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Quand Aire Libre s’assombrit

Après ses adaptations des romans de Manchette, avec Cabanes, les aventures de Harry Dickson, avec Luana Vergari et Onofrio Catacchio, ou encore l’excellent Midi-Minuit avec Massimo Semerano, Doug Headline créé la nouvelle collection Aire Noire, qui s’inscrit assez logiquement dans cette évolution.

Quelle est la lettre d’intention de ce projet éditorial ?

Doug Headline : : Il s'agissait de donner un reflet ou un "miroir noir" à Aire libre, c'est à dire de créer un nouveau label d'une ambition équivalente, avec les mêmes exigences de qualité graphique, de densité littéraire, de richesse de la proposition de lecture dans son ensemble, qui soit entièrement axé sur les univers du polar et du roman noir. En bref : Aire Noire, ce sera la rencontre du roman graphique et de la littérature de genre, de grands romans noirs en BD, l'addition de récits originaux et d'adaptations de classiques. D'où notre slogan : "Là où le roman noir se dessine."

D’ailleurs, l’adaptation, en cours de réalisation de Que d’os, toujours avec Cabanes, viendra-t-elle se glisser dans les propositions Aire Noire ?

D.H : Oui, tout à fait, ce retour de notre détective privé Eugène Tarpon est prévu en fin d'année en Aire noire, en même temps qu'une réédition sous ce nouveau label d'un de nos meilleurs albums, NADA, paru en 2018, qui était pratiquement épuisé dans son édition en Aire Libre. Progressivement, nous allons réintégrer tous les albums Cabanes/Manchette sous ce label Aire noire.

Le premier volume de la collection, Parker est à nouveau l’adaptation d’un roman, cette fois de Richard Stark/Donald E. Westlake. Un album qui semble s’inscrire, « spirituellement », dans la continuité du travail de Darwyn Cooke. Pourquoi ce choix ?

D.H : Nous voulions un livre fort pour le lancement du label. Quoi de mieux que le retour après plus de dix ans d'un personnage qui a marqué, tant les lecteurs de bande dessinée grâce aux graphic novels de Darwyn (que nous adorons tous dans l'équipe Aire Noire), que les deux ou trois générations de fans des livres de Stark/Westlake ? Parker est l'un des plus grands personnages du roman noir, un de ceux qui a aussi la plus grande longévité. On ne peut pas tuer Parker, ni l'enfermer, il réapparaît toujours la tête haute, sous un visage ou un autre, et repart pour un tour. Il semblait donc tout naturel qu'il soit notre mascotte et notre fer-de-lance pour le label Aire Noire.

Couverture

Couverture "Parker 1969 - La proie" © Dupuis

Parker est un personnage complexe, hors-norme, à la fois dans ses excès, dans son refus de tout manichéisme. Qu’est-ce qui vous attire dans ce personnage brut de décoffrage ?

C'est un personnage culte, tout simplement. Quand on a lu ses aventures racontées par Richard Stark, on ne peut l'oublier. On garde aussi en tête la haute silhouette de Lee Marvin ou celle du Parker de Darwyn Cooke. Ce héros (ou antihéros ?) est totalement entier, c'est même un pur, qui n'obéit qu'à ses propres règles. S'il veut l'argent, il prend l'argent : les codes sociaux, il n'en a que faire. La loyauté envers ses partenaires, si. On lit parfois que Parker n'est pas sympathique : mais ce n'est pas le sujet. Il n'est ni sympathique, ni antipathique, il est là et il fait ce qu'il a à faire, c'est tout. Parker est une espèce de paladin du braquage, un prototype du parfait hors-la-loi, un homme qui ne fait pas de compromis mais agit sans aucune mesquinerie et ne cherche à nuire à personne. En ce sens, il est intemporel.

Extrait de

Extrait de "Parker 1969 - La proie" © Dupuis

Plus que jamais le Polar/Roman noir est un genre très vivant, dont les codes ont rapidement su évoluer au fil du temps, gardant des racines très solides, mais toujours avec cette capacité de se renouveler. Le catalogue Aire Noire permettra-t-il de faire la jonction entre « anciens » et « modernes » ?

D.H : En effet. Notre souhait est d'accueillir dans Aire Noire à la fois des créations actuelles, comme par exemple le brillant Contrapaso de Teresa Valero, ou la Dernière Aube, du romancier et cinéaste Jérémie Guez, (à paraître l'an prochain), et des adaptations de "classiques" comme les romans de Stark/Westlake ou ceux de Manchette, et par la suite celles de plusieurs autres grands titres et auteurs qui ont marqué le genre. Nous sommes là pour suivre les révolutions du polar et les accompagner, tout en animant son inépuisable patrimoine qu’on n’a jamais fini de redécouvrir et de faire découvrir. De Edgar Allan Poe à nos jours, c'est un genre qui a une histoire extraordinaire, d'une richesse peu commune.

Quelle est, selon vous, la place du polar, du roman noir dans la fiction d’aujourd’hui ?

D.H : Elle est très importante, c'est avec la Fantasy la littérature de divertissement la plus répandue et la plus lue. Mais par rapport à la Fantasy, le polar embrasse un public plus varié, car le genre se double d'une dimension de critique sociale, d'un regard sur notre monde et notre époque (ou sur des époques récentes qui nous aident à mieux déchiffrer et saisir la nôtre). C'est ce qui en fait un genre aussi prisé des lecteurs adultes, des lecteurs de romans en particulier. Il manquait jusqu'ici à ce très large public une collection de romans graphiques qui réponde à leurs attentes de lecture, c'est ce que nous espérons leur apporter avec le label Aire Noire.

Quels sont les projets d’Aire Noire, dans l’immédiat ? Combien d’albums sont prévus par an ?

D.H : Ce n'est pas un label qui a pour but d'accueillir un nombre fixe d'albums chaque année, ni d'ailleurs un grand nombre de livres. Nous allons traiter les projets un par un, les publier au terme de leur processus de création, et non avoir une politique volontariste de "remplir un certain nombre de cases" en imposant des délais de parution prédéfinis aux auteurs. Chaque projet sera différent, mais toujours ancré dans le genre. Aire Noire offrira trois ou quatre beaux livres par an, pas plus, et à chaque fois, nous essaierons de proposer des références dans le genre, des ouvrages qui auront une longue vie en librairie. La vocation d'Aire Noire n'est pas la quantité, mais la qualité.

Interview publié dans le mag ZOO N°103 Mars-Avril 2025

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