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L’histoire vraie d’un acteur du futur

Mettant son talent au service des souvenirs de Vincent Lacoste, Riad Sattouf raconte l’émergence d’un jeune acteur et livre une touchante réflexion sur la célébrité.

Il y a 13 ans, Riad Sattouf réalisait son premier film Les Beaux Gosses et y évoquait avec humour et brio la jeunesse, thème récurrent de son œuvre, avec tout ce qu’elle peut avoir d’attachant et de malaisant. Pour l’un des rôles principaux, le réalisateur sélectionnait alors un adolescent timide qui ne s’était jamais destiné au cinéma, un certain Vincent Lacoste. Le film fut un immense succès, et le jeune acteur devint rapidement une valeur sûre du cinéma français. C’est cette trajectoire que l’auteur raconte dans ce récit prévu en 2 tomes. C’est l’histoire de la découverte du cinéma et de son monde fascinant par un jeune d’aujourd’hui, un ado anonyme qui devint célèbre. C’est aussi l’histoire de deux vies qui changent, de deux hommes qui devinrent amis. C’est un récit plein d’humour, de passion et d’humain. Bref, c’est tout ce que l’on aime chez Riad Sattouf et une nouvelle preuve de son immense talent d’observateur et de conteur. 

Comment passe-t-on de l’Arabe du futur chez Allary Editions, à cette nouvelle aventure Le jeune acteur chez Les livres du futur ?

J’ai terminé L’Arabe du Futur 5 pendant le confinement et ce n’était pas simple de passer à autre chose, cette écriture m’avait beaucoup occupé l’esprit. Mais ce projet de bande dessinée avec Vincent, nous l'avions depuis longtemps. Enfin… Surtout moi. Je l’avais vu évoluer au fil des années, passer de ce jeune ado anonyme qui n'avait jamais cherché à être acteur à cette personnalité que les gens reconnaissaient dans rue. Je m’étais rendu compte que la réalité avait changé autour de lui et que sa manière d’être, ses gestes, sa sensibilité s'épanouissaient : il se transformait. Je me suis dit que c’était un sujet intéressant. J’avais fait une bande dessinée qui se passe en Syrie, une autre qui se déroule dans un monde de jeunes filles, je me suis dit que la prochaine devait se passer dans le milieu du cinéma et de la célébrité. 



C’est ce changement de statut observé chez Vincent qui vous a intéressé ?

Oui, au-delà du cinéma, la célébrité est un thème intéressant parce qu’elle change le comportement des gens, en bien ou en mal. Vincent et moi sommes vraiment restés copains. On se voit très souvent et on se parle au moins une fois par semaine. Il me raconte ses tournages, me parle des autres acteurs... Je trouvais ça génial d’avoir la chance d’observer ce phénomène au plus près et je me suis dit que par rapport à L’Arabe du futur, ça allait m’offrir des vacances. C’est souvent cela qui décide du prochain projet. Les cahiers d’Esther sont arrivés parce que je voulais prendre l’air par rapport à ce que je faisais avec La vie secrète des jeunes. Là, c’était la même chose, j’allais passer dans un nouvel univers, « de l’autre côté d’un autre miroir ».



Est-ce que c’est cette envie de voir l’envers du décor qui vous a poussé à créer votre propre maison d’édition ?

Cela faisait des années que j'en avais envie. J’avais déjà commencé avec des tirages limités et des sérigraphies mais j'avais envie d’aller plus loin parce que le livre c'est ce qui me passionne le plus au monde. Je faisais déjà les dessins, les couleurs, la maquette, je choisissais même le papier. Je me suis dit « Autant tout faire jusqu’à la fin et aller jusqu’au bout des choses ». Et quelle meilleure occasion pour le faire que ce projet avec Vincent qui m'avait déjà accompagné sur d’autres premières fois. Notre premier film, pour lui comme pour moi, nous l’avions fait ensemble. Alors publier sa première bande dessinée, ma première en tant qu’éditeur complètement indépendant, cela fait naturellement sens. C'est très marrant de tenter cette aventure et de s’y lancer ensemble.

Avec le succès de L’Arabe du Futur chez Allary Editions, et votre position de seul auteur de bande dessinée là-bas, on imagine que vous aviez beaucoup de liberté et que vous auriez pu y imposer un certain nombre de choix, qu’est-ce que le fait d’être éditeur indépendant vous apporte en plus ?

Cela renforce la sensation d’avoir son livre. Evidemment, avant aussi c’étaient mes livres, je vais d’ailleurs faire L’Arabe du futur 6 et le prochain Cahier d’Esther chez Allary, mais là, je m’en sens encore plus responsable. C’est à la fois génial et en même temps, je découvre la peur qu’il y ait une inondation chez l’imprimeur…



D’être confronté à la crise du papier…

Heureusement non, j’ai la chance de ne pas être confronté à ce problème. J’utilise toujours le même papier et du fait des réimpressions récurrentes de mes livres, il y en a toujours suffisamment en stock. Mais oui, c’est ce genre de nouvelles considérations que je trouve à la fois agréables, responsabilisantes et passionnantes.


