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Timothé Le Boucher et sa peur des jours qui disparaissent

Imaginez que, du jour au lendemain, vous viviez qu’un jour sur deux, et qu’une autre personnalité grignote le restant de vos jours… C’est ce qui arrive à Lubin, héros de la BD Ces jours qui disparaissent, rééditée pour fêter les 50 ans de Glénat et la sortie du Patient. Son auteur Timothé Le Boucher, nous raconte l’origine de ce récit fantastique et psychologique, où se rencontrent la crainte du temps qui file et le terrible passage à l’âge adulte.

Dépeindre la peur du chrono

Lors de notre interview pour la Toile montante, vous abordiez déjà le projet Ces jours qui disparaissent...

Timothé Le Boucher : Je venais tout juste de sortir des Beaux-Arts d’Angoulême et je ne savais pas trop quoi faire. J’avais commencé plein de projets qui ne me plaisaient pas et sont restés inachevés. Ces derniers étaient trop importants pour les finir et les présenter à des éditeurs. Cette époque était marquée par des questionnements sur mon avenir et les choix que j’allais faire.

J’avais vraiment envie de faire de la bande dessinée, mais financièrement c’était un choix assez précaire. Quand j’allais dans des organismes pour l’emploi, on me conseillait souvent de me diriger vers d’autres domaines et je me retrouvais à passer des entretiens qui n’avaient rien à voir avec la BD. Une espèce de flou s’installe, où on ne comprend pas ton projet.

Comme je l’expliquais à mes amis, j’avais l’impression d’être un personnage qui vivait un jour sur deux. D’un côté, il y a celui qui prend la direction, bien que risquée, de sa passion, et l’autre qui prend le chemin vu comme bon par de la société. Cette opposition a fait émerger cette idée de scénario. En deux jours, j’avais déjà bien les axes en tête.

Comment avez-vous fait ressurgir ce tiraillement à travers Lubin, le héros de la BD ?

L’élément fantastique. Cela m’a aidé à mettre sur papier les questionnements que j’ai eus par rapport au statut du travail, de l’estime sociale qu’on en tire ainsi que sa valeur liée à l’argent. Mais surtout, cette ambiance apportait de la cohérence dans ma façon de raconter cet entre deux, avec ces deux personnalités qui doivent dialoguer voire se disputer chez Lubin, pour savoir laquelle va dominer l’autre. Cela m’a aussi aidé à installer des ressorts dramatiques dans l’histoire. Ces jours qui disparaissent narre aussi le temps qui passe, nos proches qui s’éloignent de nous à cause d’un déménagement. C’est assez triste de savoir qu’on loupe tant de pans de leur vie et qu’on en prend connaissance que lorsqu’on revient.

On sent également qu’une introspection psychologique se tisse au fil des pages…

Quand on écrit une BD, on y met soit des anecdotes connues, soit des angoisses qu’on n’arrive pas à saisir. Ces jours qui disparaissent permettait vraiment de faire ressurgir la peur du temps qui passe, qui m’a suivi toute ma vie. J’ai toujours eu cette envie de retourner dans le temps, pour revivre certains moments, parce que j’ai peur qu’ils disparaissent ou d’en perdre le fil.

Même si la tournure fantastique est importante, il est vrai que le héros est atteint d’un trouble dissociatif de l’identité. Je voulais amener un aspect réaliste à travers des psychologues qui interviennent dans l’histoire. J’ai même fait appel à des amis psychologues, histoire de rationaliser l’élément surnaturel. Je trouve ça assez marrant de jouer sur ces deux tableaux, et laisser planer le doute dans le récit. Rien que la couverture est un leurre : on a l’impression que le héros est diabolique, pour créer la surprise chez le lecteur.

L’idéalisme en étendard

Comment avez-vous conçu Lubin et son univers ?

A la base, Lubin devait être un métalleux dans un groupe qui marchait bien, mais ramait un peu financièrement. Mais quand j’ai esquissé les planches, j’ai rencontré des obstacles, comme représenter la musique. Je trouvais ça difficile et pas très intéressant graphiquement. En réfléchissant, l’art du cirque m’a vite inspiré. Dans la troupe que formait Lubin et ses amis, ils se complètent tous dans leur spécialité et la fonction de chacun signifiait plein de choses. Le côté spectacle permettait de renforcer la dimension fantastique, notamment dans la première scène de la BD qui véhicule plein de choses sur le dédoublement du héros.

Comme j’avais déjà le déroulé dramatique de l’histoire, il fallait que lui et ses amis fassent contraste. Par exemple, je voulais Lubin naïf, hédoniste, plein de vie, idéaliste en amitié et en amour. J’ai un peu de cette candeur, dans le sens où je fais confiance aux gens. C’est pour ça que j’aime les amitiés fortes où tout va bien, même si elles sont complexes. Au départ, je l’ai dessiné comme un personnage banal. Sauf que je voulais qu’on l’identifie, grâce à la couleur de ses cheveux, vu qu’il allait vieillir durant tout l’album... J’ai tendance à bien différencier les personnages grâce aux couleurs et ainsi créer des caractères variés.

Des personnages variés et parfois atypiques, qui vivent en dehors des codes…

Ce qui m’énerve dans la production culturelle, c’est de croiser un peu le même type de héros : masculin, blanc, hétéro et entouré que d’une seule fille stéréotypée. A mes yeux, ces registres sexistes ne sont pas représentatifs de notre réalité. Quand on fait de l’image, en particulier de la BD, on affirme une vision du monde.

A chaque fois que je dessine, je prends le temps de réfléchir sur comment représenter les personnages. Par exemple, dans une scène de la BD, un vigile doit maîtriser le héros. Instinctivement j’ai pensé à un garçon pour camper ce rôle. Face à ce genre de réflexion, j’aime bien par exemple inverser les sexes et rétablir une sorte d’équilibre.

Quel personnage avez-vous préféré composer ?

Côté scénario, j’ai apprécié créer Léandre. Ses dialogues sont toujours ponctués de blagues un peu lourdes, qui ne demandent certes pas beaucoup de réflexion mais ont servi à bien dynamiser le récit. En termes de dessin, Lubin était assez facile à dessiner, mais j’ai bien aimé concevoir Tamara. C’est un personnage que je voulais dessiner depuis longtemps, avec ses longs cheveux. Faire vieillir les personnages était une étape amusante de mon travail, car je devais sans cesse leur changer vêtements et diversifier !

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