Stéphane Oiry et Lewis Trondheim viennent de signer aux éditions Dupuis le deuxième tome de Maggy Garrisson, ou les tribulation d’une héroïne de polar pas comme les autres. Jeune femme au caractère bien trempé qui ramasse les morceaux de sa vie après le passage de la tempête ultra-libérale, Maggy Garrisson se révèle une détective efficace, jamais à cours de ressources...
Observer et s’inspirer
Comment est née Maggy Garrisson ?
Stéphane Oiry : Frédéric Niffle a souhaité que je lui propose un projet pour son magazine. Il m'a pris au dépourvu ! Je n'y avais jamais réfléchi et je ne suis pas spécialement lecteur de Spirou. Comme aucune idée ne m'est venue spontanément, Lewis m'a proposé ses services. Nous avons discuté un temps par mail et par téléphone, avant que Lewis ne revienne vers moi avec le personnage de Maggy.
Lewis Trondheim : À la base, c’est venu d’une envie commune à Stéphane et moi de travailler ensemble. Et comme le rédacteur en chef de Spirou n’était pas loin, il nous a dit qu’il était très intéressé de voir ce que l’on ferait ensemble.
Comment avez-vous créé le personnage de Maggy Garrisson ?
Stéphane : Nous souhaitions une jeune femme assez commune physiquement, à l'image des actrices des films de Mike Leigh ou Ken Loach.
Lewis : C’est Stéphane qui a voulu que j’écrive un polar ! Et comme le polar, c’est tout de même un domaine un peu ultra-rabâché, j’étais pas très chaud... Et quand il m’a dit qu’il aimerait bien que ça se déroule à Londres, car il y avait lui-même vécu un moment, j’ai rapproché ça des détectives féminins anglo-saxons. Je me suis dit que ce serait bien d’avoir une femme en héroïne. Par contre, je ne voulait ni d’une potiche, ni d’une bimbo. D’où son look et son caractère bien trempés !
Quel a été le rôle de chacun dans la création du personnage et de la série, dans leurs traits psychologiques et graphiques ?
Lewis : J’ai briefé Stéphane sur le côté « Ken Loach » de Maggy. Et il a trouvé tout seul ses traits. Sa psychologie, c’est moi.
Stéphane : J’imagine une physionomie aux personnages, même si parfois Lewis me suggère certains traits physiques, des attributs vestimentaires et une manière de bouger. J'essaie au maximum de surprendre, de me décaler pour ne pas utiliser de stéréotypes.
Vous faites également défiler une galerie de personnages hauts en couleur, quelles ont été vos sources d’inspiration pour les créer ?
Stéphane : J'observe, je m'inspire des gens que je croise dans la rue, dans le métro ou au hasard de recherches sur Internet, et parfois - plus rarement - j'emprunte des traits à des amis, des personnes de mon entourage, quelques traits.
Lewis : Je crois que je suis fait pour ce job. Ça me vient assez naturellement. Peut-être encore plus facilement avec l’expérience, ça devient une sorte de gymnastique.
Cet album confine parfois au récit de vie, l’intrigue paraissant alors, pendant quelques cases, presque secondaire. Pourquoi ce choix ?
Lewis : Je voulais prendre le temps, que l’on reste avec Maggy, ses petits tracas du quotidien. Je voulais des petites intrigues peu importantes. Stéphane m’avait parlé de la série Bored to Death et j’aimais bien cette approche minimale.
Stéphane : J'aime représenter ce qui m'entoure, le quotidien. Je suis moins à l'aise avec les récits de genre ou récits historiques. Le polar est pour moi un genre « acceptable » car il est souvent très ancré dans la réalité et permet d'explorer assez finement l'intimité des personnages qu'il met en scène.
Y avait-il une volonté de chronique ou critique sociale ? Si oui, de quoi est-elle née ?
Stéphane : Oui, mais je crois que c'est un soucis de véracité plus qu'une forme de militantisme.
Lewis : Elle transparaît sur les trois albums. On voit les soucis de Maggy pour joindre les deux bouts dans une Angleterre ravagée par l’ultralibéralisme. Mais cette situation sociale transparaît seulement à quelques moments du récit. Je ne voulais pas en faire mon cheval de bataille, mais ça m’a aidé à ancré le récit dans une réalité.
Une tranche de vie anglaise
Pourquoi avoir choisi de situer l’intrigue dans l’Angleterre contemporaine ?
Lewis Trondheim: Outre le fait que Stéphane a vécu à Londres, c’était intéressant de décentrer le propos par rapport à la France. On se demandait au début si le personnage serait parisien ou provincial… Et rien ne nous convenait vraiment. Alors que Londres a tout de suite évoqué des images, des ambiances…
Stéphane Oiry : J'aime représenter les lieux où j'ai vécu et j'ai séjourné à Londres 18 mois. Londres est une ville très inspirante graphiquement, par son architecture très contrastée et hétérogène (où l'ultra modernité côtoie des bâtiments anciens) et par ses habitants, d'une grande diversité. Par ailleurs, le Londres contemporain me semblait sous-représenté dans la bande dessinée.
Stéphane Oiry, vous vous êtes inspiré du quartier de Kilburn où vous avez vécu. Quels éléments vouliez-vous particulièrement retranscrire de ces lieux ?
Stéphane : Kilburn est le quartier irlandais avec un taux de chômage élevé qui en fait un lieu vivant à toute heure de la journée. J'avais aussi envie de représenter la station Kilburn High Road, avec son métro aérien.
Vous êtes-vous imposé des contraintes graphiques ou scénaristiques particulières ?
Lewis : Une base avec un gaufrier [une planche de 3 lignes de 3 cases N.D.L.R.] d’un point de vue graphique. C’est tout.
Stéphane : Oui, je ne vois pas d'autres contraintes. La forme est venue naturellement sans forcer tel ou tel parti pris. Personnellement, cette série est pour moi l'occasion de creuser la veine réaliste ou « simili-réaliste » amorcées avec Appollo. J'ai de plus en plus de bonheur à tendre vers cette forme, qui me procure des émotions de dessin que je ne ressens pas avec un dessin plus grotesque ou humoristique.
Quelles ont été vos sources d’inspiration graphique majeures ?
Stéphane : Multiples. Un grand écart entre Tardi pour les ambiances urbaines et Jaime Hernandez, pour sa manière de faire vivre ses personnages.
Avez-vous prévu une durée particulière pour cette série ?
Lewis : Je viens juste de finir l’écriture du troisième tome qui boucle cette tranche de vie avec Maggy. Je sais que ça peut s’arrêter avec ce tome 3. Ou continuer. J’aimerais bien voir plus loin comment elle continuerait à vivre…
Stéphane : Oui, j'ai bien envie de faire un long bout de chemin avec cette Maggy qui est un personnage qui me touche beaucoup.
Quels projets pour l’avenir de la série ?
Lewis : Je pense que ça se décidera dans un an. Stéphane a aussi des projets en parallèle avec le scénariste Appollo.
Stéphane : Oui, nous discutons avec Appollo pour remettre le couvert ! Mais ça traîne…
Travaillez-vous actuellement sur d’autres projets dont vous voudriez parler ?
Lewis : Une quinzaine. Mais ils sont tous top secrets !
Stéphane : Je poursuis doucement une petite série faussement autobiographique pour la revue numérique Professeur Cyclope : Les Stéphane. Sinon, une grande part de mon temps est consacrée à l'enseignement !
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