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De l'autre côté de la planète

Pour son nouvel album, Jérémie Moreau nous entraîne dans les pas de Nathan, un citadin qui s’étiole dans l’ultramodernité de notre société technologique et qui décide un jour, suivant les conseils d’une inconnue, de tout laisser pour partir en Alaska !

Nathan vit à 200 à l’heure, l’œil rivé sur son GPS. Il n’arrive malgré tout pas à joindre les deux bouts : sa paie de chauffeur indépendant suffit à peine couvrir le loyer, le prêt de la voiture et la scolarité de sa sœur et de son frère dont il a la charge ! Alors qu’il vient d’embarquer une cliente, sa vie tourne définitivement au fiasco. L’inconnue lui propose alors de la suivre avec sa petite tribu en Alaska, loin de tout, même du Wi-Fi… Saisissant la balle au bond, sur un coup de tête, tous décollent pour se retrouver aux antipodes de tout ce qu’ils ont pu vivre jusque-là. Il leur faut désormais apprendre à se redécouvrir, lever la tête et regarder le monde qui les entoure, en respectant les bienfaits de cette nature qu’ils avaient fini par ne plus voir.

Jérémie Moreau continue de s’interroger sur notre rapport à l’environnement à travers cette fable moderne qui nous parle de désastre écologique, de mythes anciens vantant le lien spirituel entre l’homme et son animalité et de la place de la technologie dans l’humanité d’aujourd’hui. Un voyage fascinant et dépaysant !

Les Pizzlys

Les Pizzlys
© Delcourt, 2022

L’avenir de l'Homme serait-il, comme pour Nathan et les enfants, de repasser par la case « retour à la Nature » ?

Jérémie Moreau : Dans ce terme, je n’aime pas trop l’idée de régression. En fait, la Nature a toujours été là. C’est juste que l’humain moderne a cru qu’il pouvait s’en affranchir. Il oppose les villes et les forêts. Mais la ville, c’est de la nature, comme le barrage du castor : tout ce qui y est construit est fait de matières issues de la nature. Et le grand choc de notre époque est que la Nature se rappelle à nous, le réchauffement climatique, l’anthropocène, c’est ça le retour à la nature. Elle nous interpelle : « Hé ho, les humains, si vous me mutilez, vous vous mutilez avec moi. »

S’il y a un avenir pour l’humain, ce n’est pas forcément dans un retour régressif à la vie dans la forêt comme des hommes préhistoriques ou des sociétés pré-modernes, mais en tout cas, un changement profond de positionnement à l’égard des autres formes de vie.

Mon utopie est formulée dans Les Pizzlys par la jeune Indienne Genee : « Parfois j’imagine un monde où toute l’intelligence des scientifiques des villes serait mise au service de la vie dans la forêt. » Les applications de reconnaissance des plantes sont à leur manière un retour à la nature : j’ai des égards pour les plantes que je croise, je peux les nommer, je peux apprendre à les connaître, elles ne sont pas simplement un décor.

Après Penss et les plis du monde et Le discours de la panthère, vous revenez au monde d'aujourd'hui, tout en gardant cette dimension « conte philosophique », avec un rapport aux mythes essentiels toujours marqué, quelles sont vos envies d'écriture avec Les Pizzlys ?

J. M. : Effectivement, je voulais aborder les problèmes contemporains sans mise à distance historique comme j’ai pu le faire dans mes précédentes BD. Mais il n’a pas été facile de trouver comment traiter des problèmes si proches de nous et aussi énormes. Je suis finalement content d’avoir pu concentrer mon récit autour du GPS d’un côté et de la découverte du monde animiste gwich'in de l’autre. Deux facettes de la crise écologique qu’on traverse : une crise existentielle, intérieure, l’humain s’aliène tout seul par sa technologie, et une crise extérieure, environnementale.

Les Pizzlys

Les Pizzlys
© Delcourt, 2022

Nathan s'interroge sur lui-même, sur son lien avec son environnement et ce que la mémoire de l'Homme a progressivement fini par oublier et qu'il retrouve avec ce séjour chez Annie. Peut-il vraiment revenir au monde qu'il a quitté, dorénavant ?

J. M. : Nathan est l’archétype du moderne qui s’est arraché à sa condition d’animal terrestre. Il bouge à 100 km/h dans sa BMW en suivant les consignes d’un satellite qui réfléchit pour lui. C’est le mythe moderne, on veut s’affranchir des limites du corps, on veut partir vivre sur Mars, on veut devenir immortel, ne plus se soucier de trouver de la nourriture, etc. Mais le résultat est que l’humain s’est arraché de la terre et des vivants et d’aptitudes ancestrales communes à tous les animaux, comme la capacité de s’orienter. Nathan flotte dans le vide, il n’a plus les pieds sur terre, il ne sait plus habiter la Terre.

Est-ce qu’il peut atterrir ? Dans Les Pizzlys, je propose que oui en changeant de point de vue sur le monde, en devenant autre, en abandonnant le mythe moderne, en acceptant de redevenir un vivant parmi les vivants.

L’écriture est très immersive, on glisse dans cette expérience de vie, on ressent le « danger écologique ». Quel est votre sentiment sur cette urgence qui sous-tend le récit ?

J. M. : Comme tous les gens de ma génération, je suis obsédé par cette question. Mais je crois que ce qui m’attriste le plus, ce n’est pas tant l’effacement d’un horizon de prospérité pour l’humain que le gâchis écologique. L’extinction de masse de la diversité du vivant me donne un sentiment de détricotage massif d’un chefd’œuvre écologique. La vie terrestre était un joyau. Quel dommage qu’on ait pris ce virage du progrès technique au mépris des autres formes de vie. Cependant, je trouve l’époque que nous vivons très exaltante. Ça peut paraître provocateur, mais au-delà du fait que nos conditions de vie ne vont aller que vers le pire, je sens un vrai bouillonnement à l’œuvre dans la pensée, chez les historiens, en sciences, en art, etc. La crise climatique est enfin sur toutes les lèvres et je suis persuadé que les choses vont bouger au xxie siècle, dans tous les domaines. En tout cas, c’est mon combat aujourd’hui : écrire des histoires pour penser, digérer les changements du monde.

Les Pizzlys

Les Pizzlys
© Delcourt, 2022

Quelle est la suite des aventures de Jérémie Moreau ?

J. M. : J’ai l’opportunité de lancer une collection d’albums illustrés pour la jeunesse chez Albin Michel, que je placerai sous le signe de l’écologie : je travaille à l’un des premiers livres de la collection. 

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