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Turk revient sur la naissance et l’histoire de Léonard, 50 ans de gags et d’inventions

À l’occasion des 50 ans de la bande dessinée Léonard, l’équipe de ZOO a rencontré Turk, son dessinateur historique. Il revient sur la création du personnage avec Bob de Groot, les secrets d’un succès humoristique qui traverse les générations, et l’art de donner vie à l’inventeur le plus déjanté de la BD.

Bonjour Turk, avant d’aborder les aventures de Léonard, on dit souvent qu’une série, c'est la rencontre entre deux artistes. Pouvez-vous revenir sur vos débuts avec le scénariste Bob De Groot ?

Turk : C'est assez simple. On a travaillé chacun à des époques différentes, mais très proche au studio de dessin des éditions Dupuis, qui était Galerie du Centre à Bruxelles. J'y suis passé après lui, puisqu'il avait quand même six ans de plus que moi. On y a gardé des amis, tous les deux. Lorsque j'ai terminé mon service militaire, je me suis dit, il faut quand même que je fasse un métier ! Je suis retourné dans ce studio de dessin, et je me suis ouvert de ma recherche de scénariste, on m'a conseillé d'aller voir Bob. Je suis allé le trouver et on s'est rendu compte qu'on avait le même genre d'humour, un peu iconoclaste pour l'époque. Lui, dessinait dans plusieurs journaux en Belgique.

Il avait commencé une série dans Pilote (4 x 8 = 32) sur un scénario de Fred. J’ai commencé par lui donner un coup de main sur ses histoires pour Pilote. Et on a continué à travailler ensemble. Il fallait vivre, on a donc cherché d'autres débouchés. C'est comme ça que, Greg (Rédacteur en chef de Tintin à l’époque) habitant à deux pas de chez Bob, on l’a rencontré. Il nous a alors demandé de travailler pour le magazine Tintin. Puis, il y a eu la création de Robin Dubois, etc. C'est parti comme ça !

Lorsque vous envisagez de devenir dessinateur de bande dessinée, vous avez déjà envie d’un style de dessin humoristique ?

Turk : Non, moi, je pensais plutôt à un style Spirou, Gil Jourdan, etc. C'était ce qui me plaisait, ce que j'avais envie de faire. C’est ce qui m'a bien plu, d'ailleurs, dans la reprise de Clifton, parce que je me sentais à l'aise là-dedans, mais pas forcément dans l'humoristique. C'est assez bizarre, c'est venu par la force des choses.


Planche extraite de la page n°9 du Tome 56 de Léonard "Éclair de Génie" © Le Lombard

Alors, comment est vraiment né Léonard ?

Turk : Il est né de Robin Dubois. Greg lisait tous les scénarios de Robin Dubois que Bob lui présentait. Et sur ses entrefaites, il crée Achille Talon magazine, et il avait besoin de séries.

Il a dit à Bob : « Ce personnage d'inventeur que tu as introduit dans Robin Dubois, ça ferait un bon personnage de série, un héros ». Il a demandé à Bob d'oublier ce personnage dans Robin Dubois, qui n’est apparu qu'une fois. On l'a rebaptisé Mathusalem, et on a créé Léonard pour Achille Talon magazine.

Couverture magazine Robin Dubois

Couverture du magazine Robin Dubois montrant Mathusalem, personnage précurseur de Léonard, créé par Bob de Groot et dessiné par Turk © Robin Dubois

Bob de Groot était aussi dessinateur, et ses scénarios étaient dessinés. Quelles étaient les indications qu'il vous donnait ?

Turk : C'était très poussé. Il était particulièrement doué pour les expressions des personnages. J'avais du mal à aller plus loin que lui à ce niveau. C'était toujours bien. Il avait tout à fait assimilé le gag à l'américaine. C'est peut-être ça qui a fait le succès de Robin Dubois, c'est qu'on est arrivé avec des gags bien construits, avec beaucoup de punch. Nous aimions tous les deux les dessins animés de Tex Avery, ce genre d'humour. Je crois que c'est une de nos influences principales.

