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Virginie Augustin, une dessinatrice en toute liberté

Rencontre à la terrasse d’un café avec la talentueuse Virginie Augustin. L’occasion d’évoquer autour d’un verre quelques jalons clés de son parcours dans le milieu dans le Bande Dessinée et de parler de la vaste exposition retraçant une carrière déjà riche et variée (entre autres Alim le Tanneur, Voyage aux ombres, Monsieur Désire, Joe La pirate, Conan le Cimmérien, Valérian, Toujours prêtes…). L’expo est visible à Blois, à la Halle aux Grains, du 17 au 19 novembre 2023, dans le cadre de BD Boum.

Virginie, tu as travaillé avec Wilfrid Lupano, Christophe Arleston, Yann, Hubert, Kid Toussaint, Pierre Christin, Julien Hervieux, et je dois en oublier. As-tu une préférence en termes de fonctionnement avec un scénariste puisque chacun a ses habitudes de travail ?

Virginie Augustin : La collaboration que j’ai préférée, c’est avec Hubert. Ce n’est pas évident, maintenant, bien sûr (NDLR : Hubert est décédé) ! Mais cela a été l’ultime collaboration ! Souvent, les scénaristes viennent avec une idée assez précise de ce qu’ils veulent, même si la main du dessinateur peut beaucoup changer. Ils voient souvent les choses en images, ils se font une projection vers le cinéma quand ils écrivent. Avec Hubert, je n’avais pas cette impression-là. Ses scénarios n’étaient pas du tout écrits comme ceux que j’ai pu lire de ses collègues. Ils n’étaient pas découpés en cases. Il pouvait le faire mais assez rapidement, je lui ai dit que ce n’était pas nécessaire. Il faisait des scènes. De lui-même, il avait cette capacité à mettre en place : la scène qu'il écrivait correspondait à une planche.

C'était un petit morceau de synopsis correspondant à une planche, un peu comme faisait Goscinny ?

V.A. : Goscinny était plus précis, mais ça se rapprochait de cet ordre-là. Hubert faisait un paragraphe avec les dialogues. À partir de ça, je faisais un storyboard, je le lui envoyais et on rediscutait du board, on remettait les choses en place. On retaillait éventuellement dedans, parfois pas du tout, parfois beaucoup. C'était vraiment un travail de composition à quatre mains, une véritable collaboration, que j'ai vraiment le plus appréciée parce que son travail était toujours dans l'intérêt du livre. Avec d'autres scénaristes, souvent il y avait un côté déjà fait, le scénario est déjà là. Quand on met en images directement à partir des informations qui sont données, c’est trop vite stable. C’est écrit… ce qui est le travail des scénaristes, aussi !

Tu as des approches graphiques vraiment différentes d'une série ou d'un one shot à l'autre. Est-ce spontané ou est-ce mûrement travaillé pour arriver à ce changement style ?

V.A. : À chaque fois, cela vient de l’histoire : quand je lis le script, je vois des images, un style. Je me dis : tiens, ce que j’ai fait précédemment n’est pas forcément adapté, ce serait mieux si je changeais. Aussi, il y a des choses que j’ai envie d’explorer et cela s’y prête à ce moment-là. Ou c’est né pendant l’album précédent, que j’aimerais bien aller dans telle direction. Hormis certains cas, parce que pour Conan le Cimérrien, on avait une charte graphique. On était libre pour beaucoup de choses, mais j’avais quand même une charte graphique mentale. Pareil pour Valérian, j’avais une charte graphique, évidemment. On ne peut pas faire autrement.

Virginie Augustin : Rencontre avec Virginie Augustin

Conan le Cimmérien - Chimères de fer dans la clarté lunaire
© Virginie Augustin - Glénat

Pour Joe la pirate, tu as choisi le noir et blanc…

V.A. : Pour Joe la pirate, c'est arrivé très vite, c’est venu du noir et blanc de Conan. Je me suis bien amusée et je me suis dit que c'est cool de bosser en noir et blanc. Joe la pirate se passait quand même dans les années 20, donc c’était logique. J’en ai parlé rapidement à Hubert qui était d’accord. L’éditeur aussi, et on est parti comme ça. Le noir et blanc induit énormément de choses dans le graphisme.

Pour le Conan que tu as fait, « Chimères de fer dans la clarté lunaire », on voit un plaisir graphique encore plus fort, un gros travail graphique, dans les détails, le travail sur le relief, les ombres etc. Est-ce le fait d’écrire ton propre scénario sur la base de la nouvelle de Robert E. Howard ou est-ce le côté « muscles » qui t'a titillée ?

