Clément Oubrerie et Stéphane Melchior ont eu l’idée folle d’adapter la trilogie A la croisée des Mondes de Philip Pullman en 9 ou 10 tomes de bande dessinée. A l’occasion de la sortie du premier tome des Royaumes du Nord, ils reviennent sur ce projet titanesque pour culturebd.
A la recherche d’une grande saga…
Comment est née l’idée de cette adaptation ?
Croquis inédits de la
mystérieuse Madame Coulter
Clément Oubrerie : C’était une longue route. J’avais envie de faire une adaptation et je cherchais une histoire épique, une histoire d’aventure dans un univers totalement différent d’Aya que je venais de finir et de Pablo que je commençais. J’avais proposé Le cycle de Fondation d’Asimov à Thierry Laroche, mon éditeur chez Gallimard. Ce qui est génial dans ce livre, c’est que tout va très vite, il y n’a pas le temps pour les descriptions et pas d’images. Pour une mise en scène de BD, c’était très très motivant, mais bon, c’était peut être un peu trop grand…
On a donc cherché autre chose. Je ne connaissais pas les Royaumes du Nord et Thierry m’a passé la trilogie que j’ai lue. J’y ai retrouvé un peu tout ce que je cherchais même si au début, comme tous les lecteurs je pense, j’étais plutôt désorienté. J’ai trouvé ça absolument étonnant ! Je me suis dit que c’était impossible de s’ennuyer en racontant cette histoire en bande dessinée tellement il y a de personnages et d’événements.
Stéphane Melchior : Quant à moi, je venais de finir l’adaptation de Gatsby donc mon éditeur était déjà au courant de mes capacités à adapter des romans au long court [rires]. J’ai lu les trois tomes attentivement et ai rédigé une note d’attention. On l’a envoyée avec les dessins de Clément à Philip Pullman.
On avait peur qu’il refuse ou nous fasse retoucher toutes les pages mais la seule chose qu’il nous ait dite durant tout le projet c’est « allez-y les gars, continuez ! »
Et comment avez-vous travaillé ensemble ?
Stéphane Melchior : Après une première lecture globale, j’ai refait plusieurs lectures minutieuses en prenant beaucoup de notes. A partir de là, j’ai résumé chaque chapitre comme si je le racontais à un ami. Avec ce matériau, je passe à la rédaction d’un scénario qui sert de base à la BD. Pour l’élaborer, je prends en compte le format particulier qu’impose la BD, c’est pour ça qu’on allonge certaines scènes ou que j’en coupe d’autres… Après Clément utilise mon scénario et le transforme en BD en le réinterprétant.
Recherche graphique autour de Lord Asriel, attendant à Oxford.
Qu’est ce qui a été le plus difficile dans cette adaptation ?
Stéphane Melchior : Il y a eu beaucoup de choses très difficiles à adapter dans cette œuvre qui est celle d’un auteur vivant.
Clément Oubrerie : Bon au moins, lui, il peut protester si ça ne lui plait pas ! [rires]
Stéphane Melchior : J’en avais des sueurs froides et je me suis relevé plusieurs nuits. Quand on adapte, on ne sait jamais ce qui sera bon dans nos choix… Mais, heureusement, Clément fait toujours des merveilles ! Par exemple pour la page 17, quand je l’ai créée je savais qu’elle serait chargée en dialogues. Mais Clément a trouvé la solution !
La page 17, au dialogue conséquent...
Clément Oubrerie : J’ai un peu coupé les dialogues et mis le tout en cases.
Stéphane Melchior : Avec un espace sans dialogue au milieu pour aérer la page, c’est génial !
Clément Oubrerie : Souvent quand je pars d’une scène, les dialogues se décalent, finissent pas dans la case où c’est prévu, je sais pas pourquoi.
Stéphane Melchior : Mais continue comme ça, ça fonctionne ! La vraie difficulté commencera au tome 2 quand arrivera le monde des Spectres, très complexe…
… pour mettre en cases un univers mystérieux !
Quelles pistes avez-vous suivies pour faire naitre cet univers ?
