Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’échanger avec Yves Frémion, écrivain, critique, militant écologiste de longue date, mais surtout figure incontournable du monde de la bande dessinée engagée. En tant que secrétaire du Prix Tournesol, il participe chaque année à la mise en lumière d’une œuvre qui allie création graphique et message éco-citoyen.
Créé dans les années 90 en marge du Festival d’Angoulême, le Prix Tournesol récompense une BD porteuse de valeurs écologistes, humanistes ou sociales. En 2025 c’est l’album Ce que je sais de Rokia qui a reçu ce prix. Un prix atypique et engagé, souvent salué pour sa singularité.

"Ce que je sais de Rokia" Prix Tournesol 2025 © Futuropolis
Quel est votre rôle en tant que secrétaire du prix Tournesol ?
Yves Frémion : J’ai créé le prix il y a trente ans maintenant. Je ne me suis pas inclus dans le jury car je m'occupe de l'organisation chaque année. Je souhaitais un jury tournant. Donc non, je ne suis pas dans le jury. Certains pensent que je manipule les décisions, mais c'est impossible. Les six membres ont déjà suffisamment de mal à s'entendre entre eux.
Qui compose le jury du Prix Tournesol et comment est-il choisi ?
Y.F : J’ai conçu un jury selon des critères écologiques. Il est paritaire, avec six membres : trois hommes et trois femmes. J'ai cherché un équilibre entre le monde de l'art et celui de l'écologie. Il y a toujours à sa tête une grande figure de l'écologie, un représentant local choisi par les écologistes d’Angoulême ainsi qu'un écologiste associatif.
Du côté artistique, on trouve toujours le lauréat ou la lauréate de l'année précédente (s'ils sont deux, ils disposent d'une seule voix), une grande figure du monde de la BD ayant une sensibilité écologique, et un critique de BD. À l'origine, ce dernier poste était destiné à quelqu'un du monde du spectacle, mais c'était difficile d'en trouver.
Cette idée de prix de la BD écolo, vous l'aviez depuis longtemps ?
Y.F : Nous allons fêter en janvier prochain le 30ème anniversaire. Tous les dix ans, nous décernons un "Super Tournesol" à quelqu'un qui n'a pas eu le prix mais qui le mérite largement. Soit une personne plusieurs fois citée mais jamais primée, soit quelqu'un dont l'œuvre s'inscrit depuis des années dans les valeurs de l'écologie politique. Le premier a été attribué à Fmur, le deuxième à Causer, et le troisième sera décerné en janvier 2026 ou décembre 2025, peut-être lors du SOBD qui collabore avec la Maison du Climat à Paris et organise chaque année une exposition de BD écologiques.
Avez-vous tout de suite trouvé des gens pour vous suivre dans l'organisation de ce prix ?
Y.F : À l'époque, je travaillais à Fluide Glacial, où j'étais également critique de spectacle et critique littéraire. J'ai donc trouvé assez facilement six personnes.
Comment se fait la sélection des albums chaque année ? Quels sont les critères principaux ?
Y.F : Je reçois beaucoup d'albums. Les auteurs et attachés de presse m'envoient des ouvrages. J'ai maintenant l'assistance de Maël Ranou, qui est bibliothécaire avec une sensibilité écologique et lui-même auteur. Il me signale des titres, et d'autres personnes me font spontanément des suggestions.
Un groupe de travail, composé d'écologistes s'intéressant à la BD et d'amateurs de BD sensibilisés à l'écologie, est consulté deux à trois fois par an. Je leur envoie la liste telle que je l'ai à ce moment-là, et ils me donnent leur avis. Nous gardons ceux qui obtiennent le plus d'avis favorables. À la fin, nous sélectionnons entre 5 et 10 albums pour le jury. Celui-ci procède à un premier tour de vote sans débat pour retenir généralement trois finalistes. Puis, à Angoulême, a lieu le deuxième tour avec débat pour désigner le lauréat.
Et ça peut durer longtemps j'imagine ?
Y.F : Non, ça va assez vite. On fait rarement plus de deux tours de parole. Tout le monde s'exprime, il y a un premier vote, et souvent il ne reste que deux albums. Parfois même, dès le premier tour, un album se détache nettement.
Y a-t-il eu des débats houleux ou des désaccords notables au sein du jury dans certaines éditions ?
Y.F : Il y a eu des désaccords, bien sûr, mais jamais houleux. C'est toujours extrêmement fraternel et convivial. Je me souviens de débats importants lorsque Daniel Cohn-Bendit présidait le jury et que nous avons primé "Palestine" de Joe Sacco. Danny était totalement en désaccord, préférant un livre plus destiné aux adolescents.
Est-ce que c'est vous qui nommez le président du jury chaque année ?
Y.F : Quand il y a une grande élection nationale, c'est logique de choisir la tête de liste européenne ou le candidat à la présidentielle. Maintenant, c'est plus complexe car il existe plusieurs sensibilités dans l'écologie politique. Il y a diverses tendances au sein du mouvement de Marine Tondelier, et des formations extérieures. Personnellement, je milite dans PEPS, plus proche des Verts d'origine.
Je pense aussi qu'il faut parfois donner la présidence à une écologie de terrain non engagée politiquement. C'est pourquoi le dernier président était le directeur de Greenpeace. Je discute beaucoup avec ceux qui m'aident à l'organisation locale, notamment les écologistes de Charente ou de la région. En 2026, avec les municipales qui arrivent, nous choisirons le président ou la présidente à la rentrée.
Quelle est la récompense du prix tournesol ?
Y.F : Aujourd'hui, rien. Pendant longtemps, nous avons offert une œuvre d'art réalisée par un artiste à sensibilité écologiste. C'était souvent une sculpture d'oiseau faite à partir de matériaux de récupération. Très belle, mais peu pratique à remettre à Angoulême. Notre toute première idée était une fausse couverture de BD en bois sculpté avec un grand tournesol, que les premiers lauréats ont reçue. Tout le monde m'a découragé de poursuivre cette voie, et cela coûtait de l'argent car il fallait rémunérer les artistes. Les Verts ont traversé des moments financièrement difficiles, donc ce n'était pas la priorité. Maintenant, c'est juste la gloire. Par moments, nous avons édité des marque-pages ou des autocollants, mais comme les albums sont déjà en librairie, cela ne sert pas à grand-chose.

Remise du prix Tournesol en 2020 © Yves Frémion
Pensez-vous que la bande dessinée est un bon vecteur pour porter des messages politiques ou environnementaux ? Pourquoi ?
Y.F : J'ai milité 30 ans chez les Verts, puis EELV. À la grande époque des Verts, je m'occupais des comités de soutien pour les élections nationales. En tant qu'écrivain travaillant dans divers domaines (polar, science-fiction, théâtre, poésie, écologie, histoire), je contactais des créateurs de tous horizons. J'avais remarqué que dans le monde de la BD, le soutien aux écologistes était beaucoup plus facile. C'est là que j'ai eu l'idée de créer un prix de la BD écolo.
À Angoulême, il y avait un prix en off que je trouvais très intéressant, décerné par la revue Témoignages Chrétiens, plutôt axé sur les droits humains et qui faisait des choix très pertinents. Ce prix s'est arrêté, il n'y avait donc plus de concurrence, et nous avons créé le prix Tournesol qui existe depuis 30 ans maintenant. C'est devenu le prix de la BD écologique de référence.
Comment voyez-vous l'avenir du prix Tournesol ?
Y.F : Il ne fait que croître, car la production d'albums est de plus en plus importante. La sélection devient de plus en plus difficile. La presse nous connaît, donc le prix va continuer sur sa lancée.
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