ZOO

Interview de Dominique Zay, scénariste des Enquêtes de Philippine Lomar

A l'occasion de la 50 ème édition du festival international de la BD à Angoulême l'auteur Dominique Zay, scénariste des Enquêtes de Philippine Lomar aux Éditions de la Gouttière présente son jeu de piste grandeur nature.

Pourrais-tu nous présenter un peu cette animation, en quoi cela va consister ?


Dominique Zay : C’est un jeu de piste grandeur nature. Les gens vont se présenter, il va y avoir un début d’intrigue dont il va falloir trouver la solution. A la base, c’est une lettre de menace qui a été envoyée aux organisateurs du salon, son auteur menace de détruire tous les fauves, les prix décernés à Angoulême, avec un certain nombre d’exigences à la clé. Les « joueurs » sont alors envoyés à un premier endroit, avec un des personnages de la série Philippine Lomar qui va donner une première énigme à résoudre, qui va ensuite les envoyer à un second endroit avec une nouvelle énigme etc. Jusqu’à la résolution finale où ils sauront qui terrorise le festival d’Angoulême.

C’est un jeu de piste à travers la ville ?


D.Z . : A travers le salon et plus particulièrement au quartier jeunesse. Le but c’est que tu ailles voir un maximum de stands et les lieux importants du salon.

Ce parcours, c’est toi qui l’as conçu seul, ou il y a eu interventions des organisateurs ?


D.Z . : A la base, il y a Nathalie Boyer qui est habituée à concevoir des Escape Game, ce genre d’animation. Elle a établi des contraintes, elle m’a indiqué qu’il fallait tant de points de rendez-vous, tant de personnages… J’ai ensuite fait parler les personnages de la série avec leur langage, très fleuri et humoristique, et à chaque fois ils envoient les gens sur une piste.  

L’idée est venue de toi, ou c’est l’éditeur qui te l’a proposé ?


D.Z . : C’est un projet éditorial en réflexion depuis longtemps. Une co-initiative et un co-financement 50/50 (éditeur/FIBD), avec donc Nathalie en cheffe d’orchestre pour tout organiser, avec qui je me suis très bien entendu et qui m’a donc régulièrement passé des commandes de textes, d’idées. Elle m’a même fait faire un petit film sur moi, ou je me mets en scène en train de dédicacer. J’ai fait aussi des textes de présentation pour chaque personnage. Ça a donc fonctionné entre trois entités. Elle qui représentait le FIBD, moi qui suis l’initiateur de l’univers de Philippine et les Éditions de La Gouttière qui se sont chargées de la maquette, de l’impression et surtout Florentine Lavacherie qui a ensuite tout supervisé en participant aux prises de décision (c’est elle qui suit la série, elle connaît l’univers et le loustique que je suis)

Dominique Zay : Interview de Dominique Zay, scénariste des Enquêtes de Philippine Lomar
Finalement c’est très dans le ton de la série ou il y a certes des enquêtes sérieuses, mais toujours avec un côté détendu dans les échanges.


D.Z . : À la base, la commande c’est ça, je fais parler les personnages comme ils le font dans les albums. Ces personnages, tu l’auras compris, c’est un peu les roues de secours pour Philippine, ils peuvent faire des trucs qu’elle ne peut pas faire de son côté. On reste dans une approche « jeunesse ». Par exemple, Gégé l’oncle, c’est lui qui l’emmène en voiture, Mok, c’est le caïd des cités, celui qui est violent à sa place, la mère c’est celle qui répond simplement à des questions très difficiles, un peu philosophiques, pédagogiques. Il y a de la musicalité dans pratiquement chaque réplique, c’est ce qui me plait. Comme ce que l’on trouve chez Henri Jeanson. J’aime le sens de la formule, c’est ce qui m’a toujours intéressé, je ne peux pas m’en empêcher.

Ça fait aussi penser, par forcément dans les détails, mais plutôt dans l’esprit, à du Audiard, ce genre d’écriture très imagée.


D.Z . : Complètement, ça fait partie de mes références. Disons qu’à partir du moment où je dois aborder en jeunesse, ce que je ne fais pas forcément quand je fais des livres « adultes » polar, des thèmes difficiles, je trouve que c’est bien d’avoir cette espèce d’élégance. J’ai tout de même parlé de violence faite aux gosses, aux femmes, la migration, la pollution, le racket… C’est bien de ne pas trop souligner le trait, de prendre un peu de distance, parce que sinon c’est désespérant. Je trouve ça bien d’utiliser à la fois les codes du polar, avec de l’humour, pour donner au jeune public une porte d’accès pour comprendre ce genre de problématique.

