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Jacques Martin, par-delà le Styx

Marc Jailloux a fait ses armes sur Lefranc, avant de plonger à pieds joints dans Alix, vite rejoint par Mathieu Bréda au scénario. Ce grand admirateur de Jacques Martin a ravi les fans de l’intrépide Gaulois en trois tomes dans la plus pure tradition franco-belge. Mais qui de mieux pour parler de cette Antiquité à mi-chemin entre fiction et histoire que ce dessinateur perfectionniste en personne ?

Formé à l’école Jacques Martin

Comment avez-vous plongé dans l’univers d’Alix ?

Marc Jailloux : Déjà enfant, je lisais Alix. Il y a plusieurs années, Gilles Chaillet, dessinateur de Lefranc, cherchait un encreur pour l’assister. À ses côtés, j’ai commencé à me former à « l’école Jacques Martin ». Ensuite je suis allé rencontrer le grand Jacques Martin chez lui, surtout en temps qu’admirateur. Il était tellement enthousiaste qu’il m’a dit de lui mes montrer mes dessin. Très vite, il m’a demandé de reprendre la série Orion, qui se passe au Ve siècle avant Jésus Christ en Grèce ! Un honneur !

Extrait de La Dernière Conquête

Extrait de La Dernière Conquête

Cette série était en berne car tous les dessinateurs pressentis pour Orion passaient sur Alix. J’ai donc proposé un scénario original autour d’un sanctuaire, le Necromanteion, que j’avais découvert en vacances. Un triptyque était même prévu mais le comité Martin m’a proposé de reprendre Alix. J’ai donc laissé Orion pour dessiner un premier tome d’Alix sur un scénario déjà écrit : La Dernière Conquête.

Normalement la série Alix est produite par deux équipes distinctes qui créent un album à tour de rôle. Comme La Dernière Conquête a eu un grand succès, l’éditeur m’a demandé si je pouvais enchaîner. J'ai donc raccourci un peu mes délais pour créer un deuxième album puis un troisième : Britannia, coscénarisé avec Mathieu Bréda et Par-delà le Styx, sur un scénario de Mathieu sont donc nés.

D’ailleurs Par-delà le Styx donne l’impression de clore une trilogie…

Il y a en effet une sorte de trilogie qui relie Le Dernier Spartiate, Le Dieu sauvage et Par-delà le Styx (voire même Le Cheval de Troie), vu qu’on suit le personnage d’Héraklion, descendant des derniers Spartiates. Par-delà cet effet de suite d’intrigue, il y a aussi un « effet trilogie » entre les trois albums que j’ai réalisés car il était important pour moi de laisser ma marque sur les trois tomes suivis, que l’alternance reprenne ou non ensuite.

D’ailleurs des intrigues ont enfin trouvé des réponses et les personnages sont décrits plus en profondeur…

Dans deux ans, cette série va fêter ses 70 ans : depuis le début les personnages sont sans cesse projetés dans des aventures extrêmement vives. Il est logique qu’on se pose des questions par rapport aux personnages eux-mêmes. On veut savoir ce qui se trame entre les cases !

Alix, dans Par-delà le Styx

Alix, dans Par-delà le Styx

Héraklion, l’orphelin qu’Alix a recueilli, ouvre une véritable quête d’identité quand il part retrouver Astyanax ! Sa recherche fait écho à la vie d’Alix, qui est aussi un « étranger » adopté par un Romain. Alix culpabilise peut-être aussi d’avoir découvert la citadelle des derniers Spartiates car s’il ne l’avait pas fait, elle n’aurait pas été détruite et cet enfant n’aurait pas perdu sa mère… Ce sont paramètres très important dans la construction des personnages.

Leur quête intime se mêle à la grande histoire…

On ne voulait pas du tout s’attarder sur la grande bataille entre César et Pompée, même si on la traverse. En 46 pages, on s’attache à l’évolution d’Héraklion, qui a besoin d’en apprendre plus sur son passé pour aller mieux. Il était intéressant d’avoir en toile de fond l’affrontement historique même si Alix ne fait rien pour la bataille : il doit juste la traverser pour prévenir Astyanax d’un complot…

En plus cette bataille m’a permis de dessiner des éléphants, ce qui est graphiquement et historiquement intéressant… et qui n’avait pas encore été fait dans Alix !

