ZOO

Wanted : Tiburce Oger, auteur de Go West Young Man

Le 3 novembre 2021 sort l'album western tant attendu : Go West, Young Man. Go West, Young Man ce sont 16 bédéastes de talent pour 14 histoires qui retracent la conquête de l'Ouest américain, de 1763 à 1916 ! Pour en apprendre davantage sur ce projet aussi vaste que les plaines américaines, nous avons rencontré Tiburce Oger.


Bonjour Tiburce. Pour commencer, en plongeant dans ce très bel album, on a vraiment le sentiment de parcourir le western avec des têtes d'affiches, dis donc !

Tiburce Oger : Oui c'est ça, je n'ai qu'un regret c'est de ne pas l'avoir fait il y a 10 ou 15 ans, il y aurait eu plus de monde, des gens comme Giraud


Mais c'est bien aussi, je vois que tu as quand même Benjamin Blasco-Martinez ou même Ronan Toulhart

T.O : J'y tenais parce que Benjamin est passionné par le western, il a bien saisi l'iconographie et l'esprit de ce monde sauvage dans ses albums, il avait tout à fait sa place dans l'album avec les autres. Pour Ronan, je connaissais son travail sur le monde des pirates, des chevaliers, c'est Eric Herenguel qui m'a parlé de son mini-portfolio western avec quelques petites histoires, des illustrations et j'ai adoré son travail, sa facilité pour dessiner des chevaux, sa dynamique.

Ensuite, on a des pointures comme Boucq, Ralph Meyer, Rossi





C'est tout l'intérêt aussi de ton idée, d’avoir choisi un objet/passerelle, cette montre que l'on retrouve tout du long, tu peux glisser des petites parties ici ou là…

T.O : Oui, mais parfois c'était difficile pour intercaler des histoires, pour glisser des auteurs, il fallait aussi qu'il y ai une concordance avec les personnages, ce qui nous a amené à faire refaire des visages, parce que certains dessinateurs ne s'étaient pas raccordés avec ce qui précédait, du coup ça ne correspondait pas au niveau des cheveux, etc…






Comment tu as travaillé justement sur ce genre d'orchestration ?

T.O : J'avais un peu mon "plan de bataille", si tu veux, je savais que je devais travailler 150 ans d'histoire de la conquête de l'ouest, avec l'arrivée des blancs. Ensuite j'avais une liste de thème, j’ai donc demandé à chaque auteur ce qu'il voulait traiter. Labiano, par exemple, m'a dit qu'il était fasciné par Wild Bill Hicock, donc j'ai glissé dans son histoire une anecdote ou l'on parle de Wild Bill. Ralph Meyer se souvenait d'une vieille histoire de Giraud qui parlait du Pony Express, Christian Rossi c'était les apaches, Eric Herenguel voulait des saloons et des filles, Olivier Taduc m'a dit qu'il voulait des trappeurs… Il y en a beaucoup qui avaient leur petite idée, leur choix, d'autres qui sont adaptés en fonction de l'organigramme.



On a vraiment l'impression de voyager dans le genre avec cet album, de traverser le Western avec tous ses thèmes, les indiens, la guerre de sécession, le pony express… C'est quelque chose qui t'intéressait, faire le point ?

T.O : En fait, je voulais faire partager ma passion du western et rendre hommage avec tous ces artistes aux auteurs qui m'ont fait rêver lorsque j'étais ado, quand je lisais ça le dimanche matin, avec mon paquet de petit Lu, en foutant des miettes partout dans le lit, le chien couché à mes pieds, en lisant Comanche, les Tuniques bleues, Blueberry… Des rêves de mômes qui m'ont donné envie de faire moi-même de la bande dessinée.



Le western c'est vraiment un genre qui t'est cher de toute façon.

T.O : Oui, après il y a bien sur plein d'autres choses qui me plaisent, j'ai passé par exemple plus de 20ans de ma carrière sur de l'Héroic Fantasy, alors que bon, ça n'était pas forcément mon genre de prédilection ;-)


Mais Gorn, c'était à la base un idée western non ?

T.O : Oui, Gorn normalement c'était un soldat confédéré mort et son fantôme revenait. Mais on m'avait dit à l'époque que le western, à part Blueberry c'était un genre usé.