Allez-vous éditer d’autres auteurs dans cette maison d’édition ?

Sans être superstitieux, je préfère limiter les effets d’annonce. Par exemple, Le jeune acteur, je n’en ai parlé qu’une fois le projet finalisé, quand j’ai su qu’il allait sortir. Je préfère qu’un projet fasse parler de lui plutôt que de parler des projets. Donc je vais me contenter de dire qu’à l’exception des livres chez Allary, je vais essayer de faire mes prochains albums dans ma maison d’édition. Pour le reste…

Vous parlez de la vie secrète des jeunes, des cahiers d’Esther, de votre rencontre avec Vincent adolescent. Quel est votre rapport avec ces « jeunes » que vous observez ?

Je dois dire que je me suis toujours senti très responsable de Vincent. Il a failli ne pas faire le film, c’est moi qui ai beaucoup insisté pour l’avoir. J’ai toujours été attentif à ce qu’il faisait pour éviter qu’il ne tourne mal. Le cinéma c’est un univers dans lequel on peut très facilement se bruler les ailes, c’est très particulier. Je suis donc toujours resté proche de lui comme une sorte de « tonton » qui essaierait de le maintenir dans le droit chemin. Après, sur les aspects pas très reluisants de cette jeunesse, je trouve intéressant de rappeler à tout le monde qu’on a tous été comme ça. Bien souvent, les gens devraient s’en souvenir.



Vous qui évoquez souvent votre propre jeunesse dans vos albums, est-ce que vous vous êtes vu devenir un « adulte » ? 

C’est compliqué de répondre à cette question… Je me suis rendu compte en écoutant Vincent que le temps avait passé et qu’il n’était plus le jeune ado que j’avais connu. Je le vois toujours comme le petit mec qui rigole dès qu’on fait une blague un peu osée alors qu’il est devenu un acteur qui tourne plusieurs films en même temps et qui est entouré de plein de gens pour gérer sa carrière. Moi, je ne m’en suis pas forcément rendu compte donc… En effet, peut-être que ça m’a donné un coup de vieux.

Ce dont je me suis également rendu compte, c’est que Les cahiers d’Esther, L’Arabe du Futur et Le Jeune Acteur se passent un peu dans la même réalité mais dans le dernier, mon personnage a effectivement grandi, et avec son long nez, il a effectivement pris la place graphique de la figure paternelle qu’il pouvait y avoir dans les premiers. 

C’est marrant de voir qu’en ce sens Vincent est un peu comme mon fils de l’autre côté de ce miroir dont je parlais précédemment.


Le Riad Sattouf d’aujourd’hui a une notoriété bien supérieure à celle de ses débuts, est-ce qu’en interrogeant la célébrité de Vincent Lacoste, vous revisitez également la vôtre ?

C’est fort possible. Ce statut de « célébrité », c’est quelque chose de passionnant à observer. Que l’on déteste ou que l’on adore l’idée, tout le monde à quelque chose à voir avec la célébrité. On va voir les films des acteurs que l’on admire, on court écouter les chanteurs les plus connus, et puis il y a des gens célèbres qu’on méprise profondément… Cela fait 10 ans que je traverse la place de la République avec Vincent. J’ai vu cette place changer d’aménagement, de population, mais j’y ai également vu le changement de rapport du public à Vincent. Certes il peut arriver qu’on me reconnaisse un petit peu mais ça n’a rien à voir avec l’intensité de ce qui lui arrive à lui. Son image, son corps, son apparence sont très connus. Et il vit de cela. Je pense que c’est un état de la nature qui est très spécifique à l’homme parce qu’on ne connait pas de mouette célèbre parmi les mouettes, ou de chien célèbre parmi les chiens. Pour moi, il y a une dimension magique dans ce phénomène, celle d’être capable de provoquer chez d’autres humains une sorte de stupeur. 


L’album démarre par une sorte de champ/contre-champ narratif qu’on ne dévoilera pas plus ici pour ne pas gâcher la surprise mais c’est bien la voix de Vincent qui narre la grande majorité de l’album. Comment avez-vous travaillé ensemble ? 