J’aime assez cette série car justement on revient un peu sur les fondamentaux du polar, à travers ces histoires. On retrouve le plaisir de l’écriture comme on pouvait trouver dans les vieilles séries noires américaines ou ils aimaient bien s’envoyer des vannes, ou il y avait une sorte de jeu entre les personnages récurrents qui se retrouvent etc.


D.Z . : Ma référence à ça, d’où le nom de l’héroïne, Philippine Lomar, c’est Philip Marlow, le héros de Raymond Chandler. Je me souviens d’une scène (je crois que c’est « Adieu ma Jolie ») ou il se fait tabasser et quand il se relève, il demande « Mais pourquoi ? Parce que je suis juif ? », le gars il faut qu’il balance une vanne, même quand il est en danger. J’aime beaucoup la morale de Philip Marlow, d’ailleurs. Je ne sais pas si tu te souviens, mais à la fin d’Adieu ma jolie, il retrouve celui qui l’a arnaqué, ce dernier lui demande « Tu m’en veux à cause de l’argent ? » et Marlow lui répond « Non, je vais te tuer parce qu’à cause de toi j’ai perdu mon chat » et il le butte parce qu’il n’est pas content, ça c’est quelque chose qui me parle beaucoup, même si je ne le mettrais pas dans un livre jeunesse !

Ça se voit bien dans l’esprit, cette « parenté ». Parce que même si ça reste une série « jeunesse », on a l’impression de lire un bon polar, adapté pour son public.


D.Z . : Les codes du polar, moi j’ai commencé par ça, par un roman policier adulte (Scénario en 1982), ça me fascine, au cinéma, en bande dessinée, c’est quelque chose que j’adore. Le polar m’a amené à la littérature, au jazz, je viens de là, c’est ma culture.

C’est aussi très ancré dans une époque, on voit bien les vieux films noirs, le ton jazzy. Malgré tout, ce qui est intéressant aussi avec Les enquêtes de Philippine, c’est que ça te permet de développer des choses qui sortent du cadre de la simple série jeunesse, il y a des choses qui sont quand même vraiment dures dans ce qu’elle traverse avec ses amis.


D.Z . : Ça vient du fait que très tôt on m’a sollicité pour des interventions pas toujours très classiques, dans des camps de migrants, de SDF, des « gens du voyage », dans des prisons… Par exemple, quand j’anime un atelier en prison, ils me disent « oui, mais moi je n’ai rien fait », je leur réponds « si c’est le cas, je me barre, moi j’ai envie que vous me racontiez des choses ». Je ne le calcule pas forcément à l’avance, mais ça me sert tout le temps, je fais parler des gens avec des choses qui sont toujours arrivées. Les trois quarts des récits que je mets en scène, je ne les ai pas inventés, ils se sont vraiment passés. Je me sers de mon vécu parfois, mais il y a pas mal d’éléments en dehors que je ne maîtrise pas autant. Comme lorsque j’interviens dans tous ces milieux, je prends plein de notes, comme un journaliste.

C’est ce qui donne la matière des personnages que l’on croise, de toute façon. D’ailleurs, ce qui me fait rire c’est ce rapport faussement conflictuel que Philippine peut avoir avec Mok, le big boss des quartiers qui fond toujours devant elle, en lui filant un coup de main, mais en lui reprochant de l’embêter avec ses histoires… C’est assez truculent comme relation.


D.Z . : Tu sais, il y a un type à Amiens, qui était videur dans une boite, ou un resto qui a fait les services spéciaux, ce genre de truc, un gars hyper baraqué, on s’est inspiré de lui, avec Greg, pour faire le personnage de Mok. C’est le gars qui fondait devant moi, je ne sais pas pourquoi, j’aurais pu lui demander n’importe quoi, il l’aurait fait. En plus, il avait une voix très aigue qui n’allait pas du tout avec son physique, ça nous faisait rire. Souvent je m’inspire de gens que je croise, je grossis le trait, je détourne un peu. Gégé il a vraiment existé, la mère c’est une fille que j’ai rencontrée, qui était sourde muette, qui m’a beaucoup impressionné, beaucoup de finesse, de culture, je la trouvais très forte. C’est toujours intéressant ces gens que je rencontre et les interventions avec des publics dits « difficiles ».

Comment vous travaillez sur cette série, avec Greg ?