Couverture d’Achille Talon magazine présentant la première apparition du personnage Léonard, créé par Bob de Groot et dessiné par Turk

Couverture d’Achille Talon magazine présentant la première apparition du personnage Léonard, créé par Bob de Groot et dessiné par Turk © Achille Talon

À cette époque, vous dessinez trois séries en même temps (Robin Dubois, Clifton et Léonard). Comment vous organisiez-vous ?

Turk : Je passe de l'une à l'autre. Quand je fais du Clifton, je fais par exemple cinq, six pages, parce que c'est destiné à la publication dans un journal. Donc, il faut suivre. Il y a un rythme de publication. Une fois que l'histoire a commencé à être publiée, il faut enchainer le reste des planches. Donc, je faisais quelques pages de Clifton, puis j'observais le scénario de Robin Dubois. Je faisais du Robin Dubois, puis du Léonard. Mais quand je passais de Clifton à Robin Dubois, j'avais l'impression que je jouais, parce que c'était beaucoup moins strict au niveau des décors, etc. Clifton, c'est tout de même très cadré. Angleterre, voitures, courses poursuites, décors typiquement anglais… C'était très rigoureux.

Pour Léonard nous prenons une grande liberté avec la réalité historique. La preuve en est que le décor dans lequel il évolue, c'est plutôt un décor moyenâgeux. Ce n'est pas vraiment la Renaissance. Parce que si j'avais dessiné Léonard à l'époque de la Renaissance, avec toutes les fioritures qu'il y avait dans les décors et dans les vêtements, je n'en aurais pas fait autant que j'en ai fait maintenant.

Léonard, ce sont des inventions à foison. Votre passion d’enfant à comprendre le fonctionnement des objets vous a aidé à imaginer graphiquement les inventions ?

Turk : Justement, ça vient de là. J'ai toujours aimé la mécanique. Pour moi, la mécanique a un côté esthétique. J'aime bien voir des machines, j'aime bien comprendre comment ça fonctionne.

Je ne pense pas que j'aurais été un bon ingénieur, mais c'est le côté esthétique dans la machine qui m'intéresse. Je n'ai aucun problème pour dessiner des robots, des voitures. J'adore dessiner des voitures surtout les modèles des années 60, parce que je les trouve belles par rapport “aux fers à repasser” que l'on a maintenant (rires) !


Une série qui dure autant d'années induit une relation particulière avec son personnage ? Quelle est votre relation à Léonard ?

Turk : C’est parfois un peu répétitif, parce qu'il évolue tout le temps dans le même décor, il est tout le temps chez lui, dans son atelier, etc. Il faut que chaque fois, je réinvente. Mais on s’attache à son personnage, on vit avec, comme avec des membres de sa famille, mais nos personnages, ils ne nous contredisent jamais, évidemment (rires) !

Léonard, c'est aussi une galerie de portraits formidable, à commencer par son disciple Basile. Comment avez-vous créé ces personnages avec Bob De Groot ?

Turk : Quand Bob a commencé à écrire le scénario, c'était à la demande de Greg, donc c'était un peu une obligation. Il s'est dit qu'après quelques inventions qui étaient reprises des inventions du vrai Léonard, qu'allait-il encore trouver après ? Et il a eu l'excellente idée, d'abord d'ajouter des personnages, le disciple, le chat qui est venu après, et comme le vrai Léonard était en avance sur son époque, il a fait la même chose, mais caricaturalement. Donc, notre Léonard invente des machines qui nous sont contemporaines. Et même, il invente encore des choses qui ne sont pas encore inventées, c'est une ressource quasi infinie.

Dessin de Turk représentant Léonard

Dessin de Turk représentant Léonard © Turk

Est-ce que dans tous ces personnages, il y en a un que vous affectionnez un peu plus particulièrement ?

Turk : Le chat Raoul, parce que ça me représente un peu. Comme lui, j'aime bien l'humour pince sans rire, les calembours aussi. Bob disait aussi qu'il se prenait pour le chat de temps en temps, donc on était sur la même longueur d’onde.

Lorsque Bob de Groot a arrêté les scénarios, c'est Zidrou qui l'a remplacé. Quels ont été les changements en tant que dessinateur ?

