Artiste visionnaire et engagée, Chantal Montellier est la première femme à faire du dessin de presse dans les années 70. Cocréatrice et Présidente de l’association Artémisia qui récompense chaque année la création féminine en BD et figure importante de l’époque Métal Hurlant, elle nous reçoit dans son atelier-bureau.
Bonjour Chantal, on est dans votre appartement et vous avez un espace de travail réservé. Vous avez toujours travaillé comme ça ?
Chantal Montellier : Il me semble que j'avais un appartement qui était bien plus grand que celui-ci. C'était avant que je me fasse assassiner par la PoPo (Police Politique)! C’était un duplex très vaste et lumineux du côté de la gare de Lyon. Malgré sa taille, il ne coûtait pas cher du tout, car la propriétaire, une quasi centenaire, n'avait plus trop la notion des prix. Je n'avais pas un étage pour moi, mais je disposais quand même d'un espace assez conséquent.

Chantal Montellier, assise à son bureau dans son atelier situé à Ivry-sur-Seine © Équipe ZOO
Avant ça, j'ai vécu presque une année boulevard Pasteur, dans un grand studio, avant de m’installer (pour une quinzaine d’années) dans le 12ème arrondissement. J'étais l’assistante du dessinateur Guy Peellaert… Je ne sais pas si ce nom évoque quelque chose pour vous? (Jodelle, Pravda…) J’ai travaillé sur la pochette d'un disque des Rolling Stones (!) intitulée « It's only rock and roll ». Je dois dire que je suis responsable -et coupable- de la quasi totalité de cette pochette remarquable, pour laquelle j'ai dû gagner, je ne sais plus... quelques cacahuètes? En revanche, j'avais l’immense honneur de côtoyer un artiste connu internationalement, et, si je ne voyais pas passer Mick Jagger en personne, son staff venait parfois inspecter le chantier, et faire des commentaires, parfois légèrement odieux.
Peellaert habitait près de la gare Montparnasse, moi dans le 4ème arrondissement, et j’ai fini par me rapprocher de mon lieu de travail. J’ai donc quitté la chambre de bonne de la rue Pavée, pour un studio dans le 14ème... J'avais déjà plus ou moins laissé tomber mon travail de professeure d’arts plastiques, au profit de la création.

Vue d'ensemble de l'atelier de Chantal Montellier à Ivry-sur-Seine © Équipe ZOO
Quelques siècles plus tard, de déménagement en déménagement, je me retrouve dans un appartement (plutôt sympathique, il me semble), à Ivry-sur-Seine, la capitale du néo communisme tendance bobo-ronchons. L'intérêt par rapport à Paris, c'est d'avoir des grands acacias remplis d'oiseaux devant mes fenêtres, et, grâce à l’architecture inventive, originale et altruiste, de l’architecte Jean Renaudie et de sa collaboratrice Renée Gailhoustet, beaucoup d'espace et de lumière, pour pas trop cher.
Quel est l'avantage, justement, de travailler chez soi par rapport à la solution d'avoir un atelier à l'extérieur ?
C.M : Je n’ai jamais eu l’envie d'avoir un atelier à l'extérieur. Pour moi, l'intérêt de travailler dans mon appartement, d'avoir un coin bureau - atelier, c'est qu’en me levant le matin, en allant dans la cuisine faire le petit-déjeuner, je passe, en général, devant mon ordinateur, et je ne résiste pas à la tentation de regarder ce que j'ai fait la veille. Un premier coup d'œil matinal, avant que j'aie fait quoi que ce soit d'autre, presque à jeun, me permet d'évaluer la quantité, et surtout la qualité du travail réalisé la veille. Je crois que c'est le matin, au réveil, que je fais les meilleures corrections sur ce que j'ai réalisé la veille. En général, les corrections se font rapidement, puis je prends mon petit-déjeuner, mais il arrive aussi que je me laisse complètement happée par l’image en cours de réalisation, et que je me retrouve à midi et demi, voire à 6h du soir, en ayant oublié de déjeuner, voire de prendre le moindre repas. D'où l'intérêt d'habiter et de travailler au même endroit. Si je devais prendre le métro ou autre chose, je crois que ça casserait tout.

