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Perdus dans l'espace

Romain Benassaya fait ses premières armes en adaptant ses propres romans à travers ce passionnant album qui nous parle d’une communauté de colons piégée dans un étrange artefact labyrinthique. Suspense et exploration sont au rendez-vous.

Lorsqu’une colonie de Terriens partie pour une lointaine planète et maintenue en animation suspendue se réveille bien après la date prévue, c’est pour découvrir qu’elle doit désormais s’adapter à un environnement étranger. Elle est dans une sorte de tunnel aux dimensions gigantesques, d’où il n’est visiblement pas possible de s’échapper. Très vite, des tensions apparaissent, des dissensions entre ceux qui veulent s’établir, résignés et ceux qui cherchent une solution pour s’échapper.
Romain Benassaya livre ici une très intéressante réflexion sur le comportement d’une microsociété confrontée à l’inconnu, forcée de survivre en développant ses propres ressources. De son côté, Joan Urgell donne forme à cet univers hors norme qui semble annoncer une saga de plus grande ampleur. Rencontre avec le scénariste…

Pouvez-vous nous présenter l'univers d'Arca ?

Romain Benassaya : Ce premier volume s’appuie sur deux de mes romans, Arca et Pyramides (parus aux Éditions Critic et Pocket), mais surtout sur Pyramides, dont il reprend l’intrigue et les principaux événements. Arca et Pyramides mettent tous deux en scène une arche stellaire et son équipage, parti fonder une société meilleure ailleurs.
Plusieurs thèmes sont abordés dans les romans et l’album, notamment la façon dont un groupe humain isolé réagit face à une situation incompréhensible etcomment ils y font face. J’explore également d’autres thèmes et notamment celui de la communication entre humains et non humains.

Romain Benassaya : Perdus dans l'espace

© Les Humanoïdes Associés, 2023

Avez-vous la volonté d'établir une passerelle entre vos différents romans, de tout lier par la BD ?

R. B. : Oui, tout à fait. Les romans Arca et Pyramides décrivent des univers assez proches. Les arches stellaires forment un thème unificateur et fournissent un cadre pour raconter les mésaventures des humains dans leurs tentatives de coloniser les étoiles. L’album combine des éléments des deux récits, une possibilité de créer un univers commun, avec, en effet, des passerelles pour relier l’ensemble. J’y raconte la tentative de l’Arca III de rejoindre la Griffe du Lion, une exoplanète située à une vingtaine d’années-lumière du système solaire. D’autres albums pourront raconter les expéditions ultérieures (sachant que dans l’univers du roman Pyramides,une trentaine d’arches, dont le départ est échelonné sur plusieurs siècles, ont quitté l’orbite terrestre).

Comment avez-vous abordé le travail de l'autoadaptation ?

R. B. : L’autoadaptation est un processus assez compliqué. J’ai même le sentiment que c’est une tâche plus ardue que l’écriture d’un scénario original, qui permet de se projeter directement dans la forme d’expression qu’est la bande dessinée. L’autoadaptation impose de repenser et modifier une histoire initialement conçue pour un autre médium, et donc de faire certains sacrifices.
Le premier défi a en effet été de se concentrer sur l’essentiel. Pyramides est un roman d’environ 600 pages, qu’il a fallu convertir en une centaine de planches.
Au début, j’étais réticent à faire des modifications importantes. J’avais une sorte de crainte d’abimer et de fragiliser le texte original en le simplifiant. Pourtant, j’ai vite réalisé que des changements significatifs seraient nécessaires pour adapter l’histoire.
J’ai mis du temps à résoudre cette tension, et ça m’a permis d’un peu mieux appréhender ce qu’est un travail d’adaptation. Il ne s’agit pas simplement de transposition. Il faut renoncer à beaucoup d’éléments de l’œuvre originale, et trouver un moyen de raconter l’histoire différemment.
J’ai le sentiment que l’écriture d’un scénario de bande dessinée est bien plus technique et précise que l’écriture romanesque. Il faut jongler avec davantage de contraintes, ne pas se disperser. Chaque image et chaque mot compte.

Romain Benassaya : Perdus dans l'espace

© Les Humanoïdes Associés, 2023

Quel regard portez-vous sur cette société futuriste ? Sur ces personnages qui se confrontent, qui s'éloignent les uns des autres.

R. B. : En écrivant le roman, puis l’adaptation, j’étais très intéressé par le thème de la microsociété isolée qui doit tenter de survivre, en totale autarcie, et sans contact avec le reste de l’humanité. C’est, il me semble, le type de situation où l’humain se révèle vraiment.
Mon intention est d’amener les personnages jusqu’au bout de leur logique, et mettre en scène une communauté où chacun est animé par de bonnes intentions, et où pourtant, des dissensions naissent et deviennent graduellement insurmontables.
Dans le récit, deux des personnages principaux, Éric et Johanna, incarnent les deux extrêmes de l’opposition qui va structurer la vie de la communauté, chacun avec des raisons qui lui sont propres, et en étant persuadé d’agir pour le bien de tous. Ainsi, l’un va attirer le danger sur la communauté, tandis que pour l’autre, l’utopie et le souci de protection vont progressivement justifier la violence et l’instauration d’un microrégime dictatorial. Il y a dans cet aveuglement et cette incapacité progressive à s’écouter, comme le remarquent certains personnages non humains du récit, une caractéristique typiquement humaine.

Sarah représente une sorte de juste milieu, construire et explorer...

R. B. : Oui. Sarah est la première enfant à naître au sein de la communauté. Elle a intégré et synthétisé les oppositions qui ont divisé ses parents et ceux qui l’entourent. Mais elle est aussi un élément qui radicalise les oppositions, notamment dans la mesure où elle donne chair à la volonté de Johanna de protéger et assurer la survie de la communauté.
Finalement, c’est elle qui incarne l’espoir et la possibilité d’une réconciliation.

Article publié dans le Mag ZOO N°90 Janvier-Février 2023

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