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Geof Darrow, l'auteur américain qui a travaillé avec Moebius et Frank Miller

Geof Darrow, 69 ans, a dessiné Hard Boiled et Big Guy, deux BD écrites par son ami Franck Miller. Grand fan de Blueberry, il a aussi travaillé avec Moebius. Depuis 2019, il vit dans un petit village du Nord-Finistère près de Morlaix avec son épouse Lorraine, scénariste, professeure de scénario et traductrice, notamment des BD de Geof, éditées chez Futuropolis. Le 4 janvier 2024, le tome 4 de sa série loufoque et déjantée, The Shaolin Cowboy : Pour une poignée de beaufs est sorti . Entretien.

Comment avez-vous commencé à travailler dans la bande dessinée ?

G. D. : J'ai commencé la bande dessinée en France. Mon rêve a toujours été de pouvoir faire des BD en France. J'ai rencontré Moebius à Los Angeles alors qu'il travaillait sur le film Tron, au début des années 1980. J'étais un très grand fan depuis que j'avais découvert Blueberry dans une librairie BD en Californie : j'avais trouvé ce mec étonnant. J'avais aussi lu Bernard Prince d'Hermann et Greg et Valérian de Christin et Mézières.

Un jour, un ami haut placé chez Disney, aux États-Unis, me propose de rencontrer Moebius. Il est venu dîner chez moi avec son épouse et nous sommes restés en contact. J'avais alors dessiné une petite histoire en quatre pages : il m'a calé un rendez-vous avec les responsables de la revue Métal Hurlant, qui l'ont publiée. Moebius montait sa maison d'édition pour éditer des sérigraphies, porte-folio... Il vendait certaines de ses œuvres, mais aussi de Franquin... Je suis venu à Paris pour travailler avec lui, je faisais les crayonnés et Jean (Giraud, alias Moebius), les dessins et les couleurs. Il m'a ouvert la porte à la bande dessinée en France et je me suis installé à Paris.

Après votre rencontre avec Moebius, celle avec Frank Miller, le père de la série Sin City, a également été déterminante dans votre parcours ?

G. D. : J'ai fait mes propres BD, puis j'ai effectivement rencontré Frank Miller dans des salons de BD en Amérique, à San Diego alors que je vivais toujours à Paris. Moebius travaillait sur un dessin animé. Il m'a appelé pour me demander de venir rencontrer Miller. Comme Moebius était toujours en retard, j'ai passé quelques heures tout seul avec Frank. Quand je suis retourné vivre à Los Angeles en 1987-1988, il m'a proposé de dessiner Hard-boiled, dont il avait écrit le scénario.

Hard-boiled

Hard-boiled © Futuropolis

C'était à la fois génial et effrayant, car Frank était un monstre, un auteur au top. Je crois que je l'ai rendu dingue : j'ajoutais souvent des scènes qui n'étaient pas dans le scénario. Puis on a enchaîné avec Big Guy alors que j'étais venu m'installer en Normandie avec ma femme française, Lorraine. J'en avais marre d'habiter à Paris, car c'est cher et pas toujours très drôle.

Quels sont vos influences ?

G. D. : J'ai toujours aimé le western, les films japonais de samouraïs et les films chinois de kung-fu.

Comment est né The Shaolin Cowboy, votre propre série dont le quatrième tome, Pour une poignée de beaufs, est sorti le 4 janvier 2024 en France ?

G. D. : C'est ainsi qu'est née cette histoire qui mélange un peu toutes ces choses. Je dessine pour m'amuser, même si ça n'amuse pas les autres (rires). Je pense que j'ai plus de lecteurs aux États-Unis qu'en France : les Américains ne sont pas très compliqués et moi je fais beaucoup de BD d'action, j'adore les films d'action. Pour moi, l'histoire, c'est l'action, le dessin. Ce n'est pas la peine de passer deux pages à expliquer un dessin alors que tu peux le faire en deux ou trois cases. C'est comme ça que je vois les choses.

Cowboy Shaolin

Cowboy Shaolin © Futuropolis

Pour autant, vous aimez certaines BD françaises ?

G. D. : Bien sûr, François Boucq est un génie, j'aime beaucoup Rossi, Donjon de Trondheim et Sfar, Jodorwsky...

J'aime aussi beaucoup les mangas, j'ai commencé à en acheter quand ils étaient encore en langue japonaise. Je ne pouvais pas les lire, mais le sens du découpage est tellement bien qu'on comprend sans le texte. J'apprécie Dragon Ball, One Piece : quelle énergie... Je suis également sensible au dessin de Naruto et suis très intrigué par L'Attaque des Titans. Pour résumer, j'aime l'énergie dans le manga. Par contre, je trouve effrayante la façon dont ils travaillent avec des assistants, c'est devenu comme une usine de voitures : je préfère travailler tout seul. Sauf les couleurs, car c'est trop laborieux. Pour l'instant, je continue Shaolin Cowboy : je suis en train de travailler sur le tome 5.

Vous avez aussi travaillé pour le cinéma...

G. D. : Oui : la trilogie Matrix, Speed Racer... J'ai bossé sur tous les films des sœurs Wachowski. Mais j'ai plus ou moins arrêté de travailler pour le cinéma : ça prend beaucoup de temps et c'est difficile de suivre les idées des autres. Cela demande souvent de faire beaucoup de dessins, parfois pour rien. On a beaucoup parlé de ça avec Moebius et il ressentait la même chose. Avec les sœurs Wachowski, c'était facile : elles expliquaient, je faisais et boom ! Au pire, j'ai dû refaire des dessins une fois. Dessiner pour le ciné, c'est bien payé. Mais au bout d'un moment, l'argent ne suffit pas : la vie est trop courte. Qu'ils utilisent mes dessins ou pas, ce n'est pas le problème, ce n'est pas un problème d'ego, je trouve surtout agaçant de devoir faire et refaire.

Pourquoi avoir choisi de vous installer dans un petit village du Nord-Finistère ?

G. D. : Je voulais simplifier ma vie. Ma femme a une sœur qui vit dans la région. J'aime le climat : ce n'est pas trop chaud, pas trop froid. Comme ça, je suis tranquille chez moi et je peux dessiner ce que je veux, quand je veux. J'aime bien Paris, j'aime beaucoup Brest. Et quand je m'ennuie trop, je retourne en Amérique ou je vais visiter Tokyo. Le reste du temps, je dessine dans ma cave. Parfois, je sors faire de la bicyclette. Mais je reviens toujours dans ma cave et je fais des dessins.

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Commentaire (1)

Bravo pour cette rencontre et cet entretien d'un auteur fort sympathique. Je n'aime pas la débauche de violence qui traverse son oeuvre ( surtout dans Hard Boiled ...mais c'est "MILLER" le scénariste il est vrai ...) mais il y met un humour indéniable et une fantaisie ( excessive ) remarquable. Merci.

Le 31/03/2024 à 16h43