Pourtant, je trouve que le Western revient en force depuis quelques années…

T.O : Je dirais à partir de 2015, environ. A ce moment-là je sors Buffalo Runner par exemple, et en même temps, Dorison et Meyer sortent Undertaker, là c'est la baffe, un gros succès. Tous les éditeurs se disent alors que finalement le western ça peut fonctionner. Après il ne faut pas oublier qu'avant tout c'est l'alchimie entre un bon scénariste et un excellent dessinateur qui fait que ça fonctionne, bien plus que parce que c'est du western. Il y a eu d’ailleurs ensuite d'autres western qui sont sortis et qui n'ont pas toujours eu le succès d'Undertaker. Ça dépend vraiment d'une alchimie.



Quand on regarde bien, ça ne s'est jamais vraiment arrêté, il y en a toujours eu.

T.O : Tout à fait, j'avais sorti les trois albums de la Piste des ombres il y a vingt ans, il y a toujours les copains qui sortent des choses, Blanc-Dumont ne s'est jamais arrêté de produire du western… Mais c'est vrai aussi que ça n'était pas la surproduction qu'il pouvait y avoir jusqu'aux années 60/70, avec l'influence des films avec John Wayne, Cary Cooper, Sergio Leone….



C'est peut-être aussi un genre qui se traînait des à priori, perçu comme de la « vieille BD »…

T.O : Oui, en plus c'était quand même toujours le même genre d'histoire, le gentil shérif qui poursuit les méchants qui viennent cambrioler une banque ou le gentil soldat qui se bat contre les méchants indiens… A un moment donné, il a fallu faire bouger les choses. Il y avait Derib, par exemple, qui a fait de très belles histoires avec Buddy Longway, qui inversait la tendance.



Actuellement il y a des albums qui sont assez modernes, je pensais à Jusqu'au dernier de Felix et Gastine qui prennent le genre complètement à revers en proposant presque un anti-western…

T.O : Ils partent vraiment de l'archétype même du western, avec les promoteurs du chemin de fer etc. Mais à un moment ils font basculer tout ça dans une enquête avec la mort de ce gamin et soudain on est dans le drame humain, la folie… Le tout servi par un dessin absolument sublime, un réalisme exigent à l'extrême, de belles lumières. Gastine nous offre un cinéma fabuleux.

Je me sens assez proche de ce type d’émotion, après, le dessin de Paul je n'y arriverais jamais, ça n'est pas dans mon ADN. Je me sens plus proche d'une école semi-réaliste à la Dominique Bertail qui va déformer, arrondir les angles, sur les choix des lumières, des choses un peu expressionistes. Là, il a fait des planches au brou de noix qui sont fabuleuses, c'est super beau !





Dans ton trait, je vois aussi, même si ça n'est pas la même parenté, des similitudes avec le trait de Cromwell, par exemple…

T.O : Oui, je suis plus près de ça, c'est vrai, mais aussi, je viens du dessin animé, avec le trait cartoon, contre lequel je me bagarre constamment. Pour donner plus de mouvement, j'aurais parfois tendance à déformer, à bouger les choses, casser le trait. Après, je le revendique. Et je n'ai pas la patience de faire du dessin réaliste et l'exigence que ça demande. A un moment donné je me lasse, j'arrête, je me dis que la case suffit comme ça, je ne vais pas la dessiner vingt fois, il faut que je raconte l'histoire, c'est vraiment ce qui me passionne, avant même le dessin. C'est pour ça que j'étais aux anges avec cet album, car je construisais mon récit et à la place de ma main qui dessine comme elle peut, j'avais des auteurs de talents, des génies aux pinceaux !!!


Là, tu es particulièrement bien accompagné, c'est vrai !!!

T.O : Finalement l'album s'est fait assez rapidement, on passe plus de temps à attendre qu'il vienne qu'à le réaliser. Fin décembre 2020, toutes les planches étaient terminées, après c'était la fabrication, refaire quelques textes, corriger des détails. Mais c'est vrai que quand je me suis décidé à faire cette histoire, j'étais cloué au lit, je m'étais cassé deux côtés, j'aurais pu "claboter" et je n'aurais même pas eu l'occasion de collaborer avec ces auteurs , j'ai plein d'histoires de western à raconter, mais ils ont tous un emploi du temps hyper chargé. Par contre, si je leur propose une petite histoire à chacun, ça ça peut fonctionner. Ensuite, avec Facebook, merci les réseaux, j'ai contacté la plupart des auteurs qui ont rapidement donné leur accord.


Pour cette sélection, les noms sont venus tout de suite ?