La BD pour suggérer une époque violente

Comment vous êtes-vous documentés sur ce moment historique crucial ?

On a épluché beaucoup d’ouvrages historiques, de reconstitutions de batailles et de costumes militaires. On ne voulait surtout pas se tromper en suivant des habitudes graphiques. Par exemple, dans toutes les gravures d’époque, les cornacs sont représentés dans des habitacles, alors qu’on sait maintenant qu’il n’y en avait pas du tout à cette bataille.

Extrait de La Dernière Conquête

Extrait de La Dernière Conquête

On a essayé de coller à la réalité en notant pas mal de détails même si on n’a pas pu tout utiliser : s’il est important pour nous de bien se documenter, ça l’est tout autant que cette documentation n’apparaisse pas trop de manière pédagogique.

Vous intégrez aussi des personnages historiques à la BD, comment vous y prenez-vous graphiquement ?

Des séries comme Rome donnent déjà des représentations magnifiques de certains personnages comme Marc-Antoine. Pour contrer cela, je me documente au maximum. Afin de créer Marc-Antoine, j’ai recherché un maximum de bustes antiques que j’ai croqués pour en extraire un personnage de l’univers d’Alix. Pour Juba Ier, sa coupe complétement déjantée est aussi d’époque ! Quand peu de représentations antiques existent, je lis des descriptions de cette époque pour animer les personnages.

Marc-Antoine dans Par-delà le Styx

Marc-Antoine dans Par-delà le Styx

Pour certains autres personnages, il n’existe aucun document. Titus, le mercenaire à casque de serpent par exemple. On sait qu’il a existé et c’est tout ! J’ai donc puisé dans mon imagination en partant de son caractère. Je voulais un personnage angoissant avec un côté vautour. Lorsqu'il emmène Alix dîner dans une taverne alors qu'il y a des morts partout, je voulais qu'on ait l'impression qu'il le tient entre ses serres…

On saisit bien l’horreur de bataille malgré des non-dits…

Je ne peux pas traiter l’Antiquité comme si c’était une période calme, car il s’agit d’une époque très violente. Mais il y a aussi une réelle volonté de rester tout public, comme le voulait déjà Jacques Martin. Il faut donc rester suggestif dans l’horreur, ce qui est intéressant au niveau des codes de la BD classique.

Par exemple, une fois le combat fini, les épées sont déchirées et on devine des amorces de charnier : on n’a pas besoin d’en montrer beaucoup plus, car le lecteur comprend qu’il y eut beaucoup de morts.

Ce récit semble plus choral que les précédents…

Comme je travaille sur un album durant un an, il me faut un angle d’attaque à chaque fois différent. Là, on se sert beaucoup de la mythologie « alixienne » en retrouvant des personnages connus de la série. Dans cet album, il y a beaucoup de voyages, même s’il est plus intimiste finalement. Le prochain aura un angle d’attaque totalement différent.

Alix face à Astyanax dans Par-delà le Styx

Alix, Saburra et Astyanax dans Par-delà le Styx

On ne fait pas revenir des personnages gratuitement : ils doivent avoir leur place dans l’intrigue, ne pas être de simples hommages…

Cette mythologie alixienne est un premier pas vers la rencontre avec la série Alix Senator?

Pour moi, Alix Senator a un autre personnage pour héros car cette série se passe après la guerre civile. Alix reste plus proche du personnage de Jacques Martin, alors qu’Alix Senator donne corps à des personnages plus vieux qui ont vu beaucoup de choses : nos personnages ne vont pas vieillir même s’ils évoluent. On ne désire pas les figer, recréer sans cesse le même album. Entre deux actions, ils sont plus en train de réfléchir à leur passé, de douter… C’est peut-être plus dû à l’ère du temps qu’au lien avec Alix Senator.

En rencontrant Valérie Mangin, la scénariste d’Alix Senator, on s’est rendu compte qu’on se servait tous deux d’Héraklion : donc il fallait qu’on prévienne l’équipe d’Alix Senator si jamais on faisait subir des choses importantes à ce personnage.

Héraklion dans Par-delà le Styx

Héraklion dans Par-delà le Styx

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