Publié notamment dans The New Yorker, Will McPhail s’est imposé comme l’un des cartoonists américains les plus singuliers de sa génération. Derrière son humour absurde et grinçant, il revendique un art qui ne livre jamais toutes ses clés, une obsession pour l’économie des mots, et une profonde attention au regard du public. Rencontre avec un artiste qui a su transformer ses obsessions et ses fragilités en force créative.
Fred. Grivaud : Vous insistez souvent sur le fait de ne pas tout expliquer dans vos dessins. Pourquoi ce choix ?
Will : J’ai toujours gravité vers les œuvres qui laissent une part d’interprétation. Que ce soit un film, un livre ou un cartoon, j’aime quand l’artiste vous traite comme un adulte et vous laisse de la place pour imaginer. J’ai toujours détesté l’art qui m’apporte toutes les réponses, qui me prend un peu par la main. Gary Larson a fait un cartoon célèbre, Cow Tools, qui n’a aucun sens apparent. Et c’est devenu culte parce que les gens ont adoré s’interroger dessus. Moi, j’essaie de faire pareil : laisser un espace au lecteur pour qu’il complète avec sa propre imagination.
Vos personnages sont rarement des célébrités ou des puissants. Vous préférez croquer des gens ordinaires.
Will : Oui, parce que c’est mon univers. J’ai grandi entouré de personnes normales, sans glamour, et ce sont encore elles qui me font le plus rire. Pour moi, la comédie doit toujours “frapper vers le haut” et non pas ridiculiser les plus fragiles. Je peux parfois me moquer de moi-même, mais jamais des gens qui sont déjà en bas de l’échelle.

Mon cerveau fonctionne comme une machine à absurdités
Vos dessins semblent partir d’idées très simples, mais détournées vers l’absurde.
Will : C’est exactement comme ça que fonctionne mon cerveau. Je peux voir quelqu’un assis sous un arbre, et je vais imaginer que c’est l’arbre qui s’appuie sur un humain. Je vois les choses sous la surface, dans leur côté étrange. Et je ne peux pas m’empêcher d’inventer ces scénarios bizarres. Franchement, si je n’étais pas cartoonist, je ferais quand même ça dans ma tête. La différence, c’est que maintenant j’ai trouvé une façon de transformer ma « maladie mentale » en travail (rires).
Vos dialogues sont toujours très courts. C’est un choix ?
Will : Oui, c’est ce que nous appelons la “breviary” dans le monde du cartoon : être économique avec les mots. J’aime que mes personnages disent l’essentiel, sans blabla inutile. Souvent, mes cartoons les plus forts sont totalement silencieux. C’est une manière de rappeler que les images portent plus que les phrases.
Certains de vos dessins ont été interprétés à contre-sens, parfois dans des contextes politiques très forts. Comment le vivez-vous ?
Will : Ça m’arrive souvent, et j’ai fini par l’accepter. Pendant la pandémie, j’ai dessiné des rats dans les rues de New York, en référence au confinement. Le cartoon est sorti la semaine des manifestations Black Lives Matter, et beaucoup ont cru que je comparais les manifestants à des rats… ce qui n’était évidemment pas mon intention.
Avec “Lady No Kids”, d’autres ont pensé que je me moquais des femmes sans enfants, alors que je disais exactement l’inverse. Mais c’est la règle : quand vous laissez de la place à l’interprétation, vous acceptez que le public projette ses propres lectures.
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Vos dessins rencontrent un vrai succès en France. Cela vous a surpris ?
Will : Oui, beaucoup. Je pensais que mon humour était typiquement new-yorkais, sombre, un peu étrange, taillé pour les habitants des grandes villes. Je n’imaginais pas qu’il parlerait autant aux lecteurs français. Et puis, en regardant mes statistiques sur Instagram, j’ai découvert que 70 % de mes abonnés sont des femmes. Je ne m’y attendais pas.
Peut-être que ça tient à mon parcours personnel : j’ai été élevé par une mère seule, j’ai eu des figures féminines fortes autour de moi. Au début, je faisais des cartoons pour montrer que j’étais un « allié » aux femmes, mais je me trompais. J’ai compris qu’il fallait les représenter comme elles sont vraiment : les plus drôles, les plus fortes, celles qui mènent la fête.
Vous vous définissez comme optimiste dans la vie, mais vos dessins paraissent parfois plus sombres.
Will : C’est vrai. Dans ma vie personnelle, je suis optimiste, parfois jusqu’à l’illusion. Mais pour écrire une blague, c’est souvent plus efficace de montrer le désespoir. Le malheur est plus drôle que le bonheur. C’est ce paradoxe qui nourrit mon travail : trouver dans l’absurde et le désespoir une façon de rire – et de continuer à avancer.
WillMcPhail





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