J’avais gardé plein de souvenirs de nos expériences passées. Et surtout, j’ai retenu beaucoup de choses qu’il m’avait racontées parce qu’elles étaient très drôles. Quand nous avons commencé le projet, je lui ai demandé si mes souvenirs étaient justes en lui soumettant mes notes. Nous avons beaucoup travaillé par écrit. Le noir sur blanc est idéal pour bien remettre au clair les idées. Ça lui a permis de corriger, de modifier, de réorganiser mais aussi d’approuver tout cela. Je lui ai également fait toute une liste de questions comme « C’était comment la première fois que tu as vu ton costume ? Que tu as rencontré tes partenaires ? Que tu as vu une caméra ? ». Par exemple, il m’a rapporté que la première fois qu’il avait vu la caméra, il l’avait trouvée énorme, qu’elle lui rappelait un vaisseau spatial. C’est pour cela que je l’ai dessinée aussi énorme dans l’album, pour illustrer son ressenti par opposition à la réalité. Une autre manière de capter tout l’aspect mythologique du cinéma que je voulais aussi aborder.




Dans le livre, on découvre un adolescent un peu « normal », pas très flamboyant, et même parfois un peu malaisant. Difficile d’imaginer qu’il deviendra cet acteur de premier plan… Avec le recul, avez-vous été surpris par certains souvenirs de Vincent ?

Disons que pour jouer le rôle que j’avais pour lui, il fallait dès le départ que nous ayons une complicité sur les pans malaisants de l’adolescence. Du coup, déjà à l’époque, il me racontait plein de trucs qui lui arrivaient. La plupart des situations du film le faisaient marrer. Et comme beaucoup de garçons que j’ai pu connaître, et j’imagine que les filles sont pareilles au même âge, il avait un coté ultra-obsédé qu’on retrouve dans l’album. Mais c’est vrai que j’ai découvert quelques pans de son expérience que je ne connaissais pas. Par exemple, qu’il avait essayé de draguer des figurantes…


Dans les anecdotes de tournage, il y a également cette scène où il se découvre, déçu et même angoissé, maquillé et habillé comme le sera son personnage…

Oui, il était jeune et n’avait aucune idée du cinéma que je voulais faire. Lui, il imaginait qu’un film avec des adolescents, cela ressemblait forcément à American Pie, où les acteurs ont en réalité la vingtaine passée, où ils sont tous beaux, bronzés et musclés… et le voilà projeté dans un univers qu’il ne voyait pas comme tel, sans pouvoir revenir en arrière.

Devant la transparence de ce qui est raconté, on imagine un acteur plein d’auto-dérision. Quelle a été la réaction de Vincent par rapport à ce premier tome ? 

Je crois qu’il en est très content même si à l’origine il était un peu inquiet. Il craignait assez que j’entreprenne de raconter ses mémoires. Au début, il m’a même dit « Non, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter à mon âge ?». Ce n’était évidemment pas le projet. Mon angle, c’était de raconter son évolution, de tout traiter avec humour mais en racontant les faits de manière terre-à-terre. Donc, il a lu l’album et ça l’a fait marrer. Il ne m’a quasiment rien fait changer à part de petites erreurs de faits ou de situations. Une des grandes qualités de Vincent, c’est d’avoir beaucoup d’auto-dérision. Il prend son métier très au sérieux, mais pas lui-même.


On sent votre affection dans l’album, il y a une bienveillance très forte envers cet ado dont on peut dire qu’au départ, il n’est pas « éclatant ». 

Ce qui est clair c’est que j’adore Vincent et sa nature très humaine. Je n’allais certainement pas le mettre à mal. Mais je crois pouvoir dire que son talent n’a pas été « immédiat » et je pourrais dire la même chose à mon sujet. Toute ma vie, j’ai croisé des auteurs bien meilleurs que moi mais finalement, avec la passion et le travail, lui et moi avons réussi à nous épanouir au travers de nos passions. Vincent, c’est l’exemple type du gars qui a été épanoui par l’Art, par sa passion du jeu d’acteur et par son travail. Il est beaucoup plus cinéphile que moi maintenant, il est même très pointu. Donc, si par ce livre je peux montrer qu’avec des efforts, on peut réussir à faire des choses, c’est déjà ça.

La sortie de votre deuxième film ensemble, Jacky au royaume des filles, n’avait pas rencontré le même succès que Les Beaux Gosses. Au démarrage de L’Arabe du Futur, vous expliquiez que d’un seul coup, le téléphone avait arrêté de sonner et cela avait été une période difficile. Allez-vous aborder ce sujet dans le tome 2 du Jeune acteur, de votre point de vue et de celui de Vincent ?

D’abord, cela me fait plaisir que vous ayez envie de le savoir : ça veut dire que vous voulez connaître la suite ! Je peux juste dire que j’ai fini de l’écrire. Au départ, j’avais prévu une grande histoire en 400 pages et puis j’ai préféré développer mon histoire en deux volumes séparés, deux grandes parties qui ont clairement deux tonalités différentes. Disons que la suite restera centrée sur Vincent mais conservera ce double regard…

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