L’auteur strasbourgeois est à l’honneur de la 4e édition des Rencontres de l’illustration. Cinq expositions mettant en scène dessins, illustrations, affiches, tableaux et planches de bande dessinée promènent le visiteur de la médiathèque André Malraux au musée Tomi-Ungerer, en passant par le Shadok, l’Aubette et le MAMCS. Entretien avec Blutch dans sa ville natale.
Cela fait 45 ans que vous dessinez : pensez-vous atteindre un jour « le dessin pur » - comme vous qualifiez celui de Steinberg - ou est-ce une quête vaine ?
Blutch : Le but de la quête n’est pas de trouver quelque chose. Ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage.
Êtes-vous resté enfant ?
Je pense que oui : je suis un enfant mûr, mais un enfant. En tout cas, quand je travaille, j’essaie de retrouver cette joie pure, simple, cet émerveillement que j’éprouvais enfant.
Vous avez suivi des études à l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg : cela n’a-t-il pas gommé la pureté de vos dessins d’enfant ?
Non, car j’étais assez imperméable aux études. Je suis arrivé très jeune aux arts déco, j’avais 17 ans. Les deux premières années ne se sont pas très bien passées. J’étais un mauvais sujet : je ne travaillais pas trop, je pensais plus à aller draguer les filles qu’à bosser mes cours. Je me suis fait lourder de l’école à l’issue de ce qu’on appelait les deux années probatoires. Mais j’ai été rattrapé par un professeur d’atelier, un illustrateur émérite du nom de Claude Lapointe, qui a dit qu’il me voulait dans son atelier. J’y ai donc passé les deux années suivantes.
Blutch devant son exposition "Hors-la-loi" à la médiathèque André Malraux
Qu’y avez-vous appris ?
J’ai appris énormément en école d’art durant ces quatre ans, mais pas tellement avec les profs, surtout grâce aux autres élèves. Mes condisciples, pour la plupart, se fichaient de la bande dessinée. Cela m’a rafraîchi les idées, car moi j’étais vraiment barré dans tous les tics et les manières de se recopier entre dessinateurs de BD. J’avais l’impression de naviguer dans un mélange de styles indigeste, qui mixait Tardi, Bilal, Hermann, Pratt... c’était juste infect ! J’avais cette grammaire-là de BD. Aux arts déco, j’ai découvert des gens qui m’ont ouvert à d’autres choses.
Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?
Ce qui nous anime, quand on dessine, est profond. Cela va au-delà de tous les accidents de la vie : études réussies ou ratées, aventures réussies ou ratées, déménagements, séparations. Mon travail va au-delà de ça, c’est une espèce de fil conducteur. C’est presque un besoin physique pour moi de dessiner. Quand je ne suis pas à ma table, je ne suis pas bien.
Des planches de l'album de Tif et Tondu, avec Blutch au dessin et son frère Robber au scénario, à paraître à l'automne 2019 (éditions Dupuis), exposition "Hors-la-loi".
De quoi se nourrit votre art ?
Je suis toujours un lecteur de BD, j’adore ça ! Je lis et je relis. Je regarde tout ce que la vie peut proposer, toutes les formes d’art, d’expression humaine, et aussi les scènes du quotidien. Par exemple, dans les expos, le spectacle est dans la salle : ce sont les gens.
Qu’aimeriez-vous que le public pense de votre travail après avoir vu les expositions des Rencontres de l’illustration ?
Les gens font ce qu’ils veulent, je ne suis pas responsable de l’image qu’ils ont de moi. Je mets des choses en circulation, et après elles vivent leur vie ou bien elles disparaissent. Il y a tout de même des dessins auxquels je tiens, y compris au MAMCS (musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg) et au musée Tomi-Ungerer. Ce sont des dessins liés à ma vie intime. Par exemple, le portrait de mon fils, je n’ai pas envie de le vendre.
Une œuvre vous tient particulièrement à cœur dans ces cinq expositions ?
Il y a un Renoir magnifique au MAMCS. C’est une lithographie, dont la scène se situe chez la modiste : deux jeunes filles essaient un chapeau. Je la regarde à chaque fois que je passe devant. Ce que j’aime ? C’est que c’est Renoir ! C’est un de mes « pères ». Chez ce peintre, il y a cet émerveillement de l’enfance qui est constant et que l’on sent dans son travail. Je ne vais pas nous comparer, ce serait hyper prétentieux, mais c’est cela que je cherche aussi. C’est vraiment l’œuvre la plus emblématique pour moi depuis qu’on monte les expositions.
Lithographie de Renoir "Le Chapeau épinglé" (à gauche), exposée auprès d'un dessin de Blutch, extrait de "La Beauté" (éditions Futuropolis), au MAMCS
La bande dessinée nécessite un travail presque carcéral, tout en étant un art très mal reconnu. Pourquoi continuez-vous à en faire ?
Parce que je m’en fichais que ce soit reconnu. Aux arts déco, après mon renvoi, un autre prof me voulait, pour intégrer son atelier de peinture... « l’art véritable » ! Mais j’ai toujours préféré la bande dessinée, l’art populaire, l’art industriel reproductible. Car ce qui me plaît aussi, c’est d’écrire, ce sont les mots, les dialogues. Et puis en 1985, il ne fallait pas faire de la peinture... c’était archi ringard !
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