Illustrateur prolifique, figure incontournable de la BD franco-belge, Jacques de Loustal fait partie de ceux dont on reconnaît instantanément la griffe. Le dessinateur de Barney et la Note Bleue s'est essayé à la technique du fixé sous verre, à l'occasion d'une exposition à la galerie Champaka à Paris. Retour sur l'œuvre d'un virtuose du neuvième art !
La surprise du Suwer
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la technique du fixé sous verre ?
Jacques de Loustal : Le fixé sous verre consiste à dessiner à l'envers, sur une plaque en verre que l’on retourne une fois achevée. J'ai découvert cette technique en Afrique ; au Sénégal on l’appelle le « suwer ». J'étais fasciné par la finesse du trait, l'aspect très net que l’on obtient dès que l’on retourne son travail.
Pour la technique, j'ai longtemps tâtonné. J'ai utilisé des couleurs pour céramiques, des acryliques, diverses encres et laques avant de trouver les plus adaptées aux grands formats. J'ai eu beaucoup de mauvaises surprises, le noir chassé par la couleur par exemple, ce qui est assez paradoxal au début, mais c'est la vie lorsque vous dessinez à l'envers !
Comment vous est venue l’idée de cette exposition consacrée aux fixés sous verre?
Il y a d’abord le plaisir du matériau, très lisse et très grisant à utiliser ! Les fixés sous verre permettent des couleurs vives et des noirs profonds qui sont très agréables à travailler à la plume. Je tournais depuis longtemps autour des fixés sous verre. Je m’étais déjà essayé à cette technique pour d’anciennes expositions, sans jamais la placer au cœur de celles-ci.
Et puis, ayant du temps devant moi, je me suis décidé à faire une exposition exclusivement autour des fixés sous verre. Pour moi, ils remplacent en quelque sorte la sérigraphie dont j’avais l’habitude dans les années 80-90. Ça n’était pas évident pour moi de faire de la sérigraphie, moins que pour mes amis de la ligne claire ! J’avais besoin de me poser d’autres questions sur la couleur, ce qui m’a poussé dans des directions que je n’avais pas explorées.
L’idée vient donc de tout ce travail que je n‘ai plus l’occasion de faire. Cela m’apporte aussi une liberté supplémentaire. Pour une sérigraphie, on se pose la question de l’aspect « commercial », puisqu’il faut en vendre une petite centaine.
Quelles différences ressentez-vous entre votre travail d’auteur et votre travail d'artiste exposant ?
Les fixés sous verre ou les sérigraphies sont une démarche beaucoup plus picturale. Je ne recherche pas l’anecdote lorsque je dessine ou que je peins pour une exposition. Je n’utilise pas non plus les mêmes techniques : je ne dessine jamais mes albums au pinceau, par exemple.
Vous conservez tout de même votre trait très reconnaissable…
C’est le résultat de plusieurs influences, très variées. Mes amis de l’époque, qui étaient vraiment dans la ligne claire, Hergé, Tillieux, Jijé, etc. utilisaient à la perfection un vocabulaire graphique qui existait déjà. De mon côté, c’est plus bâtard, il y a des influences venant de la peinture, de l’illustration, et même de la photo et du cinéma. Des styles très opposés les uns aux autres, ce qui m'a peut être poussé à chercher une forme de synthèse.
Aujourd’hui encore, si je fais des fixés sous verre c’est que j'aime m'essayer à de nouvelles techniques. J'aime être surpris par le résultat. Le fixé sous verre est parfait pour cela, puisque l’on peint à l’envers pendant 2-3 jours avant de retourner le tableau.
Quels sont vos genres de prédilections en bande dessinée ?
Cela dépend des images que cela va générer. Le film noir et les histoires noires génèrent mes ambiances préférées. La tension lourde, les décors urbains, les scènes de nuit, les vieilles voitures, les femmes, etc. Bref tout ce qui je dessine sans problème. Et évidemment, il y a aussi les histoires exotiques, l’exploration et les grands paysages.
