Installé dans son propre salon-atelier depuis sept ans, Jeff Pourquié dessine, écrit et gère la revue Rita. À la frontière floue entre vie professionnelle et personnelle, il compose avec les cartons, les guitares et l’énergie collective. Entre souvenirs d’ateliers partagés et envies de peinture, il revient sur sa manière d’habiter, physiquement et mentalement, l’espace de création.
Comment vous organisez-vous dans cet espace ?
Jeff Pourquié : En fait, mon atelier c'est chez moi, j'ai déménagé ici il y a sept ans. Avant, j'avais un atelier pas très loin, mais qui était surtout un lieu de stockage pour la revue Rita, qui prend pas mal de place. Vous voyez, il y a des cartons partout ! Mais je me suis un peu embrouillé avec ce lieu. C'est dommage parce que c'était un endroit où il y avait aussi une partie commune où on pouvait faire des sortes de représentations, des soirées un peu expérimentales, qui étaient très sympas.

L’atelier de Jeff Pourquié, entre cartons de la revue Rita et instruments de musique, comme sa batterie © Christophe Vilain
C'était un atelier collectif ?
J.P : Oui, exactement. Il n'y avait pas beaucoup de plasticiens, c'était plutôt théâtre, couture… Mais la direction était un peu pénible alors je suis revenu chez moi, ce que j'ai souvent fait dans ma vie. J'ai eu quelques périodes d'atelier comme ça, mais ça ne me dérange pas d'être ici. Il y a des inconvénients, parce que ça empiète complètement sur la vie de tous les jours. Il y a à la fois la cuisine, l'open-space… mais en même temps, ça permet de travailler le soir, de s’adapter. C'est bien en fait.
Est-ce que vous avez une journée type ?
J.P : Sur le travail de bande dessinée, je me lève assez tôt le matin, je dessine. Je suis assez efficace en dessin le matin. L'après-midi, c'est plutôt sur l’encrage. Ça, ce sont les journées un peu type ... que j'applique relativement peu au final... ça change tout le temps, mais c'est un peu l'intérêt aussi.
Vous vous imposez un rythme de travail avec des horaires précis ?
J.P : Je n'y arrive pas vraiment. Enfin si, en période de bourre, j'y arrive très bien. Je me lève très tôt, je dors peu, je travaille tout le temps. Donc là, dans une certaine mesure, c'est organisé. Sur le long terme, ça change, ça varie, ça me convient assez bien.
Vous arrive-t-il de vous faire des pauses ? Je vois qu’il y a des guitares. Vous jouez un peu de guitare entre des sessions de travail ?
J.P : Quand j'ai le temps, oui. Soit je fais un peu de vaisselle, ou un peu de guitare, ou un peu de batterie, effectivement. Mais quand je suis concentré sur un boulot de dessin, souvent je ne vois pas passer la journée.
Je m'aperçois aussi que globalement, le temps passé à dessiner n'est pas si important que ça. Évidemment ça dépend des périodes, mais souvent, je me dis que j'ai travaillé une heure ou deux dans la journée, à vraiment dessiner. Coté revue, il a plein d'aspects administratifs différents, la communication… Mais même sur les projets BD plus longs, j'ai finalement beaucoup de travail de secrétariat, comme par exemple faire une journée mail. Je sais qu'il y a des gens qui coupent le téléphone, ce n'est pas mon cas.

Jeff Pourquié dessine dans son salon-atelier, entouré de ses guitares et de son univers créatif. © Christophe Vilain
Travaillez-vous en musique, en silence, en podcast ?
J.P : C'est une bonne question… souvent, je me dis "tiens, je vais mettre de la musique", puis j'oublie ! Donc non au final. J'écoute parfois des podcasts, mais comme je me concentre sur le dessin, je zappe un peu des bouts. J'ai du mal à suivre, mais ça donne une sorte d'ambiance. Après, le silence ne me dérange pas.
Qu'est-ce que ça vous apporte de travailler de chez vous ?
J.P : Pas mal de souplesse. Par exemple, le fait de pouvoir travailler tard le soir ou très tôt le matin. Ça, je trouve que c'est un avantage par rapport au fait d'aller à l'atelier. Cet espace-là, le salon, c'est à la fois la cuisine, le salon, la salle de réunion de Rita, le bureau... En fait, j'ai installé ça comme ça au moment où je recevais mes premières stagiaires. C'était plus pratique pour la stagiaire de s'installer sur la table à manger. Et moi, j'étais à côté. Et puis je suis resté comme ça, parce que ça convient bien à Rita même s’il y a un côté un peu bordélique.
Quels sont les avantages et les inconvénients d'être seul ?
J.P : Ce n’est pas évident. Quand j'étais en atelier collectif dans ma dernière expérience, il n'y avait pas beaucoup d'interactions parce que c'était surtout un lieu de stockage et j'étais seul dans cet atelier. En revanche, il y a plus longtemps, j'ai travaillé dans un atelier où il y avait davantage d'auteurs de BD. Là, oui, c'était vraiment très chouette. Il y avait une espèce de cohésion de groupe, et beaucoup de bienveillance et de solidarité. Je n’ai pas été si longtemps que ça dans cet atelier, un ou deux ans, mais ça a quand même créé des liens assez forts alors que ça fait pas loin de 20 ans. Donc ça, c'était plutôt chouette.
C'est quelque chose qui pourrait me manquer. Après, avec la revue Rita, il y a quand même souvent des réunions. je vois souvent des gens. Finalement, je ne suis pas si seul que ça.
Pour dessiner, vous dessinez avec la lumière du jour ou avec une lumière artificielle ?
J.P : Peu importe. Évidemment, je préfère la lumière du jour mais aujourd'hui, de toute façon, j'ai toujours un retravail sur l'ordinateur. Ce n'est donc pas d'une importance capitale.
Comment organisez-vous votre espace de travail ? Vous vous mettez sur la table du salon ?
J.P : Effectivement quand j'ai besoin de dessiner, je travaille ici, mais pour être honnête, je fais beaucoup de choses sur l'ordinateur. Finalement, c'est assez rare que je dessine à la main. Enfin, ça dépend. Pour mon dernier album je dessinais quand même pas mal à la main. Donc oui, je me mets une planche à dessin. C'est un peu contraignant, mais je n’ai plus assez de place avec tous les stocks de Rita !
En réalité, j'ai des projets d'aménagement pour agrandir l'espace et avoir une zone où je peux vraiment dessiner. En ce moment, je suis dans une phase de questionnement par rapport à la suite des événements. Continuer la BD ou pas, et comment ? Donc le choix de l'espace va aussi être influencé par le choix des activités.

