Ce matin, visite de l'envers du décor du festival avec les dessinateurs qui viennent d'arriver. A noter, l’étape au Village des bénévoles. Village n'est pas exagéré car il y a plus 2500 bénévoles (dont 45 dédiés au salon BD du Cabaret Vert) !
Pour la restauration, on ne trouve rien de surgelé, et surtout pas les frites, d’autant plus que nous sommes proches de la Belgique ! Tous les produits viennent de moins de 200 km. Les stands de restauration affichent leur bilan carbone. Les artistes invités, pas encore, même si Simon Boileau et Florent Pierre, les deux auteurs de La Ride, ont montré l’exemple en venant au festival à vélo, histoire de promouvoir leur titre. Pour se désaltérer après l’effort (à vélo ou à pied), on peut trouver 71 sortes de bière sur le festival. 150 000 litres de bière ont été commandés (à boire avec modération, cela va de soi).
Le festival est important pour la région. La programmation musicale internationale permet de situer Charleville-Mézières sur la carte. Korn fait un seul concert en France, et c’est au Cabaret Vert. Cela aide à faire connaître les Ardennes, au-delà d’Arthur Rimbaud, l’enfant du pays le plus célèbre.
Mais revenons à la BD. En 2005, année de la création du Cabaret Vert, il y avait 5 auteurs BD invités. Cette année, il y en a 70, dont Anlor, la talentueuse auteure de (entre autres) Ladies with Guns.
Anlor, vous avez travaillé dans l’animation pendant quelques années après vos études…
Anlor: Oui, j'avais fait les Arts Déco à Paris et il n’y a pas de section bande dessinée dans les apprentissages, mais de l’animation. C'est ce qui me semblait se rapprocher le plus de la BD puisque c'est aussi de la narration dessinée. Donc naturellement, après mes études, j'ai fait quelques années dans le dessin animé. Mais vers 30 ans je me suis dit : "Bon, c'est sympa, le dessin animé et l'animation, mais ma passion première reste toujours la BD !" C'est à ce moment-là que je me suis vraiment donné les moyens de démarrer en BD.
Sachant que les passerelles sont quand même simples. Elles sont assez évidentes entre les deux médias donc ce n'était pas bien compliqué. Quand j'ai fait du dessin animé, je me suis enrichie de ma culture BD. Et pareil en revenant ensuite vers la BD de façon professionnelle, j'ai récupéré les acquis de l'animation.
Quelles sont vos références en bande dessinée, les auteurs qui vous ont donné envie d’en faire ?
Anlor : Je lisais tellement de BD ! Je lisais, comme les gens de ma génération, tout ce qui me passait sous la main depuis l'enfance. J'ai adoré particulièrement Claire Wendling bien qu’elle n’ait pas fait tant de BD que ça ; mais ça a suffi pour me marquer ado. Mike Mignola fait aussi partie de mes références... J'ai beaucoup de mal, malheureusement, à citer spontanément d’autres noms d’auteurs de BD, mais il y en a plein !
Et vous regardiez les westerns de La Dernière Séance à la télé ?
Anlor : Ah, Eddy Mitchell ! J'ai regardé des westerns parce que ça passait beaucoup quand j'étais petite mais je ne me suis jamais sentie plus concernée que ça. Si : Plus tard, les westerns comme Mort ou vif avec Sharon Stone ou Danse avec les loups, qui avaient vraiment une fibre humaniste extrêmement prononcée : là, je me suis sentie plus concernée.
Votre première série BD Les Innocents coupables : comment arrivez-vous sur ce projet ?
Anlor : J’avais un projet BD sur lequel j'étais scénariste et dessinatrice et j'avais envoyé ça aux principaux éditeurs. Trois éditeurs étaient intéressés par le dessin et aucun par le scénario. J'en ai bien déduit que j'étais donc dessinatrice et pas scénariste ! Parmi les éditeurs, il y avait Bamboo et je leur ai dit : est-ce que vous auriez un scénario pour lequel il y n’a pas encore de dessinateur et sur lequel je pourrais faire un essai ? » Ils m'ont présenté le scénario des Innocents coupables de Laurent Galandon, sur lequel j'ai fait mes essais et on a enchaîné sur le projet. Ça c'est bien passé.
Première série avec Laurent Galandon : Les Innocents Coupables aux éditions Grand Angle
Vous avez fait ensuite entre autres deux diptyques se passant en Russie, Amère Russie puis Camp Poutine. Vous avez des origines russes ?
Anlor : Quand tout le monde m'a demandé ça, je me suis dit qu'il fallait que je change de scénariste ! Comme j'ai adoré travailler avec Aurélien Ducoudray, on a monté trois projets ensemble, trois petites séries de deux épisodes à chaque fois. Et souvent, qui bosse avec Aurélien inclut un petit peu de Russie !
Pour Ladies with guns, est-ce qu’avant de vous y mettre, vous avez été regarder ce qu'ont fait des Maîtres du genre : Giraud, Hermann, etc. ?
Anlor : Je ne l’ai pas citée au début mais je crois que la première BD que j'ai achetée c'était un Jeunesse de Blueberry donc le western était quand même assez présent ! J'ai adoré Durango, aussi, étant jeune. Mais dès que je me suis dit « Ok, on fait ce western », je me suis refusée à lire des westerns récents pour justement ne pas être influencée par d'autres visions contemporaines du western. Et je n'ai plus trop rouvert les classiques parce que je ne voulais pas être trop influencée ; et je suis déjà bien imprégnée des grands classiques francobelges du western ! J'ai plutôt coupé les vannes. C'était frustrant car je venais d'acheter Dernier souffle, la BD western de Thierry Martin qui est muette, dans une super belle édition en plus ! Et j’ai dû la garder dans ma bibliothèque pendant deux ans sans la lire, en me disant « Non, ce n'est pas le moment, tu la liras quand tu auras bien trouvé ta patte en western. ».
Ladies with Gun : le western déjanté au féminin
Ladies with guns, plus que jamais le mouvement ?
Anlor : Oui, c’est quand même un art du mouvement, la BD ! Notre leitmotiv, avec Olivier Bocquet, c'était que ce soit de la bonne « bédoche », quelque chose qui soit populaire et qui reprenne tous les codes de la BD qu'on aime, la BD qui bouge, etc., beaucoup d'onomatopées. En même temps, on voulait vraiment « dépoussiérer » le western. Je sais que ça semble un peu prétentieux de dire ça ! Mais ce qui le serait vraiment serait de dire qu'on a réussi à le dépoussiérer ! En tout cas, c'est ce qu'on voudrait faire. C'était notre but. L'idée était d'avoir une vraie approche moderne, très personnelle.
Parlons de votre encrage. Vous le travaillez particulièrement…
Anlor : J'ai un amour du noir et blanc et de l'encrage, donc j'essaie d'être dynamique dans ce qui est visuellement rendu. Mais je suis quand même sur un dessin relativement ciselé, donc j'essaie de ne pas lâcher tout ça. Avant, je faisais mes couleurs moi-même. Ladies with guns est la première BD pour laquelle j'ai confié la couleur à Elvire de Cock. Aussi, à mon « étape », j’ai besoin que l'encrage soit déjà un réel accomplissement en soi. Là où avant je me disais : « c'est bon, ça, je le finirai à la couleur », maintenant j'ai besoin d'être vraiment satisfaite sur la partie noir et blanc uniquement. Donc ça a sûrement fait bouger un petit peu le curseur.
À propos du travail sur la matière, la texture, est-ce que vous recherchez une certaine stylisation ?
Anlor : J’ai lu les westerns plus traditionnels avec beaucoup de hachures, je les revois notamment dans le sol boueux... C'est ce que je voulais ne pas faire pour garder ma propre vision, mon style. Je « m'interdis » l’intermédiaire entre le noir et blanc. Oui, les textures sont travaillées mais uniquement en valeur de noir et blanc, sans essayer d'avoir le pointillé de la hachure fine, etc. Donc ça peut donner un petit côté un peu « Xerox » !
Vous travaillez sur un nouveau cycle de Lady with guns à la demande de l'éditeur ou c'est vous qui avez proposé ?
Anlor : Quand on était dans le tome 2, on a bien réalisé avec Olivier qu'on ne pourrait pas mettre en trois tomes tout ce dont on avait envie sur les histoires de nos cinq personnages, qui s’étoffaient en permanence dans nos têtes. Donc on a dit à l'éditrice qu’on ne serait pas contre que ça se poursuive un petit peu après les trois tomes prévus. Elles ont pris leur temps de réflexion pour s'apercevoir que oui, elles étaient vraiment partantes. Aussi parce que c’est un bon petit succès. Quand j’ai vu les chiffres, j'étais contente parce que c'est ma meilleure vente.
En dessinant, écoutez-vous de la musique ?
Anlor : Quand je fais du storyboard, je suis incapable d’écouter de la musique parce que j'ai besoin d’être trop concentrée sur les rapports de champs à élaborer. Mais sur tout ce qui est étape d'encrage, oui, je fais défiler mes playlists : beaucoup de musiques électroniques qui n'ont aucun rapport avec l'univers western a priori, mais c’est une histoire d'ambiance. La musique traverse les âges sans problème ! De la musique électronique, du jazz contemporain…
Et pour finir sur la musique actuelle, quels concerts allez-vous voir au Cabaret Vert ?
Anlor : Il faut que j'aille voir Ninho, du rap qui est fantastique, parait-il. Sinon j'avoue que je pensais être très éclectique en écoute musicale mais je connais assez peu la programmation, donc je vais me laisser porter au gré des programmes : Justice, ça me dit quelque chose aussi…
CabaretVert24
Votre Avis