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Quand la fiction s'invite à table...

La Star Wars Cantina, Les Recettes Enchantées ou encore la Cuisine dans Zelda… Ces livres de recettes semblent tout droit sortis de vos sagas préférées ? Normal, ils sont issus de la collection Gastronogeek chez Hachette, réalisé par Thibaud Villanova, alias… Gastronogeek. Rencontre avec ce cuisto fou de pop culture.

Quand on commence à parler de votre parcours, on a souvent tendance à commencer par Le Dernier Bar avant la fin du monde au 19 avenue Victoria à Paris. Comment s'est déroulée votre rencontre entre la Pop Culture et la cuisine ?

Je parle souvent d’Alignement de Planète, car je suis un enfant des deux. Mon père était boulanger et j’ai de la famille cuisinière de profession. Chez moi, on a toujours fait à manger et on a toujours prêté beaucoup d'attention aux instants du repas. Pour le côté partage, le vivre ensemble et la transmission. En parallèle, j'avais le droit de me passionner pour les jeux vidéos, le cinéma.... Tant que mes études marchaient bien. Ça remplit une partie de ma vie.

Je suis arrivé au Dernier Bar surtout car j’avais besoin de m’occuper. Le Dernier Bar s'est monté à peu près au moment où la pop culture a commencé à devenir mainstream. Quand j'étais adolescent, on était peu nombreux et on se faisait discret, sinon on passait pour des mecs bizarres. C’était aussi l’époque des émissions, des concours culinaires, des petites productions et des web-séries. Le Dernier Bar a juste été un point d'alignement des planètes.

On avait 400 m² de décors de cinéma qu’on prêtait beaucoup aux créateurs de contenu. Dans cette effervescence, j’ai l’idée d’une émission de cuisine geek. Je contacte plein de boîtes de production à Paris. Tout le monde me dit « C'est génial, faut absolument le faire, on a pas d'argent ». Je me retrouve avec un projet, mais à tout mettre dans un tiroir. C’est ma femme qui m’incite à faire un livre. J'en parle au patron du Dernier Bar à l'époque qui me dit « Non, ça ne marchera pas, c'est pas intéressant ». On a signé chez Hachette(n°1 des ventes de livre de cuisine en 2014) une semaine après.

En tant que geek, j'étais un peu gavé d’entendre « Regarde, y'a marqué Naruto sur la boîte, t'as qu'à acheter ». J'avais envie de faire de la vraie cuisine, bonne et vraiment inspirée d’un livre, d’un jeu ou d’un film. Quelque chose de sérieux avec des photos prisent par un photographe culinaire comme les grands chefs étoilés. On a été très exigeant. J'ai tout plaqué, je me suis mis à ne faire que ça et le premier livre a marché.

Vous avez toujours été intrigué par les repas dans la fiction ?

Un repas, c’est une scène d'exposition. C’est une façon d'en dire beaucoup sur les personnages sans les faire parler. Naruto, par exemple, vous savez qu'il va manger des ramens chez Hiraku à chaque fois qu'il lui arrive un truc, et qu’Hiraku va se démener pour lui en faire quoi qu’il arrive. C’est un peu « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ». C’est doublé d’une identification du lecteur au personnage car on peut être amené à manger la même chose. Ces détails me passionnent.

Gastronogeek Anime

Gastronogeek Anime © Thibaut Villanova, Hachette, 2023

Dans la fiction, il y a « mon plan pour conquérir le monde et réservez-moi un peu de soupe ». C'est vraiment le cas dans Game of Thrones. Il y a énormément de scènes de climax à table. Lors de notre première rencontre avec Tywin Lannister, la guerre pour le trône bat son plein. Il affronte les Stark qui sont des vassaux des Baratheon. Or, il est en train de dépecer un cerf – l'animal totem des Baratheon – pour en faire un ragoût. C'est ça qui m'intéresse, qui me passionne. Des détails sont donnés par les auteurs et je trouve que ce serait dommage de passer à côté.

Mon métier en dehors de faire des recettes, ça reste de faire des photos en immersion. On reproduit les décors, les scènes, on se prend la tête parfois pour retrouver la même vaisselle. Quand je peux entrer en contact avec les designers des films pour avoir les vrais, je le fais. On essaie de prolonger l’expérience du lecteur.

Vous reproduisez des recettes, mais vous en inventez aussi. Quelle est votre méthode ?

