Pourquoi avoir choisi le duo Ed Brubaker/Sean Phillips, aujourd’hui ?
Manon Fouraignan : Quand on prépare un festival, vient toujours le moment où l'on se demande quel projet d’exposition pourrait nous intéresser au point de passer une année complète à ne penser qu’à ça, à lire et relire les mêmes bandes dessinées. Les comics d’Ed Brubaker et Sean Phillips ont été comme une évidence, par l’abondance du corpus et la densité de la narration de Brubaker qui rend palpitante chaque relecture. Cette exposition est aussinée d’une volonté de mettre en avant les comics et notamment les comics indépendants. Même si Brubaker et Phillips sont des noms identifiés sur le marché des comics en France, on aimerait que leur public s’élargisse encore davantage. L’exposition vise ainsi avant tout à faire découvrir différentes séries à un public de non initiés.
Par ailleurs, un hasard de calendrier a fait qu’à la même période, en juin 2022, Delcourt commençait sa publication en Intégrale de Criminal. Entre les republications et la série en cours Reckless, nous étions raccord avec l’actualité en librairie, car même après plus de 20 ans de collaboration, le duo est encore très prolifique !
Comment définiriez-vous le style Brubaker/Phillips ?
M.F. : Ed Brubaker et Sean Phillips aiment parler de leur style en utilisant le terme anglophone “Neo Noir”. C’est d’ailleurs ce concept qui donne son nom à l’exposition d'Amiens : Nouveau Noir. De la même façon, j’aime penser que Brubaker et Phillips participent à la modernisation des codes du polar en bande dessinée. Cette modernité vient sûrement du mélange des genres qu’ils maîtrisent parfaitement et des multiples références qui ont été digérées et qui sont réinjectées, tant thématiquement que visuellement, dans leur œuvre.
Ce que je trouve également intéressant dans leur duo, c’est la fresque de l’histoire américaine qui se dessine lorsque l’on met tous leurs comics bout à bout. Pulp et Fondu au Noir sont des récits pré et post-Seconde Guerre Mondiale. Criminal balaie, à travers plusieurs générations, 50 ans d’histoire américaine. Reckless met en avant les années 80 (et un peu 70). Une analyse paradoxale quand on sait que Sean Phillips est Britannique. Pourtant, dans Reckless on pourrait croire qu’il a vécu en Californie dans les années 80 ! C’est là que la question des influences visuelles devient très intéressante, car on a l’impression que c’est ici que le scénariste et le dessinateur se retrouvent.
Planche de Criminal © Phllips et Brubaker
Quels peuvent être les critères pour le choix des œuvres exposées ?
M.F. : Depuis que nous avons commencé à préparer cette exposition, tout a été question de choix et de sacrifices. Le projet est ambitieux et l’espace d'exposition limité, ce qui nous a amené à réduire le corpus d'œuvres présentées. En conséquence, l’exposition se focalise sur 4 récits des auteurs. Criminal en tant qu'œuvre centrale du duo occupe l’espace le plus important. C’est là que nous allons aborder 5 thématiques récurrentes dans leurs œuvres, majeures dans Criminal : la question de la violence, la figure de la femme fatale, le sujet de l’addiction, les dynamiques familiales et enfin le statut de l’auteur.
Les 3 autres espaces seront consacrés à Kill or Be Killed, Fondu au Noir et Reckless. Les grandes séries sacrifiées sont donc Sleeper, Incognito, Fatale et Pulp. Même si pour Pulp, ça n’est pas 100 % vrai…
L’exposition est presque uniquement composée de planches, qu'elles soient originales de Sean Phillips ou des reproductions. J’espère que les choix effectués sauront mettre en avant le travail de narration de Brubaker, même sans ses textes.
Planche de Kill or not be killed © Phillips et Brubaker
Comment cette exposition a-t-elle été pensée côté scénographie ?
La Halle Freyssinet (halle de béton datant de 1928) qui accueille le festival est un lieu magique, dont les nombreuses contraintes poussent à redoubler d’imagination. Ainsi, la scénographie générale de l’exposition a été pensée pour s’adapter aux contraintes de l’espace d’exposition qui ne permet pas de pousser les jeux de lumières au maximum. Cependant, cela n'empêche pas de faire un gros travail d’ambiance, y compris en lumière pour certains espaces où c’est possible ! Alors oui, il devrait y avoir un peu de néons... Côté scénographie, le défi est de reproduire un lieu de rencontre central pour les personnages, dans les pages de Criminal et de créer un côté immersif qui donnera l'impression au visiteur de rejoindre l’histoire. Il faudra venir voir pour nous dire si c’est réussi…
Combien d’œuvres sont exposées ?
L’exposition comporte à la fois des dessins originaux de Sean Phillips (une vingtaine de planches) et un grand nombre de reproductions, notamment, car pour Fondu au noir et Kill or be killed, il n’existe pas d’originaux. Au total, près de 80 planches seront exposées.
Côté auteurs, Ed Brubaker n’a pas pu répondre favorablement à notre invitation. Par contre, nous aurons la chance d’accueillir Sean Phillips qui traversera la Manche pour nous rejoindre ! Il sera présent sur le premier temps fort du festival, les 3 & 4 juin. Nous sommes actuellement en train de préparer quelques petites choses avec lui qui pourraient renforcer l'interaction avec son public.
Et pour ceux qui n’auraient pas la chance de venir début juin sur Amiens, l’exposition sera accessible tous les week-ends du mois de juin !
Exposition
RVBDAMIENS2023
ZOO92
Juin2023
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