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« Je voulais rendre hommage aux institutrices »

Entretien avec Yves Lavandier, le scénariste de L'institutrice, une BD en deux tomes, dessinée par Carole Maurel aux éditions Albin Michel.

Comment est née l'histoire de L'institutrice ?

Au début des années 1990, j'ai découvert le métier d'institutrice quand mes quatre enfants sont entrés à l'école maternelle. Je connaissais ce métier pour avoir été moi-même à la maternelle 25 ans avant, mais j'avais oublié. Les institutrices de mes enfants ont suscité mon admiration. Pour deux raisons majeures : elles aident les futurs adultes à apprendre le vivre-ensemble (c'est tellement précieux, le vivre-ensemble), et elles traitent tous les enfants de façon égale. Peu importe le sexe de l'enfant, sa couleur de peau, son milieu social, son acuité intellectuelle. J'ai donc eu envie de leur rendre hommage à travers une fiction.

Quand avez-vous commencé à travailler sur le scénario ?

J'ai posé les bases dans les années 1990 et... je suis parti faire autre chose. Car je n'ai pas le loisir de contrôler ma carrière professionnelle : je vais où le vent me porte. Je m'y suis remis en 2016. Je ne voulais pas raconter une histoire contemporaine pour ne pas avoir à mettre en scène des problématiques strictement contemporaines (même si Dieu sait que les pauvres enseignants dérouillent, aujourd'hui). Je voulais une arène qui permette à la fois de plonger ma protagoniste dans l'épreuve, de remuer le couteau dans sa plaie et de montrer l'essence de son travail. En plus de la défense du vivre-ensemble et de l'égalité, je voulais aussi qu'elle éduque les enfants par l'exemple, en montrant plutôt qu'en disant. D'où cette sous-intrigue thématique sur les morales.

L'institutrice, tome 2

L'institutrice, tome 2
©Albin Michel, 2022

Pourquoi installer l'intrigue en Bretagne ?

À l'origine, les « méchants » étaient des nazis. Et comme je suis à moitié breton, j'ai eu l'idée de situer l'action en Bretagne. Je me suis alors documenté sur l'Occupation en Bretagne et j'ai découvert l'existence de la Bezen Perrot, du commando de Landerneau, du PNB, des Breizh Atao, de ces ultra nationalistes bretons qui n'ont toujours pas digéré 1532 et étaient tellement anti-France et anti-Français qu'ils étaient prêts à collaborer avec les nazis pour se débarrasser de la France. Je n'en avais jamais entendu parler. J'ai l'impression que ce sujet est à la fois ignoré et tabou en Bretagne. C'est vrai que c'est une tache dans l'histoire de cette belle région mais toutes les communautés du monde ont eu leurs brebis galeuses. Toujours est-il que j'ai trouvé original de remplacer les nazis par des miliciens bretons. J'ai pris la liberté de mélanger des membres de la Bezen Perrot (portant l'uniforme de soldats allemands) et des membres des bagadoù stourm, le service d'ordre du PNB. Cela m'amuse d'avoir créé probablement la seule fiction au monde qui est sise sous l'Occupation et dans laquelle il n'y a pas un seul Allemand.

Vous destiniez d'abord cette histoire au cinéma ?

Oui, à l'origine, j'ai écrit ce scénario pour le cinéma. Mais je n'ai pas réussi à trouver de producteur intéressé. Comme j'adore la bande dessinée, j'ai eu l'idée de l'envoyer à des éditeurs BD. J'en ai accroché quatre gros, dont Martin Zeller, chez Albin Michel. Il m'a proposé plusieurs dessinateurs et j'ai flashé sur le graphisme de Carole Maurel (N.D.L.R. : la dessinatrice, entre autres, d'En attendant Bojangles et L'Apocalypse selon Magda). Il m'a semblé que la délicatesse de son dessin irait bien avec la sensibilité de mon histoire. Mais ce n'était pas gagné pour autant : c'est une dessinatrice très demandée et très occupée. Il fallait en outre qu'elle aimât le scénario. Les planètes se sont alignées, comme rarement. Elle nous a dit adorer l'histoire, le message, le personnage de Marie-Noëlle, et être disponible quelques mois plus tard. Et c'est parti.

L'institutrice, les personnages

L'institutrice, les personnages
©Albin Michel, 2022

Avez-vous dû adapter le scénario pour la bande dessinée ?

Je n'ai pas adapté mon scénario pour le médium BD. J'ai juste fourni à Carole un scénario avec des centaines de notes, mais elles concernaient les coulisses de la narration, à peine une ou deux suggestions de cases ou de planches. Carole m'a dit que ce scénario annoté lui a été très utile. Par rapport au cinéma, j'ai beaucoup apprécié nos échanges à quatre, Carole, Martin, Lauren Triou (assistante de Martin chez Albin Michel) et moi. Carole nous a soumis plusieurs jets de storyboard puis les planches en couleur. A chaque fois, nous avons pu réagir et suggérer des modifications.

Yves Lavandier : « Je voulais rendre hommage aux institutrices »

L'institutrice, les personnages
©Albin Michel, 2022

Le travail de scénariste BD est très différent de celui au cinéma ?

Oui : quand un scénariste de cinéma français donne son scénario à un réalisateur, il n'en entend plus parler. Il n'est pas consulté pour le casting (alors qu'il a quand même créé les personnages), il n'est pas invité sur le plateau, ni dans la salle de montage, et c'est tout juste si la production l'invite à l'avant-première. J'ai trouvé que le processus BD était bien plus respectueux mais aussi tellement plus intelligent. Au final, je suis enchanté du travail de Carole. J'ai même été agréablement surpris par la qualité du « jeu des acteurs ». Non seulement Carole rend bien la peur, la fierté, le doute, la joie, etc., mais en plus elle a super bien compris dans quelle émotion se trouvait chaque personnage à chaque instant.

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