Jeff Pourquié à l'oeuvre avec sa boîte d'aquarelle pour des couleurs tout en nuance © Christophe Vilain
Avez-vous des objets importants ou fétiches dans votre atelier ?
J.P : Oui, j'ai une petite poupée qui s'appelle Mouneka Kontrapenas. C'est une poupée qui enlève les soucis, on la met sous l'oreiller et les soucis s’envolent. Je l'ai à côté de moi, c'est un personnage secondaire de Rita que j'aime bien. Le fait d'avoir les guitares derrière aussi, c'est quelque chose qui est là, que j'ai dans un coin de ma tête. En fait, j'aime bien les petits personnages. Derrière moi, on voit l'autel. C’est un truc un peu évolutif, j'aime bien faire des petites installations qui bougent dans la maison.
Quelle est l'essence de ce petit autel ?
J.P : Justement, ça part un peu dans tous les sens, comme moi !

L’autel personnel de Jeff Pourquié, au cœur de son espace de création intime. © Christophe Vilain
Il vous faut un état de bien-être particulier pour vous mettre au dessin ?
J.P : Je ne sais pas. Alors, ce n’est pas l'usine, on est d'accord, mais des fois, il y a un caractère un peu obligatoire, notamment quand il y a des échéances. Donc là, il n'y a plus forcément besoin de bien-être. Évidemment, c'est plus agréable si je suis dans un état cool, mais souvent, c'est quand même le dessin que je fais un peu dans la souffrance. C'est un peu bête à dire, mais aujourd'hui, je n'ai pas tellement de plaisir à dessiner. En tout cas, plus sur des travaux un peu reliés à la BD.
Je dessine pour le plaisir quand on fait un atelier de modèles vivants les mardis. Ça, c'est cool parce qu'il n'y a pas d'enjeux. C'est justement pour ça que je me dis qu'il faut que je change un peu d'angle ou de pratique. Retrouver un peu le plaisir, quoi.
Ça fait 7 ans que vous êtes ici. Envisagez-vous de changer ?
J.P : Selon ce que je vais faire après, je prendrai peut-être un espace. Je pense, par exemple, à faire de la peinture, et là, ce n’est pas très pratique de tout devoir plier. Quand il s'agit juste de dessiner à la plume, ça va, mais ça t'oblige quand même à une certaine organisation quand tu veux te mettre à peindre, et tu ne peux pas laisser tout en bazar.
Donc c'est vrai que d'avoir un lieu, ça pourrait être pas mal. Soit ici, mais un lieu qui serait davantage dédié, soit ailleurs. Si j'ai les moyens, en fait, c'est une question de moyens.

Le matériel de travail de Jeff Pourquié, entre BD, revue Rita et projets en mutation. © Christophe Vilain
Quand vous sortez à l'extérieur, vous faites des croquis ?
J.P : Je ne suis pas un dessinateur compulsif, mais par moment un peu quand même. Effectivement, j'ai toujours un carnet avec moi mais pour être honnête j'ai des fois un peu la flemme. Cela m'arrive de dessiner sur le vif, c'est plutôt sympa mais comme je l'ai beaucoup fait, ce n'est plus un besoin impérieux.
Et puis, je trouve que c'est peut-être plus difficile aujourd'hui. Par exemple, à une période, j'ai beaucoup dessiné dans le métro et aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il y a plus de parano. Alors, c'est peut-être moi. C'est un ressenti.
Parlons de cette fresque derrière vous. C'est un travail collectif ?
J.P : C'était pour l'anniversaire de Léonie il y a 15 jours. C'était une surprise. Ce mur-là, j’étais censé l'abattre parce que je voulais agrandir. Mais bon, maintenant j'hésite. La surprise, c'était que tous les gens autour de Rita sont venus et on a dessiné tout l'après-midi pour son anniversaire surprise. En même temps, les fresques ont toujours un côté éphémère.