V.A. : Conan, c'est la base pour moi, j'ai plus de facilité à faire un Conan qu’à faire autre chose. C’est ma base graphique. Un copain rigolait en disant que je dessinais tout le temps des barbares. Ancienne rôliste, ancienne illustratrice de jeux de rôle, c'est un truc sur lequel je me sens plutôt bien. Au contraire, aller vers du graphisme simple, ça m'est plus compliqué, même si aujourd’hui, ça va un peu mieux. Conan, c'était revenir à ce que j'aime faire. Ça a pris du temps aussi, d’autant que j’ai fait l’album deux fois : d’abord en numérique pour être sûre de voir ce que donnait mon encrage, puis j’ai tout refait à l’encre.

Tu as fait des variations entre la version en numérique et celle à l’encre ?

V.A. : Très très peu.

C'est la seule fois où tu as été ta propre scénariste, même si tu faisais une adaptation ?

V.A. : Oui, et c'est pour ça je ne me considère pas vraiment comme une scénariste puisque c’est une adaptation. Un élément important par rapport aux originaux, par rapport au champ graphique, c'est aussi l'outil. Je n'ai pas fait d'école de dessin. J’ai fait l’école des Gobelins mais ce n'est pas une école de dessin, donc j'ai beaucoup d'apprentissage en retard. Et je me dis : tiens, j’aimerais bien travailler au pinceau. Par exemple, je me le suis permis pour Joe la pirate, car je travaillais sur tablette graphique, donc c’était rassurant et très pratique.

Joe la pirate, c’est un personnage hors norme, attachant malgré ses défauts. Aurait-elle pu être ton amie ?

V.A. : J’aurais bien aimé. C’est une amie impossible, à mon avis, qu’on peut avoir trois ans, avant de ne plus se voir. Même si je peux aussi garder des amitiés très très longues. En tout cas, j’aurais aimé la rencontrer !

On retrouve dans ton dernier album Toujours prêtes, avec des histoires beaucoup plus courtes que dans Joe la Pirate, des femmes fortes qui devaient parfois être peut-être « insupportables » au quotidien par ce côté excessif. Mais on aurait aimé les connaître, comme Marie Marvingt, pionnière de l’aviation, aéronaute, alpiniste, etc.

V.A. : Je pense qu’en plus Marie Marvingt était quelqu’un de facile d’accès. Elle a fait énormément de conférences pour raconter ses voyages ; aussi plein de gens ont pu aller à sa rencontre. Elle avait vraiment l’air d’être quelqu’un de solaire. Curieusement, à l'inverse, Marie Curie avait le visage fermésur les photos. Elle n’a pas eu une vie facile non plus !

Après Joe la pirate, on m’a pas mal proposé des destins de femmes, des bibliographies de femmes extraordinaires mais je n'avais pas du tout envie de remettre ça ! Sur 200 pages, sans façon ! Tout le monde est en train de faire ça, et à raison, car moi je l’avais fait aussi ! Et finalement je trouvais qu’avec Toujours prêtes, c’était bien de le faire vachement plus vite, en passant moins de temps sur chaque femme, de façon rigolote comme l’a fait mon scénariste Julien Hervieux.

C’est un one-shot, cet album, ou il y en aura d’autres ?

V.A. : Il y en a d’autres qui doivent arriver… un jour ! Mais il va falloir que je m’y mette !

Après ton Valérian « Là où naissent les histoires » qui est de la SF très « terrienne », est-ce qu'une BD de space opéra te tenterait ?

V.A. : Je n’aime pas la SF sauf Valérian qui est ma série préférée en BD franco-belge depuis très longtemps. Je pense que c’est la seule que j’ai pratiquement au complet, et que j'adore. Et il n’y a que Valérian sur lequel je me sens bien parce que j’adore le dessin de Jean-Claude Mézières, qui avait cette capacité justement de rendre très humaine la SF. Valérian a quand même toujours les pieds dans la merde, c'est absolument incroyable ! Il y a toujours des galères. Il n’a jamais l’air d’être préparé à ce qui lui arrive, mais finalement, il est assez blasé quand même... C’est super français, ce comportement. Je pense à Coluche quand il dit que Roger Gicquel, il a l'avion qui vient de s'écraser sur ses pompes. Valérian, c'est un peu la même chose : les problèmes viennent d’un seul coup sur les siennes.

Si jamais je devais faire de la SF, je lorgnerais de ce côté-là. Mais la SF, c’est vachement difficile pour arriver à faire quelque chose aujourd’hui. Je vais avoir le discours de la vieille conne, mais il y avait plus de choses inspirantes quand même dans les années 70. Ils ont éclaté l'image dans les années 60-70, jusqu’aux années 80. Après, c'est peut-être parce que je ne cherche pas. J’ai vu des images et des illustrations qui sont géniales mais j'ai l'impression qu'il manque de l'innovation, que quoi qu’on fasse, cela a déjà été fait. Les publications aujourd’hui, c’est plutôt sur des mondes proches du nôtre, du post-apocalyptique. On est davantage sur la description de notre monde d’aujourd'hui que sur des mondes nouveaux. L’espace ne fait plus rêver.