T.O : J'avais toute une grande liste en fait, avec des gens dont j'aime le boulot. Mais malgré un budget conséquent, on ne pouvait pas faire un album de 120 pages ! On s'est donc arrêté à une quinzaine d'auteurs, on ne pouvait pas en avoir 25.


La dynamique qu'il y a eu dans cet album, tu aimerais la répéter, revenir sur un album anthologique comme ça ?

T.O : Oui, parce que c'était passionnant. Après, je pense qu'il faut laisser un peu le temps à l'album de sortir, de montrer aux auteurs dans quoi ils ont été intégrés, même si on a pas mal partagé tout au long de l'élaboration. J'avais créé un groupe ou tout le monde pouvait voir les travaux de chacun. On a pu énormément échanger. Mais il faut vraiment qu'ils puissent avoir l'album en main, pour se dire peut-être "tiens, on va en faire un second !". J'ai des auteurs qui m'ont dit "si tu en fais un autre, on est partant. »

C'est vraiment un rêve de gamin, je ne veux pas que ça devienne ensuite une histoire commerciale. Cet album, par son aspect hors norme, tous ces auteurs sur une histoire commune, il n'y en a pas tant que ça, ça va forcément attirer la curiosité des gens.


On revient presque sur une sorte de recueil de nouvelles…

T.O : Oui, c'est ça, Une suite de petites nouvelles avec une idée très forte qui les lie. Et il fallait qu'on prenne une sorte de baffe à la fin de chaque histoire. C'est Hervé Richez qui y tenait, il insistait pour qu'on ai à chaque fois ces twists finaux. Parfois j'avais envie de ne pas forcément définir certaines fins, un peu à la Maupassant, mais lui insistait, ça m'a forcé à sortir de mon confort.

On a donc une suite de petites nouvelles, mais mises bout à bout on a une saga, c'est ce qui m'intéressait.


C'est ce que j'aime bien, ce qui fonctionne très bien dans cet album, une vraie cohérence d'ensemble, même si elle est mosaïque. On a vraiment le sentiment de lire une même histoire avec un début et une fin. Et même si certaines parties sont plus condensées, tu prends le temps de bien développer les personnages et pour ne pas perdre en caractérisation, tu ne te disperses pas dans des détails d'histoire.

T.O : Et c'est ce qui est dure aussi, c'est un peu les voix off qui m’ont permis ça. C'est, des fois, plus facile par des textes off d'entrer dans la peau, la tête des personnages. On va parfois dire plus de choses par des pensées que par des "phrases d'action" qui peuvent être souvent assez creuses. J'ai beaucoup travaillé sur les textes. Il fallait qu'ils soient "poétiques" et à la fois assez percutants. Dans mon travail d'écriture, je ne me suis jamais autant passionné et en même temps, ça n'a jamais été aussi difficile.




Je repense justement à cette histoire illustrée par Ralph Meyer, ou finalement on suit ce gamin, on a des petites ellipses qui permettent au récit d'avancer plus rapidement, on comprend très bien tout ce qui se passe, avec la tension….

T.O : On comprend d’où il vient. Je fais ça aussi dans beaucoup d'histoires, on a toujours un retournement de situation et une fin étonnante. J'aime bien ces petits coups de théâtre.



Ça fonctionne vraiment bien, on s'immerge complètement…

T.O : Quand j'avais fini certaines "nouvelles" (je les écrivais comme des nouvelles, pas comme des séquenciels de travail, d'ailleurs), je les envoyais aux auteurs en leur montrant un peu vers ou ça allait, A la lecture de ces textes ça donnait le ton et l'esprit que je voulais donner à l'album et ça a convaincu certains auteurs.


T'est-il arrivé de revenir sur certains segments en fonction de l'auteur avec qui tu allais travailler, en te disant "tiens pour lui je pourrais peut-être revoir tel ou tel dialogue…" ?

T.O : Oui, il y a des choses que j'ai travaillé différemment ! L'histoire de l'ours par exemple, j'ai modifié des dialogues, des textes pour mieux coller au style de Boucq.


C'est à cette partie-là que je pensais plus précisément, en repensant aux dialogues du début qui font très… campagnards…

T.O : Je me suis régalé avec cette partie-là, je me demande même si François n'a pas changé une phrase ou deux pour que ça soit plus dans sa "façon de faire". Dans ces cas-là c'était le but, qu'il se fasse plaisir.


En tout cas, merci Tiburce pour ce très agréable échange et à très bientôt.

T.O : Merci à toi !

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants