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Mental Incal, une autre brique dans le mur de la saga

L’Incal respire encore ! Avec Mental Incal, Mark Russell et Yanick Paquette prennent place dans l’univers foisonnant créé par Jodorowsky et Moebius. Une belle réussite.

Quel plaisir de retrouver une nouvelle fois John Difool, Deepo, les Méta-Barons, Solune, Kill tête de chien ou les Berg. Avec Mental Incal, il est question d’un monde parallèle spirituel dirigé par l’ordre des Psycho-nonnes et d’un « kidnapping » de planète. Il est surtout question d’en apprendre un peu plus sur les héros d’une série mythique.

Comment s'inscrit Mental Incal dans l'univers tentaculaire de L'Incal

Mark Russel : Les événements de ce livre ont lieu juste avant ceux de L’Incal noir. Ils racontent comment un autre univers, que j’appelle le « Psychoverse », un royaume de pure pensée et d’esprit, a affecté l’histoire de l’Incal. Et, plus important encore, comment L’Incal a affecté les événements de cet univers.

Pourquoi ce titre ?

M.R. : Mental Incal (ou Incal : Psychoverse en anglais) est une référence à l’idée de Schopenhauer selon laquelle la réalité est divisée entre un univers physique et un univers spirituel et que la conscience a évolué pour fournir un pont entre les deux. L’un des grands thèmes de ce livre est la lutte entre les deux alors que nous essayons de vivre à la fois en tant qu’êtres spirituels et matériels.

Mental Incal

Mental Incal © Éditions Les Humanoïdes Associés, 2023

Avant l'écriture du scénario aviez-vous un cahier des charges précis ?

M.R. : Oui, et étant un grand fan de L’Incal, je voulais naturellement être respectueux de l’œuvre de Jodorowsky et Mœbius, et ne pas écrire un hommage de bon goût, mais fade. J’ai donc voulu raconter une histoire complètement différente, ma propre histoire, pour regarder John Difool, les Berg et le Méta-Baron sous des angles entièrement nouveaux, mais d’une manière qui reste reconnaissable pour les fans.

Comment vous est venue cette histoire de multivers et de «kidnapping » de planète ?

M.R. : Je voulais vraiment que ce soit, au fond, une méditation sur la valeur de la spiritualité et comment, à travers la douleur et la violence, elle se transforme insensiblement en fondamentalisme. Ce qui, malheureusement, me semble toujours être un sujet d’actualité. L’enlèvement d’une planète semble être une bonne parabole pour montrer comment s’engager dans une « guerre sainte ». Elle ne fait que vous piéger dans la boue violente du monde que vous essayez de transcender.

"Je ne voulais pas inventer des détails sur ce spersonnages à partir de rien."

On retrouve les personnages de L'Incal. J'imagine que c'était excitant de creuser un peu plus l'univers de la série en inventant une partie de leur passé ?  

M.R. : C’était une opportunité très excitante. Mais je ne voulais pas inventer des détails sur ces personnages à partir de rien. Je voulais développer des thèmes qui existaient déjà dans l’original : pour John Difool, son incompétence, et pour le Méta-Baron, son rôle de père. Je voulais me concentrer sur ces aspects de leurs personnages afin que les gens aient le cœur brisé en découvrant dans la série mère la vérité sur la paternité du Méta-Baron. Pour Difool, c’était un peu plus drôle de voir sa maladresse dans la vie, un côté bien connu de sa personnalité.

Mental Incal

Mental Incal © Éditions Les Humanoïdes Associés, 2023

Il y a le symbole de la cité-puits et de suicide allée, lieu emblématique de L'Incal Noir, qui apparaît beaucoup dans Mental Incal. Un passage obligé ? 

M.R. : Je n’ai absolument pas pu résister à l’idée d’inclure suicide allée dans mon histoire. L’Incal regorge d’endroits fantastiques, mais celui qui me semble le plus réel, qui ressemble le plus à la Terre de notre époque, c’est la cité-puits. Je ne sais pas ce que cela dit de nous, mais je suis sûr que ce n’est pas bon.

Yanick Paquette : Il doit bien y avoir une dizaine de versions de ce plongeon suicide dans le gouffre de la cité-puits. Lorsque, inévitablement, mon tour est venu de l’illustrer, j’ai choisi de tricher et de changer d’angle, question d’éviter les comparaisons directes. Je pense que les vrais fans de L’Incal vont tout de même reconnaître le clin d’œil.

Après les techno-pères bien connus des lecteurs de L'Incal, on trouve dans Mental Incal l'ordre des psycho-nonnes. C'est un geste féministe ? 

M.R. : Je voulais que les gens sympathisent avec les Psycho-nonnes alors même qu’elles commettent d’horribles actes de violence. Et je pense que la douleur qui les pousse à cette fin vient du fait qu’elles sont des femmes. Je pense que cela a été écrit, en partie, comme un défi pour nous qui vivons dans le « physiovers » (le monde matériel). Et particulièrement pour les hommes.

Mental Incal

Mental Incal © Éditions Les Humanoïdes Associés, 2023

Comment aborde-t-on le dessin avec l'ombre de Mœbius ? Est-ce qu'on veut s'en détacher à tout prix ou au contraire conserver un héritage ? 

Y. P. : Pour moi, c’était probablement la partie la plus angoissante du projet. Non seulement la comparaison est inévitable, mais le rythme de production de Mental Incal étant celui du comics, je devais finaliser 110 pages en une année seulement. L’influence de Mœbius est pratiquement irrésistible et le simple fait d’être exposé à la série mère pendant des semaines a forcément fait son chemin dans mon subconscient. Finalement, mon travail sur L’Incal est un peu un hybride entre mon style et un parfum de Jean Giraud.

Bon nombre de personnages sont déjà définis graphiquement. Est-ce que cette contrainte emprisonne ou au contraire pousse à être créatif ? 

Y. P. : Je travaille dans l’univers des comics où chaque artiste se doit de reforger les personnages à son style. J’ai donc l’habitude de faire à ma guise graphiquement. En plus, pris dans leur ensemble, avec le travail de Ladrönn, Janjetov et des autres, les volumes de L’Incal offrent pas mal de latitude. Moebius lui-même se donnait une grande liberté d’un album à l’autre et même d’une scène à l’autre.

Article publié dans le Mag ZOO N°92 Mai-Juin 2023

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