée, donc je ne saurais pas du tout capable de tout faire. Mais l’apprendre pour l’occasion auprès d’un scénariste pour pouvoir m’amuser à nourrir l’histoire, j’adore l’idée ! Récemment j’ai lu l’album de Leïla Slimani. Et je me suis dit : « ah tiens, il y a des auteurs classiques qui s’essayent à la BD ». Moi qui adore la BD, je crois que je pourrais vraiment m’amuser beaucoup.

De quel genre s’agirait-il ? Continueriez-vous à faire de l’historique, du mémoriel?

Ça pourrait complètement être de l’humour, après avec ma sensibilité à moi. Je pense que dans La commode, il y a des scènes que j’ai voulu très drôle. Par exemple, le premier accouchement de Rita avec la bouteille de gnôle et tout le monde qui s’engueule ! J’aime faire rire, c’est quelque chose que j’adore faire sur scène : j’use et j’abuse de mon pouvoir comique dès que j’en ai l’occasion. C’est trop jouissif de réussir à faire rire, encore plus que de réussir à faire pleurer. S’il y a bien quelque chose que je ne fais pas : c’est m’empêcher de faire des choses. J’aime l’idée que l’on ne sache pas où m’attendre. Bon après je ne vais pas me mettre à faire tout et son contraire non plus : je ne vais pas me mettre à faire une marque de produits de beauté.

Etant une lectrice de BD, quelles sont vos œuvres et auteurs préférés ?

C’est assez décousu : j’adore Ludovic Debeurme, mais aussi la BD Chico et Rita de Javier Mariscal, et Fernando Trueba. Mais j’aime aussi Kiki de Montparnasse de Catel Muller et José-Louis Bocquet ou encore l’Arabe du Futur de Riad Sattouf... J’aime Art Spiegelman, mais aussi Liniers et son dessin très minimaliste, très doux. J’adore aussi le dessin de Benjamin Lacombe. J’ai collaboré sur deux très beaux albums avec lui, un où je lisais l’histoire sur un CD et un autre où j’ai écrit la nouvelle qu’il a illustré, Swinging Christmas.

Si vous deviez refaire une bande dessinée, avec qui travaillerez-vous ?

Je ne sais pas quel dessin irait bien avec mes mots... A part celui, bien sûr, de Amélie Cause et Winoc, avec qui une nouvelle collaboration serait une évidence !

Winoc et Amélie Causse ont travaillé le dessin à deux

Winoc et Amélie Causse ont travaillé le dessin à deux © Grand Angle, éditions 2021


Quels sont vos projets futurs ?

Je suis en tournée avec mon spectacle Bouches cousues jusqu’en avril prochain. J’ai commencé à écrire mon sixième album musical et mon deuxième roman. Pour le roman, je pars sur quelque chose en lien avec les personnages de La Commode, mais ce n’est pas une suite, ni une prequel. Je me suis interdit de faire une suite à la Commode, je ne veux pas faire une suite ratée. Mais je vais peut-être trouver une astuce pour que l’on retrouve quand même certains des personnages dans une histoire différente…

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