Le roman graphique avant l’heure
Dans vos albums, vous intégrez des textes narratifs issus des œuvres que vous adaptez à vos propres dessins. Comment gérez-vous le rapport texte-image ?
Dans les premières BD que j’ai dessinées, je me sentais limité en termes d’écriture et d’invention. Donc je me suis mis à travailler avec des gens qui écrivaient bien ! J’ai ce plaisir du texte et le plaisir de trouver l’image qui le complète au mieux. Avec Paringaux, nous avons surtout travaillé ce qu’il était possible d’exprimer graphiquement et narrativement, pour éviter que l’image et le texte soient redondants.
C’était qualifié à l’époque de « BD littéraire », parce que l’écrivain pouvait rédiger autre chose que les dialogues et que le texte était important. C’était plus proche du roman graphique que de la BD telle qu’on la voyait à l’époque. Aujourd’hui à l’inverse, « roman graphique » est devenu un terme passe-partout pour désigner des albums qui ont la forme d’un livre, c’est à dire un format plus petit qu’un album et imposant en nombre de pages.
Les auteurs avec lesquels j’ai travaillé sont des écrivains, ont un rapport profond au texte. Pour moi, c’est l’image qui est importante parce que je ne cherche pas à raconter mes propres histoires !
Quelles sont les premières questions que vous vous posez lorsque vous travaillez sur une adaptation littéraire ?
Où et quand elle se passe tout simplement ! Le lieu et l’époque me permettent de trouver l’ambiance graphique, l’environnement esthétique de l’album. Mais il y a des choses que j’adore mais que je ne pourrais pas dessiner, le western par exemple...
Pour ce qui est de la narration, je travaille le découpage à partir d’un synopsis, puis je rends mon story-board à l’auteur, et nous en rediscutons. De ce côté là, je me pose donc surtout des questions de mise en scène, d’angles de vue : des questions cinématographiques en somme.
On sent d’ailleurs l’influence du septième art sur votre travail...
J’aime faire référence à un certain cinéma. J’aime les images qui installent une atmosphère et les grands plans dans lesquels les personnages se déplacent. Mais je suis très mauvais pour le mouvement en soi, contrairement à Tillieux, Uderzo ou Jijé ! Alors je me pose les mêmes questions qu’un cinéaste : comment cadrer une scène, comment l’éclairer, comment y placer ses acteurs, quel casting choisir et comment passer d’une image à l’autre. Cette partie initiale où le schéma de création se met en place est ce qui me passionne le plus en bande dessinée !
Au milieu de votre œuvre, on trouve aussi une biographie, celle de Barney Wilen…
Dont l’idée vient directement de Paringaux, qui adore le jazz et qui voulait faire un hommage à un musicien qui l’avait marqué. À l’époque, Barney Wilen avait disparu depuis plusieurs années. Mais quand on a fait cet album, en 1985, il est réapparut quelques temps plus tard...
On a alors eu la chance de pouvoir le rencontrer. Il a même accepté de faire un disque, La Note Bleue, qui illustre en musique l’album, comme une bande originale, les chansons correspondant aux chapitres de l’album. Par la suite, j’ai été catalogué comme dessinateur jazz, alors que ce n’est pas vraiment la musique que j’écoute. Mais je ne pourrais jamais envisager une ambiance de film noir sans jazz en fond sonore.
Vous travaillez sur un nouvel album, pouvez-vous nous en parler ?
C’est une histoire de Jean-Claude Götting, qui s'appellera Black Dog. Ce sera une réadaptation d’une BD muette, assez confidentielle, qu’avait fait Jean-Claude : Noir. J’aimais beaucoup l’ambiance de cette histoire, qui correspondait à ce que j’avais envie de dessiner, donc je lui ai proposé le projet et ça s’est monté assez vite. L’album devrait sortir au cours de l’année 2016, je vais m’y consacrer exclusivement dans les prochains mois !
Retrouvez l'exposition des fixés sous verre de Jacques de Loustal, à la galerie Champaka
67 rue Quincampoix
75003 Paris
Du 5 février au 14 mars
Du mercredi au samedi, de 11h à 18h30 !
Entrée Libre
GalerieChampaka
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