Turk : Zidrou ne travaille pas du tout de la même façon que Bob. La grosse différence, c'est que Bob faisait des croquis. Donc, pour moi, c'était dessinable. Avec Zidrou, c'est du texte. Il laisse aller son imagination et parfois, ça me pose des problèmes de concrétiser ce qu'il a pensé. Il y a des choses parfois qu'il faut oublier parce que ce n'est pas dessinable.

Bob me dictait un scénario par téléphone, je le dessinais et il me disait que c'est tout à fait comme ça que je le voyais. Avec Zidrou, ça se passe différemment. Mais bon, c'est le résultat qui compte. Scénario Bob

Planche de bande dessinée Léonard avec scénario de Bob de Groot et dessins de Turk © Turk

Comment travaillez-vous aujourd'hui ? Est-ce que vous avez encore un rythme assez régulier ?

Turk : Jusqu'à présent, ça a très bien été. Maintenant, je pense quand même à lever le pied un petit peu, voire arrêter. J'arrive à 90 albums, donc je pense avoir fait ma part.

Quel est le public qui vient vous rencontrer en salon ? Enfants, adultes nostalgiques ?

Turk : Alors, c'est bizarre, parce que quand j'ai débuté ma carrière, c'étaient des gosses de 12-13 ans qui venaient aux dédicaces. Et maintenant, c'est toujours les mêmes, mais ils ont quelques années de plus c'est tout (rires) ! Souvent, il y a des parents qui me disent « J'ai obligé mes gosses à le lire, et maintenant, ils sont accros ».

Est-ce que vous avez des enseignants qui se servent de votre travail ?

Turk : C'est arrivé que des écoles techniques réalisent les inventions de Léonard et que je sois invité à participer. Ils présentent la série à cette occasion-là. Il y a eu aussi une école qui m'a fait faire des dessins pour présenter le théorème de Thalès. Mais sur le plan vraiment didactique, non. On sait très bien que c'est de l'humour. La petite exposition itinérante autour des 50 ans de Léonard, réalisée par mon éditeur Le Lombard, a un côté un peu didactique.

Rencontrez-vous des jeunes dessinateurs ou dessinatrices qui viennent vous voir pour des conseils ?

Turk : Je ne vois jamais de jeunes collègues, je ne sais pas, je dois paraître ringard sans doute. Je pense qu'il y a une question de style aussi. Je ne sais pas si les jeunes de maintenant rêvent encore de dessiner dans un style comme le mien. Jamais personne ne vient me trouver, sauf s'il y a un neveu qui a envie de faire de la BD et qui a besoin de conseils. Mais, je suis assez discret. Je suis un peu associable aussi !

Est-ce qu'il y a un secret pour réussir à ce qu'une série fonctionne comme ça sur autant d'années et avec autant de lecteurs ?

Turk : Je n'en sais rien, s’il avait une recette, tout le monde la suivrait. Quand on a commencé, Bob et moi, c'était en 68. Et il y avait une espèce de renouveau dans la BD. C'est à ce moment-là que la BD adulte a commencé. Et on s'est dit tous les deux, on va être tout de suite ringards. Et en fait, non, on a continué à taper sur le même clou. Et finalement, on a une série qui a duré 50 ans, tandis qu'il y en a d'autres qui ont disparu. C'est la régularité, je crois qui a payé.

Et aussi, de faire des personnages attrayants. Le lecteur doit s'attacher aux personnages. Ce n'est pas dans toutes les séries comme ça. Dans les séries réalistes, c'est beaucoup plus difficile. Je trouve qu'il y a davantage de sentiments dans une série humoristique que dans une série réaliste, aussi bonne soit-elle. C'est le mot philosophique (rires) !

Le tome 56 des aventures de Léonard sort à la fin de l’été, Il y a encore d'autres albums en prévision ?

Turk : Il y en a un sur lequel je travaille, j’en suis aux dernières pages. Il y en aura peut-être un 58. Le tome 57 est pratiquement fini.


Envisagez-vous que Léonard soit repris par d'autres dessinateurs ou dessinatrices ?

Turk : Non. Je me dis que si c'est un gars, un dessinateur qui ne le fait pas bien, ça va me faire râler. Et s'il y a un dessinateur qui le dessine mieux que moi, ça ne va pas me plaire non plus (rires) !

Article publié dans le mag ZOO n°105 Juillet-Aout 2025

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