D.Z . : J’écris d’abord l’histoire, avant c’était régulier, je faisais ça l’Été, je la donnais à Greg en septembre. On fait ensuite le storyboard ensemble. J’ai une écriture très cinématographique, même si après il fait ce qu’il veut, il peut changer des éléments, mais je fais un case à case, avec des valeurs de plan. Dans le dernier, par exemple, je lui ai indiqué « On voit l’écran d’un portable. Raccord dans le même axe plus loin, comme un traveling arrière, on voit la main qui tient le portable. Raccord dans le même axe, d’encore plus loin, on voit la personne qui tient le portable. Raccord dans le même axe, toujours plus loin, on est à l’extérieur d’une réunion etc. » je lui fais un découpage assez précis.

De ton côté, tu as des références qui t’inspirent, des images, des plans de ciné, c’est des choses qui te viennent régulièrement ?


D.Z . : Oui oui, j’aime bien, même encore maintenant, les montages que vont faire les réalisateurs d’aujourd’hui, comme avec Jimenez, par exemple, des montages assez rapides comme il y a pu avoir dans Novembre, Bac Nord, des films comme ça. J’aime bien comprendre comment le cinéma évolue, par rapport au rythme, je m’en sers énormément pour la Bande Dessinée. Les raccords, les flash-back, les inserts sont amenés d’une façon différente maintenant, ça va beaucoup plus vite. Je suis toujours très observateur là-dessus. J’ai fait un peu de scénario pour le cinéma, pour des séries, j’aime beaucoup le langage cinématographique. Je suis un grand fan de Billy Wilder, par exemple, comment il travaillait avec I. A. L. Diamond… J’aime les problématiques que posent un scénario.

Et Greg, par rapport à ça, il a des références qui se rejoignent avec toi ?


D.Z . : Pas forcément, on est complémentaire. Moi je vais apporter toute une culture jazz, polar, ciné qu’il ne connaissait pas et lui, parce qu’on a une grande différence d’âge quand même, il va amener une culture liée aux réseaux sociaux, par exemple, sur les mangas… Des choses que je ne connaissais pas. Je pense que ça fonctionne parce qu’on n’a pas le même âge, la même culture, ni le même caractère. Ça ressemble un peu à la relation de Wilder avec son scénariste, il y en a un qui était complètement exubérant, comme je suis par exemple, et lui qui est beaucoup plus réservé, on se complète bien.

La série reste très actuelle, ne serait-ce que par l’héroïne elle-même et ses petits soucis du quotidien.


D.Z . : C’est important, oui, ça m’intéresse. Je veux aborder, par exemple, le problème du genre dans un prochain volume et je n’arrête pas de prendre des rendez-vous avec des jeunes, surtout des jeunes femmes qui sont en colère en ce moment, pour essayer de comprendre, je suis d’une génération ou l’on est passé un peu à côté de ça, je vais amener un perso qui parlera de ça, qu’est-ce que c’est, par exemple, un mec bien aujourd’hui, par rapport aux femmes, tu vois. Je voudrais que le Fakir, qui apparait dans le 6ème tome, réapparaisse et soit l’ambassadeur de cette image de « mec bien » avec les femmes d’aujourd’hui. J’ai besoin que les jeunes me parlent, me témoignent, m’expliquent leur façon de voir les choses. Je pense que j’aurais vingt berges aujourd’hui, je serais très en colère sur tous ces sujets, sur l’écologie, le rapport au genre, au sexe… ça me mettrait hors de moi.

Surtout que la société a beaucoup bougé par rapport à ces sujets-là, depuis quelques temps…


D.Z . : Oui, il faut suivre… Mais c’est encourageant aussi. Il y a plein de choses qui sont déprimantes, mais au moins là-dessus, le fait qu’on se réveille sur des problématiques comme ça, c’est encourageant, en effet. Quand j’ai connu le cinéma, que j’adore, c’était malgré tout un milieu pourri…

Et tu as envie que Philippine soit en quelque sorte un personnage porteur de ce genre de propos, sur la féminité… ?


D.Z . : C’est un exercice difficile. Mon combat c’est quand même de dire qu’avec cette série, je ne fais pas un truc pédagogique sur le « penser correct », tu vois. Ce qui m’interpelle, par exemple, c’est quand j’ai une handicapée à laquelle je fais référence dans le tome 5, c’est son humour féroce. Je n’ai pas envie que ce soit lisse, j’ai envie qu’il y ai des mauvais sentiments, de l’humour, du second degré… tout en respectant, sans stigmatiser, les gens pour ce qu’ils sont. Avec l’humour, dans sa musicalité, on voit tout de suite si c’est pourri ou pas, je fais confiance à ça. On n’écrit pas ce qu’on n’est pas. Je ne vais pas sortir une vanne raciste, par exemple, parce que je ne le suis tout simplement pas. Donc si je fais parler un personnage dans l’histoire avec des propos racistes c’est davantage pour le dénoncer.