Fresque participative dans l’atelier de Jeff Pourquié, créée à l’occasion de l'anniversaire surprise de Léonie Lob, fille du scénariste Jacques Lob. © Christophe Vilain
Quand vous faites des fresques, avez-vous déjà une idée de ce que vous voulez faire ?
J.P : Non, je le fais direct. Là, j'avais quand même l'idée que Léonie soit au centre et de pouvoir marquer « joyeux anniversaire ». Mais sinon, non. Après, les gens improvisaient. C'est un peu l'intérêt aussi. Mais en général, c'est vrai qu'il y a un peu des stratégies. C'est-à-dire qu'ils posent assez rapidement des personnages, des grandes bases. Et puis, petit à petit, ils remplissent. Et du coup, ça permet aussi d'équilibrer.
Nous, avec Rita, on le fait souvent dans une version participative, avec du public. Et c'est vrai que c'est sympa. En fait, c'est le plaisir de dessiner aussi. En toute liberté.
Quel distinguo faites-vous entre la peinture et la bande dessinée ?
J.P : Ce n'est pas le même langage. Cela m'est arrivé de mélanger techniquement les deux, d'utiliser de la peinture et d'avoir une approche un peu picturale dans la bande dessinée. Après, quand je fais de la peinture, ça se rattache davantage au monde de l'art contemporain. Conceptuellement, pour moi, c'est un peu différent. Dans la BD, il y a le côté séquentiel et narratif, qui peut aussi exister aussi en peinture pourquoi pas, mais il y a une sorte de distance qui est posée, qui est plus conceptuelle. Tu fais un truc, tu es dans l'action et puis tu regardes. C'est un temps différent.
Pour la BD au début, quand j'avais le temps, je faisais des planches à l'acrylique, c'était très long. Il y avait peut-être ce rapport un peu de lenteur. Mais aujourd'hui, ce n'est plus tellement le cas. Il faut être efficace. C'est ce que j'ai appris aussi. Il y a ça, puis c'est aussi le mode de pensée. Je parlais de concept, mais ce n'est pas seulement ça. C'est aussi le côté un peu abstrait. Je pense plus couleur ou matière. En tout cas, pour moi, c'est moins relié à quelque chose de figuratif. Après, j'en ai fait il y a vraiment longtemps, je ne sais pas ce que ça donnerait aujourd'hui. Peut-être que je vais rester sur des acquis d'il y a 25-30 ans. Je ne sais pas. En tout cas, c'est vrai que ça me titille un peu. Soit ça, soit effectivement me faire un mix dessin-peinture. Mais pour le coup, ça reste plutôt narratif. Par exemple, il y a une technique qui m'avait bien plu. Je ne sais pas si vous l'aviez vu, c’était un concert dessiné qui s'appelait « Jazz ». C'est un travail de rhodoïd avec de l'encre de gravure donc une matière qui ne sèche pas beaucoup, presque comme de l'huile. Et ça, ce sont des techniques assez sympas. Je pense qu'elles se rapprochent un peu de la gravure, du monotype. J'aimerais bien faire des trucs comme ça. Des procédés plus proches de la peinture mais avec le côté expérimental.
Pour conclure, qu'aimeriez-vous ajouter sur cette notion d'atelier ?
J.P : Idéalement, j'aimerais bien avoir un bel atelier. Mais j'aime bien aussi ce côté un peu nomade. L'été, par exemple, comme souvent je pars les deux mois, je travaille dans des lieux assez variés, un peu inattendus et j'aime bien. J'ai le souvenir d'avoir travaillé sur la plage, c'était marrant.
J'aimerais bien qu'on organise des résidences. En Sicile, ça serait pas mal. Je l’ai déjà fait mais c'était pour un travail d'observation, de croquis pendant une semaine. Mais c'est vrai que c'était génial.
Après, j'aime bien le principe d'atelier. Je trouve ça super si on arrive à créer des raisons. L’atelier, maintenant, pour moi, ça serait un peu Rita. Il y a des connexions. On réfléchit ensemble. On est toujours un peu en contact. C'est dynamisant, entre guillemets, quand on est à plusieurs. C'est un peu cette fonction d'atelier que j'évoquais avec l'atelier que j'ai eu il y a 20 ans. Il s'appelait « Les Dents de la Poule » et il y avait un autre atelier à côté qui s'appelait « L'atelier du coin » avec Gwen de Bonneval et tout ça. C'est vrai que ça créait des liens. On faisait des fêtes, mais en même temps, ça bossait. Il y avait un mélange vraiment chouette. Mais la formule actuelle me va aussi.
ZOOSWEETHOME
Ateliers
BD



Haut de page
Votre Avis