Bureau de Chantal Montellier © Équipe ZOO
Alors justement, comment arrivez-vous à dissocier votre vie, votre intimité intérieure de votre métier ? Est-ce que vous vous mettez des créneaux de travail, ou alors vous travaillez tout le temps à votre guise et à votre envie ?
C.M : Au grand désespoir des hommes qui ont partagé ma vie, et de celui qui continue héroïquement à la partager, je dois dire que je suis un peu… quel est le nom en psychiatrie ? Une "malade mentale" ? du travail de création. J'ai mon compagnon -et néanmoins mari- qui me dit que je suis en "état d'auto-hypnose" quand je dessine, et je crois qu'il a raison. Est-ce que ça se soigne ? Je n'en sais rien, mais de toute façon à mon âge c'est un peu tard... Et puis j'avoue que j'aime beaucoup être dans cet état-là, assez spécial.. Hors temps, hors contingences, hors société... Quand je suis dans en état d'auto-hypnose, on peut me faire toutes les misères du monde, dire les pires horreurs sur mon compte, je suis inatteignable...
Est-ce qu'il y a un rituel ou quelque chose qui vous permet de rentrer dans cette bulle ?
C.M : Rien de plus que ce que je t'ai dit. D'abord, quand même un environnement un peu protégé. Il me faut de la tranquillité. Il ne faut pas trop que ça remue autour. Ca tombe bien parce que je vis avec un intellectuel aussi névrosé que moi, aussi autiste, et qui pratique lui aussi l'auto-hypnose. On a chacun notre coin de travail, nos outils, notre ordinateur... On évite de se déranger, de trop se parler. C'est une convention entre nous, respecter la tranquillité de l’autre. Sa concentration… Par contre, la cuisine pour deux, un repas commun, en général, le soir. Nous sommes un peu de la même espèce, lui et moi, donc on arrive à cohabiter sans trop de problème.

Bureau de Chantal Montellier © Équipe ZOO
Vous travaillez dans le silence ou vous arrive-t-il d'écouter de la musique ?
C.M : Je crois que petit à petit que je me dirige vers le silence. Peut-être le silence définitif, vu mon âge... Mais oui, je dois reconnaître que le silence ne me gêne plus du tout. D'autant que là où je suis, on entend beaucoup les oiseaux, ils sont très bavards. Ce n'est bien sûr pas le même fond sonore qu'à la campagne, mais si on ferme les yeux, on pourrait presque s'y croire. Ce n'est pas comme si j'étais dans un appartement, dans un quartier très urbain, avec des bruits de bagnoles, de moteurs.
Par exemple, là, je ne sais pas si tu l'entends, il y en a un, d’oiseau, qui se manifeste…Il a de la voix! J’écoute tout de même à pas mal de chansons… Brigitte Fontaine, Léo Ferré, Lavilliers... A propos du silence, Simon and Garfunkel, The Sound of Silence, que j’aime beaucoup. À une époque lointaine, j'en écoutais de manière quasiment permanente en dessinant ainsi que des émissions de France Culture comme le défunt «Panorama » dans lequel feu Laurence Harlé, chroniquait avec une grande intelligence et beaucoup d’érudition, les albums de Bande Dessinée. Je ne ressens plus trop ce besoin aujourd’hui… Je pense tellement fort dans ma tête que je n'ai plus besoin de son dans mes oreilles!
Est-ce qu'il y a des objets importants dans cet espace de travail, tableaux, photos, qui vont participer à votre concentration et votre imagination ?
C.M : Je crois que, bien que nomade par nécessité, j'ai besoin de me sentir un peu chez moi quand même (rires), cela bien que n’étant pas propriétaire compte tenu de mes revenus ridicules. J'ai besoin d'objets à moi, lesquels m'ont suivi à peu près partout et avec lesquels j'ai voyagé, d'un appartement à l'autre, d'un quartier à l'autre, de Paris à Ivry. Ce sont principalement des photos, des tableaux, et des livres auxquels je tiens; mais aussi mes propres livres, mes propres albums... Je les emporte avec moi comme mon trésor de guerre.

Bibliothèque présente dans l'atelier de Chantal Montellier © Équipe ZOO
J'ai besoin de quelques meubles, et notamment de meubles de rangement. J'ai eu à un moment un très grand « meuble à plans » d'architecte. Il a hélas disparu dans un naufrage. C'était un meuble magnifique, que je regrette beaucoup. J'en ai acheté un autre qui est plus petit, modeste et banal. Mais pratique. J'ai besoin évidemment de tables et maintenant que je suis passée à l'image numérique, d'ordinateurs. C'est même devenu pour moi incontournable. S'il fallait que je me remette à dessiner sur une table à dessin, avec du papier, des crayons, et tout ce qui s'en suit, je ne sais pas si je pourrais. Enfin si, je pourrais, je sais faire. Mais je pense que ça serait quand même quelque chose de compliqué, voire un pénible physiquement.

Tablette numérique utilisé par Chantal Montellier © Équipe ZOO
J’ai aussi besoin de traces, de souvenirs photographiques. J'ai pas mal de choses dans des cadres. Pas mal de photos, y compris des photos de moi enfant. Parce que côté famille, je n’ai presque plus personne... Des photos d'amis aussi. Même des amis qui m'ont trahi, ou que j'ai perdu en route. Quelques photos de moi au travail... Je suis horriblement narcissique finalement, je m'en aperçois en t'en parlant (rire)...

Cadres photos entourant le bureau de Chantal Montellier © Équipe ZOO
Certains livres, me sont indispensables… je ne dirais pas que je jetterais tout au profit des livres, il ne faut pas exagérer, mais ce sont des amis précieux. C'est une présence permanente. Je ne peux pas les énumérer. Enfin, je peux en citer quelques-uns. Par exemple, les livres d'Annie Lebrun, qui m'ont aidé à penser ma propre pratique. Annie Lebrun est une théoricienne de l'art. Elle est décédée, hélas, depuis quelques années maintenant. Une femme à la fois brillante, mais pas l'intelligence universitaire classique. C'était une intelligence très originale, très personnelle. Elle est passée par le surréalisme et il lui en est resté beaucoup de traces. J'aime beaucoup son féminisme aussi, qui n'est pas un féminisme inconditionnel, qui est un féminisme lucide et, j'allais dire, mesuré. Enfin, qui sait très bien que, parfois, les femmes sont les pires ennemies des femmes. Donc, les livres d'Annie Lebrun, quelques livres un peu futuristes. Je ne sais pas, Ray Bradbury, par exemple...
Et puis, des meubles professionnels, plusieurs meubles à tiroirs. Je ne sais jamais ce qu'il y a dedans. Il suffit que je cherche pour que je ne trouve pas.
Est-ce que vous avez conservé le matériel que vous utilisiez avant l'ère du numérique ?
C.M : Oui, j'ai une table qui est squattée par mon cher mari, c’est vraiment la table à dessin typique, c'est-à-dire la planche en bois avec les tréteaux. Qu'est-ce qu'il me reste d'autre ? Il me reste beaucoup de choses dans mes tiroirs. Il me reste des tubes de gouache, des crayons très bien taillés que j'oublie toujours quand je pars en dédicace. Je suis censée partir avec des crayons, mais comme je ne les utilise presque jamais au quotidien, je les oublie.
En général, je pique les crayons de mes voisins... Tout le monde évite de s'asseoir à côté de moi! (Rire) surtout que je ne les rends pas toujours. Mais si j'ai encore beaucoup d'outils, donc si demain, je ne sais pas, mon ordinateur tombait en panne, que je n'ai plus les moyens de le remplacer, que c'est la Troisième Guerre mondiale et que je suis obligée de dessiner sur les parois de la grotte, je saurais faire, enfin j’espère et a condition de ne pas avoir été vaporisée.
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