C’est vrai que Philippine n’apparait jamais, de toute façon, comme un personnage « politisé », c’est une détective…


D.Z . : Disons qu’elle peut soulever des problèmes, mais elle n’a pas de leçon à donner.

Elle est confrontée à un certain nombre de sujet par les biais des enquêtes qu’elle mène…


D.Z . : Elle découvre, elle a encore une part d’insouciance, elle n’a pas réponse à tout, elle doit encore se forger sa propre vision du monde. C’est ce que je retiens de l’adolescence, tout d’un coup t’as une porte qui s’ouvre, puis dix autres, c’est paniquant, mais fabuleux en même temps, c’est un âge que j’aime beaucoup !

Philippine ne se laisse pas trop avoir par tout ça, malgré tout, elle fonce. Une enquête se présente, ok, on y va.


D.Z . : Elle a un côté casse-cou, c’est vrai, un peu Mata Hari… S’il n’y avait pas Daniel Craig, elle prendrait le rôle ;-)

C’est ce qui est attachant avec ce personnage, elle fonce et elle voit ce qui se passe. Elle va demander de l’aide, car il faut trouver des solutions et utiliser tout ce qu’on peut.


D.Z . : C’est ça qui est sympa dans l’écriture d’un scénario, tu raccourcis les problèmes, il faut que tu trouves les solutions rapidement. J’aime bien aussi certains aspects des codes du polar, comme l’accélération finale, ou on peut avoir le sentiment d’avoir la solution et soudain j’abat une dernière carte, je garde une longueur d’avance, j’aime bien jouer avec ça. Ça fait partie des rouages scénaristiques, tout ça.

La série reste tout de même ancrée dans une succession d’enquêtes sans pour autant que tu ailles forcer le background de Philippine, sans aller explorer ses problèmes à elle. On reste dans un côté « utilitaire » du personnage, elle a une affaire, elle l’aborde, trouve des solutions et hop.


D.Z . : C’est vrai, mais j’ai prévu de rajouter, dans les deux prochains tomes un peu de psychologie à tout ça, en revenant par exemple sur ses racines. Il s’avère qu’elle est d’origine viking, à la base. Donc le prochain album ne se déroule pas à Amiens, mais en Norvège. Elle va partir en croisière avec sa mère et bien évidemment il va se passer des trucs incroyables sur le bateau.

Du coup, tu parles d’autres albums qui arrivent ensuite, qu’est-ce qui est prévu pour Philippine ?


LD.Z . : e 7ème album est déjà écrit, Greg travaille sur les planches. C’est l’histoire qui se passe en Norvège, là où l’on ne nous attend pas. Pour le 8, j’ai un truc assez ambitieux qui se déroulera certainement sur deux volumes, ou chaque personnage sera l’ambassadeur d’un thème social précis, il n’y en aura pas qu’un seul. C’est le sujet sur lequel je travaille en ce moment, pour lequel je fais ces fameux entretiens avec les jeunes comme ce que je te disais auparavant. Ça parlera du genre, des enfants placés sous X, abandonnés, avec le parcours de l’assistance, tout ce qui me concerne intimement. Ça parlera aussi de refaire sa vie quand on est quelqu’un de mature, avec la mère de Philippine qui va se recaser, par exemple, une seconde vie, affective, sexuelle et tout. Je vais essayer de tout aborder, un vrai feu d’artifice.

Un récit beaucoup plus ample, du coup.


D.Z . : Oui, deux volumes, au moins, avec une intrigue policière, à chaque fois, très soutenue.

Ce projet d’animation t’a donné des idées pour dépasser le cadre de l’album pour cette série, d’autres projets de ce genre ? Les Escape game, c’est une utilisation intéressante pour ce type de série.


D.Z . : Oui, j’y réfléchis, déjà le tome 8 va se terminer au festival d’Amiens, avec une mise en abime, les auteurs qui sont représentés dans l’album… Mais c’est vrai que décliner Philippine sous d’autres supports, ça me plait bien, je ne connaissais pas, c’est tout nouveau pour moi. Je suis resté assez jeune homme dans ma tête, je veux bien partir dans des directions comme ça.

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants