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John Tarachine, la Mangaka aux mille voyages

Publiée chez Akata depuis 2018 avec Goodnight, I love you, John Tarachine est une autrice voyageuse. Et à travers ses mangas, elle n’hésite pas à emporter ses lecteurs sur ses traces. Rencontre avec une mangaka voyageuse.

Votre première série, Goodnight, I Love you, est le voyage d’un jeune japonais en Europe. Votre seconde série, La Sorcière du Château aux Chardons, se déroule entre Edimbourg, Paris et Londres. Vous avez vous-même beaucoup voyagé. Quelle place le voyage a-t-il dans vos histoires ?

John Tarachine : J’ai toujours eu cette passion du voyage et l’envie de raconter les lieux que je visite dans mes mangas. Je trouve important de construire une histoire ou une ambiance à partir de souvenirs de lieux dont on connaît réellement l’atmosphère, que l’on a pu visiter et “ingérer” d’une certaine façon. J’ai surtout voyagé en Europe car ma sœur aînée y habitait. C’était plus facile de voyager dans cette région du monde-là et de lui rendre visite. A présent, j’aimerais visiter l’Asie. Je pense que fatalement, cette nouvelle expérience deviendra le point de départ d’une nouvelle histoire.

La Sorcière du château aux chardons, tome 1

La Sorcière du château aux chardons, tome 1
© Éditions Akata


Goodnight, I Love You…, tome 1

Goodnight, I Love You…, tome 1
© Éditions Akata

Finalement Ocean Rush, votre série en cours au Japon et en France, est la seule qui se déroule au Japon. Ce ne sera pas toujours le cas ?

J. T. : *rire* Les lecteurs japonais ont déjà la réponse à cette question. Vous l’aurez bientôt aussi.

Ocean Rush raconte comment Umiko, grand-mère et nouvellement veuve, décide de se lancer dans des études de cinéma, sa passion originelle. Vous racontez avoir vous-même fait des études de cinéma mais ne pas avoir été très assidue car vous préfériez aller en convention de manga. Quelle est votre relation avec le cinéma et avec le manga ?

J. T. : Le manga est une véritable passion pour moi. Devenir mangaka est un rêve assez courant chez les enfants japonais. Avoir pu réaliser ce rêve me surprend encore aujourd’hui et me rend très heureuse. Cependant, si j’en lis toujours pour le plaisir, ma passion est aujourd’hui accompagnée par des enjeux professionnels. Le cinéma, lui, est complètement détaché de ces enjeux. C’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. Il m’arrive de penser que j’aurai pu dessiner un manga sur le milieu du manga. Mais je trouve plus intéressant de prendre de la distance par rapport à ma passion et mon travail. Changer de sujet et parler de la notion de divertissement à travers le cinéma me donne un point de vue différent. Si j’avais mis trop de moi-même dans Ocean Rush, la tonalité de l’histoire n’aurait pas été la même. Par ailleurs, il y a déjà beaucoup de manga qui traitent du manga.

Ocean Rush, tome 1

Ocean Rush, tome 1 © Éditions Akata

Ocean Rush est parcouru par la métaphore de l’océan. D’où vous vient cette métaphore ?

J. T. : Pour moi, la mer décrite dans Ocean Rush représente l’état dans lequel je suis quand je crée. C’est l’incarnation de la passion créatrice. A travers le personnage d’Umiko, je mets en mot de nombreuses réflexions que je me fais lorsque je travaille.

Dans cette série, la lumière est presque liquide, elle éclabousse les personnages. Dans La Sorcière du Château aux Chardons, elle est organique, passant par le biais de fleurs ou de racine. Pourquoi dessiner la lumière de manière texturée ?

J. T. : Dans La Sorcière du Château aux Chardons, mon éditeur me demandait de faire des cases assez chargées en informations. Il devait y avoir beaucoup de détails foisonnants. Je n’ai pas pu représenter la lumière aussi simplement que je le souhaitais. Comme dans Ocean Rush où la lumière est sous forme de petites sphères telles des gouttelettes. J’ai une véritable préférence pour cette seconde méthode. Elle répond au thème et au fond de l’histoire. Elle amplifie le sentiment d’immersion du lecteur.