Quand il y a des bols sur une table et qu’on voit ce qu'il y a dedans, je me dis « À quoi ça ressemble ? Est-ce un univers dystopique ? Est-ce un univers imaginaire ? » Prenez The Witcher. Il y a des créatures qui n'existent pas, mais les personnages mangent des volailles, des faisans… Je vois comment l'assiette est faite et je me repose sur la technique et ma papillothèque.

Une papillothèque, c’est comme le palais mental de Sherlock Holmes. Il ferme les yeux et toutes ses informations sont rangées. Moi, c'est pareil avec les saveurs. Je peux nommer… 30 ingrédients qui iront très bien avec le basilic. C’est commun chez les chefs cuisiniers.

Quand je vois une assiette, je me dis que ce légume-là, il va bien avec tel autre ou cette volaille. Dans l’histoire on est sur du gibier chassé, donc c'est peut être un faisan. Je fais de la rétro-ingénierie. Je pars du produit fini pour essayer de créer la recette. Ensuite le gros du travail, une fois que la recette existe, c'est de la vulgariser pour que les gens puissent la refaire chez eux.

Gastronogeek Anime

Gastronogeek Anime © Thibaut Villanova, Hachette, 2023

On retrouve vos émissions sur Youtube et sur Twitch, vous teniez absolument à reprendre ce concept ?

En soirée, j'ai eu la chance de rencontrer Squeezie qui adore mon projet et il me botte le cul pour que j'aille sur Youtube. Je lui dis, « mais je suis nul en vidéo, je sais pas faire, j'ai jamais fait ». Et il me répond, « Mais comme nous tous en fait ». Je me suis donc lancé. Il y a eu du développement sur la chaîne Youtube malgré mon gros amateurisme à faire de la vidéo. Je pense que les gens ont vu que les recettes étaient bonnes et ont eu envie de les faire. Mais avec Youtube, il faut prendre beaucoup de distance sur ce qui marche ou non, et sur le comportement des internautes. Twitch ? Ça m'a simplement permis de faire de la télé avec les gens. On fait des émissions de télé mais en interactivité avec le public, avec la Communauté. Si quelqu’un me demande de remontrer un geste, je peux le refaire tout de suite. Parfois, quand un internaute pose une question pour mon invité dans le Chat, cela rend mon interview encore meilleure.

Vous avez aussi rencontré des cuisiniers durant votre parcours. Quel est le regard des cuisiniers professionnels sur votre travail ?

Ça a beaucoup changé. Pour beaucoup, l’entertainment n'est pas sérieux. Dans les années 90, des personnalités publiques faisaient des émissions pour dire que jouer à un jeu de rôle, c’était sataniste. Mais le monde réel est en train de se rappeler que peu importe l'inflation, la pop culture, c'est plus X %. Ça continue de fonctionner, quoi qu’il arrive.

Tout ce que j’ai fait, c’est que je me suis mis à rendre ça sérieux pour des gens qui ont fait de grandes études, pour des banquiers et compagnie. On rappelle que le dernier Zelda, en 48 heures c’est 10 millions de copies vendues à 60 € en moyenne. D'un coup, c'est très sérieux.

La cuisine, c'est un peu la même chose. Les cuisiniers m’ont vu débarquer alors que je n'avais pas fait d’école. Ma seule cooptation, c'est que je suis préfacé par Thierry Marx, lui qui ne donne pas sa voix facilement. Ça donne de la crédibilité. Le fait qu'on soit chez Hachette cuisine, premier éditeur de livres de cuisine à ce moment-là en France, ça nous a aidés. Mais aussi le fait qu'on bosse avec des photographes culinaires. Et le fait qu’au final on soit pas dans le sectarisme.

Quand des gens me disent « vous n’êtes pas sérieux », je leur réponds « Mais non, venez quand même ». On tend la main à tout le monde. Maintenant, des cuisiniers appellent pour passer dans l’émission, des restaurants demandent de venir goûter leur nouveauté. Je prends tout ça et je crée de l’humain.

Aujourd'hui, je suis extrêmement honoré. Je vois vraiment ça comme un privilège d’aller sur un festival comme Taste of Paris où je vois des jeunes quitter le restaurant d'un chef étoilé pour venir me voir et me dire « C'est grâce à vous que je fais de la cuisine. » Là, je me dis que c’est cool.

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