Interview de David B

C’est un des événements éditoriaux de cette rentrée littéraire chez les éditeurs indépendants. Après avoir apporté sa pierre à des édifices déjà existants (un second scénario pour Alix, une mise en images d’un Donjon Monster) puis avoir collaboré avec Eric Lambé sur Antipodes, David B retourne dans son univers fantastique si personnel. Rencontre.

Planche extrait de "Monsieur Chouette" le nouvel album de David B. © L'association

Comment s’est déroulée la conception de ce nouveau livre ?

David B. : Ce livre prend racine dans une histoire courte que j’ai publiée dans le comics Le Nain Jaune aux éditions Cornélius. Cette histoire était inspirée d’un poème de René Daumal. J’ai eu envie de développer le sujet. J’y ai réfléchi pendant pas mal de temps. J’en ai parlé avec une jeune fille qui avait partagé ma vie pendant presque 10 ans, elle m’a dit avoir été très touchée par cette histoire et s’être identifiée au personnage de Marie. Cela m’a motivé pour aller de l’avant, mais la vie de dessinateur connait des tours et des détours. J’ai travaillé sur d’autres livres ; j’ai réfléchi ; j’ai laissé passer du temps ; j’ai écarté des pages que j’avais déjà dessinées et après 20 ans j’ai enfin fini le livre. Je passe toujours beaucoup de temps à réfléchir sur mes projets.

Pouvez-vous nous parler de Monsieur Chouette notamment dans son aspect graphique qui emprunte ses traits à un hibou et dont l’apparence tend parfois vers le chat ?

David B. : Monsieur Chouette est un personnage psychopompe, c’est-à-dire qu’il guide les âmes des morts sur les chemins de l’au-delà mais aussi les vivants en l’occurrence, étant entre le monde des vivants et celui des morts je voulais lui donner cette apparence mi-humaine, mi-animale qui convient bien au monde intermédiaire dans lequel il évolue.

À la fin du premier tiers ce dernier s’efface laissant Marie seule modifiant la narration mise en place.

David B. : Il peut aider Marie jusqu’à un certain point, ensuite il risque de la faire repérer et est obligé de s’effacer, ce qui va forcer Marie à affronter seule ses peurs et ses angoisses, ce qui est le moteur de cette histoire, Marie a choisi de suivre monsieur Chouette dans l’au-delà car elle a peur de son ombre.

Planche extrait de "Monsieur Chouette" le nouvel album de David B. © L'association

Les problèmes rencontrés par Marie sont alors très proches de ceux de la réalité.

David B. : Le monde des morts est un monde ou celui des vivants vient s’accumuler après chaque décès ou destruction, les morts y essayent de continuer à vivre comme avant, il y a des restaurants, des cafés, des taxis, des batailles, des manifestations. Les morts y mangent, y boivent, y dorment, ou plutôt font semblant, car tout acte servant à entretenir les fonctions vitales. (manger, boire, rêver…) attire l’attention de Cerbère, le gardien des enfers qui flaire les vivants et les dévore, car ils n’ont pas leur place chez les morts. Une peur supplémentaire à surmonter pour Marie.

Un petit mot sur le découpage et le graphisme ? Monsieur chouette montre votre goût pour les compositions élaborées, la profusion d’éléments ou de personnages dans les cases.

David B. : La composition des pages et des séquences obéissent au principe d’accumulation, j’adore, depuis que je suis enfant, remplir des pages de personnages, d’architectures ou de végétations. L’au-delà que j’ai imaginé obéit à cette envie. Chaque jour qui meurt apporte son contingent de personnes décédées, d’objets brisés, de maisons détruites, de pluies d’hier, de nuages passés dans le ciel, de feuilles mortes, de livres oubliés et que sais-je encore… Tout ça s’accumule, s’entasse et s’ajoute aux précedents. C’est un monde de chaos qui n’a plus aucun sens à part le fait que les morts s’obstinent à obéir aux règles du règne des vivants. Cela a été un vrai plaisir d’imaginer et de dessiner une petite Marie vivante évoluant dans cet univers de fous.

Article publié dans le mag ZOO n°106 Septembre-Octobre 2025