La Sorcière du Château au Chardons a un style un peu différent de Goodbye, I love you et Ocean Rush. Seules les onomatopées et les bulles sortent des cases. Là où dans Goodbye, I Love you et Ocean Rush, vous profitez davantage des gouttières entre les cases. Avez-vous cherché à faire évoluer votre style ?

J. T. : A chaque fois, je m’adapte aux demandes et réflexions de mes éditeurs. Je pense qu’Ocean Rush est la série avec laquelle je suis le plus à l’aise. A la fois sur les techniques de narration mais aussi parce que je suis assez libre de faire ce que je souhaite.

Par contre, La Sorcière de Château au Chardons était un vrai défi pour moi. C’était une période de grand questionnement. Avec mon éditeur, nous n’avions pas la même façon de concevoir le manga. Nos deux visions ne se répondaient pas et je n’arrivais pas à trouver un point de jonction entre elles. C’était douloureux, mais j’ai l’impression que ça m’a fait progresser.

Vos trois séries sont traversées par la notion de famille recomposée et de relation familiale sans lien filiale. Cette thématique est importante ?

J. T. : J’ai perdu mon père quand j’étais en deuxième année d’école primaire. J’ai surtout vécu avec ma sœur et ma mère. Cependant, comme ma sœur a 7 ans de plus que moi, j’ai avant tout passé du temps avec ma mère. Nous avons vécu à deux. Je me suis beaucoup interrogée sur ce qu’est une famille. Et en quoi notre famille était différente des autres. Je pense que ce sont ces réflexions qui ont nourrit mon travail.

John Tarachine : John Tarachine, la Mangaka aux mille voyages

© John Tarachine 2015 / KADOKAWA CORPORATION

Votre histoire personnelle fait beaucoup penser au parcours d’Ozora, le personnage principal de Goodnight, I love you. Il y a beaucoup de vous dans votre première série ?

J. T. : Oui, mais pas uniquement dans Goodnight, I love you. C’est le cas dans toutes mes séries. Je mets beaucoup de moi dans chacune d’elles.

Vous abordez, toujours avec délicatesse, des questions LGBT dans vos histoires. Pourquoi ?

J. T. : Dans les mangas, les personnes LGBT sont souvent représentées comme des êtres sortants de l’ordinaire, à part. J'aimerais les montrer comme des personnes tout aussi normales que les autres, dont l’existence ne pose pas plus question que ça. C’est tout à fait naturel pour moi qu’il y ait des personnes variées dans la vie et dans les histoires.

John Tarachine : John Tarachine, la Mangaka aux mille voyages

© John Tarachine

Pourquoi avoir fait d’Umiko un personnage âgé ? La création d’Ocean Rush, vous a-t-elle apprit quelque chose que vous ne soupçonniez pas ?

J. T. : Je pense que c’est nécessaire de faire des personnages différents et très variés. Comme au théâtre, ce qui est intéressant, c’est d’observer comment ils s’influencent les uns les autres.

En voyant la réaction du public, j’ai été surprise qu’elle plaise à un lectorat lui aussi très varié. Les lecteurs sont autant des personnes âgées que des enfants. Umiko, m’a fait comprendre que même s’il est difficile de transmettre nos passions, nos réflexions, les choses qui nous émeuvent et que nous aimons, on peut parvenir à les communiquer à toutes sortes de personnes qui ne nous ressemblent pas forcément.

Avez-vous des histoires qui sommeillent en vous que vous n’avez pas encore pu explorer ?

J. T. : Oui, j’aimerai notamment écrire une histoire qui met en scène les esprits. Au Japon, on pense qu’il y a des esprits dans les verres, les grains de riz... tout ce qui existe possède potentiellement un esprit. Ce n’est pas une croyance à proprement parler mais plutôt une façon de penser, de percevoir le monde. J’aimerais pouvoir travailler avec ces espèces d’êtres entre le fantôme et le divin.

Selon vous, créer permet-il d’élargir sa sensibilité et élargir le champ des possibles dans sa vie ?

J. T. : Oui, je pense qu’en tant qu’autrice de manga, toutes les expériences de ma vie peuvent nourrir mon travail. Il n’y a vraiment rien d’inutile. Tout peut être réinjecté dans mes histoires. Cela me donne envie de relever de nouveaux défis. Et c’est quelque chose qui me rend plus légère, car ainsi je me déleste d’un certain poids dans mon processus de création.

Article publié dans ZOO Manga N°14 Mai-Juin 2024

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