Valérian, vu par... - Tome 0

Valérian, vu par... 
© Virginie Augustin, Pierre Christin - Dargaud

Tu fais de la danse. Ce travail sur le corps a un impact sur le dessin ?

V.A. : C’est important pour moi, pour mon équilibre personnel car cela me soutient moralement, physiquement. Sinon je passerais ma vie sur ma table à dessin. Donc, comme je ne sors pas… Et effectivement, pour l'observation du mouvement, il y a des choses dans la danse. Je pense que je peux avoir des bases.

Il y a certains dessinateurs qui parlent pour leur travail d'une notion de plaisir et d'autres de souffrance. Tu es plutôt dans quoi ?

V.A. : Dans l’équilibre. C'est rarement confortable en fait. Mais ça peut être un vrai plaisir. Il y a des moments géniaux où quand tu commences à dessiner, tout sort comme on veut. Mais ce n’est pas tout le temps !

Je crois que c’est Sempé qui disait sur l’angoisse de la page blanche : Quand le dessin ne sort pas, ce n'est pas grave, il faut aller faire un tour, puis on revient… et ça sort ! Je fais partie des gens qui dessinent depuis qu'ils sont tout petits et le monde disparaît quand on dessine. Je vois mon neveu qui dessine beaucoup, on ne le voit plus ! On peut lui parler, il dit « Oui, oui, attends, je finis ! »

À BD Boum, le festival BD de Blois, une exposition intitulée « Librement inspirée » va être consacrée à ton œuvre. Pourquoi "librement inspirée" ?

V. A. : Bruno Genini, le commissaire d’expo, m’a dit : « On met quoi comme titre ? Si tu as des idées, je prends ! ». Je lui ai dit que je n’en avais pas, puis j'ai quand même réfléchi un petit peu et il a dû faire la même chose de son côté. « Librement inspiré » parce que la liberté, c'est toujours assez important pour moi. Et « Inspiré » parce que pour la plupart des participations, des reprises, des albums que j'ai pu faire dernièrement, cela vient de là : j’essaie de trouver une direction graphique, quelque chose qui me guide, que j'ai pu lire, que j'aime bien. Ce qui fait que j’ai un style plutôt indifférencié. C’est au gré de mes inspirations, finalement !

Comment cela se passe avec les organisateurs de l’exposition pour le choix des œuvres ?

V.A. : Les deux s’appellent Bruno ! Ils sont venus à la maison regarder les originaux qui pouvaient les intéresser. Les « Brunos », je les connais depuis très longtemps, ils ont toujours eu un regard plutôt sympa sur mon travail. Là, je pense qu'on est parti très large sur ce que j'ai pu faire. En regardant mes originaux, ils se sont dit « Ah oui, ça c’est bien ! ». Je ne sais pas ce qu’il y aura dans l’expo, mais ils ont pris pratiquement de tout !

Que doit apporter aux visiteurs une telle exposition pour que tu sois satisfaite ?

V.A. : Après avoir été impressionnée, je trouve finalement qu’il y a quelque chose de très artificiel dans les expositions du travail des dessinateurs. Parce que nous ne sommes pas des peintres… J’admire ceux qui arrivent à faire les deux, par exemple Mathieu Lauffray ou David Sala. Mais un bouquin est un ensemble de pages. Donc, je ne sais pas trop ce que l’expo doit apporter aux visiteurs… Voir que le dessin, cela peut être des variations ?

La plupart du temps, les gens qui viennent à mes expos connaissent éventuellement certaines choses de mon travail, mais ils ne font pas d'analogie entre mes différents bouquins. Aussi, je souhaite aux visiteurs un peu de découverte, peut-être ? J’aimerais bien leur poser la question après la visite ! Mais c’est un peu relou d’être à la sortie de l’expo et de leur demander : « Alors, vous en avez pensé quoi ? »

J’espère que l’exposition peut amener des gens à des rencontres : en voyant les planches, cela peut les intéresser à un bouquin. Et si cela peut ouvrir à une discussion, c’est cool !

Pour conclure, tes projets, tes envies, des messages à faire passer aux éditeurs ?

V.A. : Je suis assez vernie, je crois. Je travaille à peu près sur tout ce que je veux, actuellement. Je travaille sur un très gros projet : une histoire de la Comédie Française, pour l’éditeur Rue de Sèvres avec Michaël Le Galli. Il a travaillé notamment sur la série Sept chez Delcourt et sur des choses comme ça. Je ne sais pas si ce sera passionnant à lire, mais c’est passionnant à faire ! Ce sera une série en trois tomes d’une centaine de pages.

Alors, ce sera plume, pinceau, tablette ?

V.A. : Tablette ! Et j'essaie un style encore un peu différent. Par contre, je commence à ramifier mes différents styles ; donc je pense que c'est entre Monsieur désire et peut-être Toujours prêtes. On lorgne un petit peu du côté humoristique. Molière a un gros nez !

C'est super, je te remercie.

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