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Morgane Lafille, des débuts hypnotiques

Le manoir de Lady Heme, le premier tome du diptyque prometteur de Carole Breteau et Morgane Lafille n’est pas passé inaperçu, plein de poésie, de magie mais aussi de frissons ! En attendant la suite, nous avons rencontré sa dessinatrice de talent : Morgane Lafille.

C’est ton tout premier album de BD ! Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Morgane Lafille : J’ai commencé à dessiner sérieusement quand j’étais au collège. Au fur et à mesure, je me suis dit que j’allais en faire mon métier alors j’ai voulu faire les Beaux-Arts, parce qu’apparemment c’est là où on dessine ! Je me suis fait très mal orientée… J’ai fait une mise à niveau en art appliqué parce qu’on m’a dit que c’était bien de faire ça. Et comme je venais d’un petit bled paumé, personne ne pensait qu’on pouvait faire de la BD professionnellement. Ça n’existait pas là où j’habitais.

Après cette mise à niveau, je savais que je voulais faire du dessin et potentiellement raconter des histoires. J’ai fait ensuite une école à Bordeaux qui s’appelle Brassart maintenant. Il y avait un cursus Art appliqué avec une classe préparatoire : MANAA. Donc au final j’ai fait deux prépas !

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme © Glénat, 2022

J’ai passé trois ans dans cette école et à la fin, la dernière année, on devait faire notre propre projet en choisissant entre character design, animation et BD. J’ai pris BD ! On devait faire un petit extrait de BD, avec une couverture, qu’on devait imprimer, cartonner avant de passer devant un jury. C’était extrêmement stressant ! Un marathon ! Je ne pourrais pas le refaire. Suite à ça j’ai dû faire un stage pour valider mon année : je l’ai fait à Aix en Provence avec Christophe Arleston. On m’a dit de prévoir ne serait-ce qu’une idée, un gag pour peut-être passer dans le Lanfeust mag. J’avais créé un personnage durant l’été pour me faire plaisir : Emma. Christophe a bien aimé et m’a proposé de le mettre dans le magazine. Je ne réalisais pas du tout à l’époque ! Je n’avais pas pris conscience de la chance que j’avais. Je connaissais un peu les Atalante et Troll de Troye mais ado j’ai arrêté de lire des BD. J’ai lu énormément de mangas c’est seulement après que je me suis remise à la BD.

Alors, j’ai fait un dossier BD avec le personnage de Emma. C’est un personnage qui me représentait un peu, pour raconter des choses que j’ai vécues dans mon enfance, des trucs personnels, à travers des gags. J’ai toujours ce projet mais il n’a pas été pris par Glénat, parce que pas assez mûr encore.  

Suite à ça, eh bah, j’ai dû trouver du travail ! Après mon stage, j’ai travaillé en tant que caissière. Mais en même temps, j’ai monté un projet BD avec Carole Breteau, que j’avais rencontrée à Lanfeust mag. Je lui ai dit que j’avais potentiellement un projet BD, que j’avais des personnages et une idée d’histoire. Tout est venu de mon expérience avec ma logeuse d’Aix en Provence, une femme un peu bizarre… On l’a envoyé à l’éditeur et quelques temps plus tard, on a eu une réponse positive de Valérie (éditrice Vents d’Ouest) !

Tu as eu l’idée du tome 1 d’Amelia Woods et de Lady Heme, en rencontrant cette logeuse à Aix en Provence ?

M. L : J’habitais en plein centre de Aix chez une dame très propre sur elle, très élégante, très avenante. Elle me disait tout le temps de faire comme chez moi. Au début, tout se passait bien, elle était un peu too much dans son amabilité, mais tout allait bien. Je me disais : il n’y a que le chat qui est méchant ! Un chat blanc, appelé Duchesse, prétentieux, qui me regardait vraiment mal et qui m’a même griffée et feulé dessus.

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme © Glénat, 2022

Carole à l’époque m’avait mise en garde : « Tu sais si ça se trouve la logeuse elle est comme le chat ». Je me disais mais non, elle est très gentille cette femme. Et un jour j’ai eu le malheur de prendre un yaourt dans son frigo. Et à partir de ce jour-là, tout a changé. Elle ne me parlait plus que par post-it, qu’elle glissait parfois sous ma porte. Quand on était en face à face, elle continuait à être très aimable mais à côté de ça elle m’écrivait ses reproches par post-it.

