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Enki Bilal, sa jeunesse et son dernier Bug

Invité surprise du festival de La Garenne-Colombes, le dessinateur Enki Bilal revient sur son adolescence dans cette petite ville de la banlieue parisienne, l’origine de son œuvre et la série Bug. Une réflexion profonde sur l’humanité, la technologie et l’avenir de la planète.

Couverture du T.4 de Bug, par Enki Bilal

Couverture du T.4 de Bug, par Enki Bilal

Enki Bilal, revenir ici, à La Garenne-Colombes, c’est se replonger dans ses souvenirs d’adolescence ?

Enki Bilal : Énormément. C’est l’une des histoires les plus fondatrices de ma vie. Je suis arrivé de Belgrade, gare de l’Est, un soir très tard, sous la pluie. Nous venions, avec ma mère et ma sœur, retrouver notre père déjà installé en France. J’avais neuf ans. Paris, c’est une ville dont je rêvais. Mais, après quarante-deux heures de voyage, épuisés, on ne voit rien de Paris : juste des lumières, de l’eau, des voitures. Et puis tout s’assombrit, on quitte Paris sans le savoir pour la banlieue. Je ne savais pas qu’il y avait une banlieue !

Le Paris de Enki Bilal, dans Bug T.4

Le Paris de Enki Bilal dans Bug T.4
© Casterman, 2025

C’est ici que tu passes ton adolescence ?

E. B. : Oui. De neuf à dix-neuf ans. J’apprends le français à l’école rue Roussel, je découvre la bande dessinée, je dessine, je vis ma vie de gamin avec mes copains. Puis le lycée Albert-Camus à Bois-Colombes. Dix minutes à pied tous les matins. C’est là que j’ai été fabriqué, humainement et culturellement. C’est là que j’ai rencontré la culture française.

Cette période a-t-elle nourri directement ton œuvre ?

E. B. : Sans doute de manière souterraine. Je ne me suis jamais servi d’éléments précis de cette période-là, mais elle m’a construit. Comme tout ce qui nous façonne sans qu’on le sache vraiment.

Le tome 4 de Bug vient de sortir. La série s’étale désormais sur près de dix ans…

E. B. : Oui, le premier tome date de 2017. C’est très particulier à suivre, mais les retours sont excellents. J’essaie, à chaque étape, de construire un ensemble qui aura du sens à la fin. Comme une sculpture. Au départ, on sait où l’on veut aller… mais le monde a changé entre-temps.

Justement, en 2017, l’intelligence artificielle n’occupait pas encore la même place…

E. B. : Exactement. Si un bug comme celui du livre arrivait en 2017, l’IA disparaîtrait en premier. Aujourd’hui, c’est impossible de l’ignorer. Dans le tome 4, je la réintroduis : le personnage est tiraillé entre le bien et le mal. Cela se traduit aussi graphiquement, par le travail des couleurs, le rouge, le bleu. Le tome 5 sera le dénouement de cet affrontement.

Enki Bilal Bug T.4

Du bleu et du rouge pour visualiser le tiraillement entre le bien et le mal, extrait de Bug T.4 par Enki Bilal
© Casterman, 2025

Bug dépasse largement la science-fiction…

E. B. : C’est un travail sur mon rapport à l’histoire de l’humanité, à la politique, à la géopolitique, à la religion. Une manière de régler mes comptes avec les faillites de l’humanité, qui sont énormes. Ce n’est pas un testament, car ce n’est pas mon dernier livre, mais il y a quelque chose de très profond et personnel.

Tu abordes aussi frontalement la question écologique.

E. B. : Ce n’est pas un discours écolo-politique, surtout pas. Je m’en méfie : l’idéologie mène au clivage, au binarisme. L’écologie, c’est une pensée qui doit dépasser l’humain, dépasser les camps. La planète, elle, se portera très bien sans nous. Elle sera même plus belle. On l’a vu pendant ces deux mois, en 2020, où l’activité humaine s’est arrêtée et où les animaux ressortaient.

Un quatrième tome sombre

Un quatrième tome plus sombre, au discours profond et personnel à l'auteur Enki Bilal
© Casterman, 2025

Cette réflexion t’a aussi mené vers un projet non abouti autour du livre Homo Disparitus (2007)…

E. B. : Oui, un livre de l’essayiste new-yorkais Alan Weizmann, fascinant. Il ne raconte pas pourquoi l’homme disparaît — ce n’est pas le sujet — mais ce qui se passe après. La ville s’effondre, submergée par la montée des eaux, et la nature reprend ses droits. J’avais un projet de film, trop ambitieux, paraît-il. Avec un crayon, c’est plus simple d’imaginer tout ça.

Peut-on espérer un sursaut de l’humanité dans Bug ?

E. B. : Je l’espère. La fin ne sera pas fermée. Il faut que cela se termine bien pour la pensée humaine. Le tome 4 est très sombre, mais le tome 5 sera très différent, y compris physiquement : plus épais, hybride. Ce ne sera plus seulement une bande dessinée.

Quand pourra-t-on découvrir la suite ?

E. B. : J’ai plusieurs projets en cours, dont un film. Mais d’ici deux ans, cela devrait être possible.

Photo de Enki Bilal

Photo de Enki Bilal
© c.vilain

Propos recueillis par Christophe Vilain

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