Xavier Dorison et Thimothée Montaigne se lancent dans un ambitieux diptyque consacré à l’une des pages les plus sanglantes de l’histoire maritime. Ce thriller psychologique revient sur un récit effroyable où se sont mêlés mutinerie, naufrage, massacre et survie. Le pari est relevé avec brio pour ce premier tome. Rencontre.
XAVIER DORISON, THIMOTHÉE MONTAIGNE, POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE LA GENÈSE DE CE PROJET, DE CE TRAVAIL À DEUX ?
Xavier Dorison : Tout a commencé par une rencontre, par hasard, avec cette histoire extraordinaire et inspirante ! J’ai eu un vrai coup de foudre. J’étais à Cuba dans une maison en bord de mer. Un soir, il y avait une tempête et j’ai fouillé dans une petite bibliothèque de la maison. C’était éclectique parce que chaque voyageur y laissait un livre en partant.
J’ai choisi un petit livre de Mike Dash ; un auteur qui écrit sur des évènements historiques en général aussi étonnants qu’inconnus. Il racontait cette histoire vraie et cette aventure m’a beaucoup plu. J’ai tout de suite commencé à développer le sujet.
Et dans un second temps, il me fallait un dessinateur qui ait à la fois du talent pour avoir une approche relativement réaliste d’un navire et en même temps une vraie capacité à amplifier les émotions et le caractère romanesque extraordinaire d’une histoire.
Thimothée avec qui j’avais un peu travaillé sur Le 3e Testament était pour moi la personne idéale pour ça. Je savais qu’il pouvait tenir cette histoire, rendre chaque détail des armes, du navire, des costumes vrais et en même temps retranscrire l’exaltation de l’aventure en mer.
Thimothée Montaigne : On avait effectivement déjà travaillé ensemble et comme on s’apprécie beaucoup, on avait envie de refaire un livre à quatre mains. Il y a eu plusieurs projets évoqués, mais quand j’ai lu le livre de Mike Dash L’Archipel des hérétiques que m’avait conseillé Xavier, j’ai trouvé l’univers complètement hallucinant. Les faits, les conditions de vie sont fous et ça réunit toutes les grandes histoires de marine que l’on connaît. C’est comme ça que ça a commencé, que je me suis intéressé à cette histoire, car elle collait avec tous mes intérêts professionnels.
1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta, T. 1, L'Apothicaire du diable ©Glénat, 2022
ON IMAGINE QU’IL Y A EU UN GROS TRAVAIL DE DOCUMENTATION POUR ABORDER TOUS LES CODES DE CETTE PÉRIODE ?
T. M. : Par chance, une réplique du bateau existe près d’Amsterdam. Ça m’a permis de mieux comprendre les échelles, d’essayer de me projeter pour saisir la promiscuité, les conditions de vie à bord, de m’imprégner et de mieux comprendre le tout. Nous avons récupéré plein de documentation. Après, le tout a été de crédibiliser l’univers, j’ai donc abordé le bateau comme un personnage à part entière, ce qui renforce et accompagne les intentions, les émotions et les ambiances.
QU’EST-CE QUI VOUS A SÉDUIT DANS CET ÉPISODE SOMBRE DE L’HISTOIRE POUR QUE VOUS AYEZ ENVIE DE FAIRE CET ALBUM ?
X. D. : Le plus évident, c’est son côté « histoire de superlatifs » : c’est à la fois le plus grand navire de son époque, le pire rassemblement de criminels à bord d’un navire, le pire naufrage et derrière, la pire histoire de survie. Rien qu'en y associant la notion de voyage et la dimension historique, il y avait déjà largement de quoi me séduire.
Mais au-delà de ça, j’y ai d’abord trouvé une résonnance. En fait, la vraie difficulté d'un récit historique, c’est de le rendre contemporain et intemporel. Ici, avec le capitalisme démentiel, le matérialisme et les pertes humaines qu’ont entraîné le navire, voir ce retour à la sauvagerie et la manière dont ce groupe a été martyrisé, devenant à son tour bourreau une fois libéré de ses chaînes… Ces mécanismes que je trouve intemporels m’ont touché et ils m’effraient encore aujourd’hui d’ailleurs. Entre le viscéral, le social et le spectaculaire, il y avait vraiment tous les ingrédients idéaux pour moi.
ON SENT QUE VOUS AVEZ PRIS BEAUCOUP DE PLAISIR DANS LA RÉALISATION DES PLANCHES, THIMOTHÉE.
T. M. : Clairement, dans cet album, je sens que je me révèle réellement ! J’étais libéré dans la façon d’aborder les planches et dans l’encrage. Je me suis éclaté parce que j’ai trouvé une certaine liberté dans le process, tout a été très fluide et c’est sûrement pour ça que le lecteur ressent mon réel plaisir. Et puis comme cette histoire est un huis clos sur un bateau, il fallait faire quelque chose d’explosif.
"La vraie difficulté d'un récit historique, c'est de le rendre contemporain et intemporel"
1629, ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta, T. 1, L'Apothicaire du diable ©Glénat, 2022
LA PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES ET LA NOIRCEUR HUMAINE SONT TRÈS TRAVAILLÉES DANS 1629, RACONTEZ-NOUS.
X. D. : Le thème central de 1629 est le rapport entre la liberté individuelle et la soumission à un groupe. Ce qui est intéressant, c’est qu’au fil des deux tomes, on va avoir l’occasion de voir toutes les faces de cette problématique : la soumission à un régime établi, la soumission à ceux qui étaient avant soumis, la soumission à un mari, la soumission à l’amour, la soumission à l’homme…
Toutes ces questions tournent autour du personnage central, Jéronimus Cornelius qui prône cette forme de libertarisme qu’avait son maître aux Pays-Bas au début du XVIIe siècle, avec cette idée que Dieu a mis les humains sur Terre pour qu’ils soient totalement libres. Autour de Jéronimus, on va pouvoir découvrir toutes les facettes de la liberté et de la soumission, c’était quelque chose qui m’intéressait !
Ce premier tome est une réelle réussite et nous embarque tant d'un point de vue scénaristique que graphique à bord d'une histoire à couper le souffle ! Vivement la suite et merci à tous les deux.
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