Clément Oubrerie : Philip Pullman a composé ce livre avec son inconscient, alors on a essayé de faire pareil.
Stéphane Melchior : Le mot qui est revenu souvent quand on travaillait, c’était le mystère. Au début, on ne sait pas qu’on est dans un monde d’anticipation quand on découvre ce roman… C’est au fur et à mesure des détails qu’on se rend compte que l’intrigue ne se situe pas dans notre monde aux alentours de 1910. Ce décalage se fait peu à peu, ce que le dessin de Clément fait super bien !
D’où ces couleurs particulières ?
Clément Oubrerie : Oui, je voulais rendre le mystère de cet univers. J’ai surtout fait ma cuisine interne : j’ai mélangé de l’aquarelle et du brou de noix. J’essaie toujours d’unifier ma technique de dessin sur une œuvre, même si je n’arrive jamais à me tenir à une seule technique. Comme je finissais le quatrième tome de Pablo quand je commençais les planches des Royaumes du Nord, j’utilise presque la même technique que dans cet album. Ca m’a permis de donner ces ciels.
Stéphane Melchior : Clément est modeste, mais c’est un très très bon coloriste.
Votre univers a-t-il été pollué par les couvertures ou le film ?
Clément Oubrerie : Non car on n’a pas vu le film ! Les quelques images qui nous sont parvenues n’ont pas été assez fortes pour nous marquer. On s’est très vite réapproprié l’univers. Mais ce n’est pas pour autant qu’on ne s’est pas documentés. On a fait beaucoup de recherches sur les zeppelins ou encore sur Oxford au début vingtième siècle par exemple…
Comment avez-vous travaillé pour la représentation d’éléments précis comme l’aléthiomètre ou les bateaux des gitans ?
Stéphane Melchior : Pour les bateaux des gitans, je me suis demandé à quoi pouvaient ressembler des roulottes sur l’eau. Comme j’aime beaucoup le bateau, je me suis souvenu des tjalks, des bateaux hollandais. Ces bateaux à voile dont on peut coucher le mât pour passer sous des ponts peuvent naviguer partout. Ils ont aussi des gouvernails latéraux rabattables qui leur donnent un air particulier. Ca collait parfaitement aux bateaux maisons dont on avait besoin pour nos gitans.
Clément Oubrerie : Pour l’aléthiomètre, j’ai simplement assemblé 2-3 montres anciennes et pour les détails, c’est Stéphane qui a assemblé minutieusement les détails parsemés dans le roman.
Vos Daemon, ces créatures qui sont une sorte de prolongation de l’âme des personnages, sont très vivants !
Clément Oubrerie : Grâce à la BD, on peut retranscrire les animaux facilement sans tomber dans le naturalisme. Ca permet plein d’effets ! Puisqu’à des moments, je représente les daemons avec un côté très cartoon.
Stéphane Melchior : En plus, grâce au dialogue entre Lyra et son daemon, on a pu accentuer le côté comédie. Dans le roman, il y a un peu plus de tragique, alors qu’on a plus appuyé le comique. Avec les rapports entre Lyra et Pantalaimon son daemon, on arrive aussi à rendre attachants les deux personnages, qui sont un peu comme ying et yang. Liés et complémentaires, ils révèlent de nombreuses facettes du caractère de Lyra.
D’ailleurs comment avez-vous créé Lyra ?
La première Lyra, beaucoup moins effrontée
Clément Oubrerie : On avait une première Lyra qui a tenu 10 pages. Elle était trop gentille, trop gamine, trop parfaite. Très vite, on sentait qu’il fallait une deuxième version.
Stéphane Melchior : En cherchant de la documentation, je suis tombé sur une photo de collégiens anglais, en uniforme mais complètement débraillés. Il y avait là une jeune collégienne, une petite brunette à l’air frondeur. J’avais trouvé notre Lyra, l’effrontée enfermée dans un monde d’adultes ! Elle était là notre rebelle, qui adore braver les règles d’un monde trop strict. On l’a adoptée et l’aventure a démarré !
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