Je me suis même faite enfermée dehors une fois ! Un soir, je rentre et je n’arrive pas à ouvrir la porte alors que j’avais les clés. C’est une vieille porte avec une deuxième serrure intérieure en bas... Je toque à la porte, je vois la lumière qui s’allume et la porte s’ouvre mais… personne. Celui ou celle qui m’a ouvert est vite parti se coucher. Le lendemain, j’ai pris mon courage à demain et je lui ai demandé ce qui c’était passé la veille et elle élude la question, me dit qu’elle n’a jamais eu la clé de cette deuxième serrure et elle commence à chercher une clé imaginaire.

Voilà ce qui m’a inspiré Lady Heme, cette femme mystérieuse et son chat !  

De qui t’es-tu inspirée pour Amelia, ton personnage principal ?

M. L : C’est un personnage que j’avais déjà de côté, parce que j’aime bien m’intégrer dans des séries que j’apprécie. Par exemple, elle s’appelle Amelia parce que je suis une grande fan de Doctor Who ! Elle me ressemble un peu Amelia…

Quelles sont tes inspirations ? Je trouve que ton trait fait penser à du Miyazaki, à La Rose Ecarlate

M. L : Je me suis inspirée de Haoru, du Château ambulant, pour Charles ! Je voulais faire une histoire d’amour à la base mais aussi une histoire très sombre. D’abord je voulais faire des gens dévorés dans des tourtes, une chambre avec des cadavres à la Barbe bleue… Enfin un univers très Miyazaki.  

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme © Glénat, 2022

On m’a souvent dit en effet que mon trait ressemblait à celui de Patricia Lyfoung, c’est un beau compliment ! Surtout que je l’ai rencontrée en vrai et qu’elle est adorable.

Quels sont tes modèles ?

M. L : Je pense à Fabien Mense, avec Agito Cosmos. J’ai trouvé son bouquin incroyable, ça part un peu dans tous les sens mais son style graphique, la manière dont il raconte les choses, c’est tellement efficace. Quand tu es en Ecole d’art, on t’apprend à avoir un style académique, à répondre à des exercices techniques. Alors tu te cherches longtemps. C’est grâce à ces inspirations que j’ai trouvé mon style. Il y a aussi Amélie Fléchais avec Bergères Guerrières… Et je suis extrêmement fan aussi de Gaëlle Geniller, @avril_circus sur Insta, avec Le jardin, Les fleurs de grand frère. Franchement, c’est mon exemple. Elle fait des choses sombres mais en le dessinant de façon assez mignonne. Elle m’inspire énormément !

Tu travailles sur tablette graphique ?

M. L : Je travaille en traditionnel et en numérique. Je travaille à l’encre sur des planches A3. Comme l’album Le manoir de Lady Heme est grand, il fallait que je fasse beaucoup de détails, comme par exemple dans les scènes de la bibliothèque. Après je scanne et je fais la couleur à l’ordinateur. Je fais des aplats et je rajoute un effet aquarelle pour les paysages, pour faire ressortir les personnages. Comme dans Ponyo ou Lilo et Stitch.

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme

Amelia Woods T.1 - Le Manoir de Lady Heme © Glénat, 2022

J’ai beaucoup aimé travailler la couverture, les scènes d’extérieur, particulièrement les scènes aquatiques.

Tes projets pour la suite ?

M. L : Je travaille en ce moment sur le tome 2 de Amelia au dessin et à l’écriture. Carole ne travaillera pas avec moi dessus. Je n’ai pas encore écrit tout le scénario, rien n’est figé dans le marbre mais dans le tome 2 on quitte le huis-clos : Amelia se rend à Londres ! Je veux ouvrir son monde, répondre aux questions que se posent les lecteurs. J’essaye de ne pas trop me mettre la pression et de répondre aux attentes.

Ce que j’aime c’est que la BD, maintenant, est nourrie de plein d’influences. Que ce soit des romans graphiques ou non, on peut déstructurer les cases comme dans les comics ou dans les mangas. C’est ce que j’essaye de faire avec Amelia, quand elle a des visions par exemple.

Si je devais me projeter encore plus loin, j’ai des idées toujours dans les cartons, notamment celles avec Emma. Ou même mon projet de fin d’étude qui est tout fait. Pourquoi pas faire un one shot aussi… Mais j’aimerais aussi faire quelque chose avec des fées, quelque chose de tout joli. Ça changera des succubes aquatiques !

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