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"Le Vivant à vif" : la recette de Simon Hureau pour rendre attractif en BD un essai austère

A l’aube de la 6e extinction est un essai de Bruno David qui a beaucoup fait parler de lui. Mais qui l’a vraiment lu jusqu’au bout ? Car le propos, s’il est important, est tenu sous une forme qui peut paraître austère. Simon Hureau a relevé le pari d’en faire une bande dessinée drainant un plus large public, baptisée Le vivant à vif. Album sélectionné pour le Prix de la Connaissance du Cabaret Vert 2025.

Simon, vous qui êtes souvent votre propre scénariste, comment avez-vous travaillé pour que la lecture de Le vivant à vif soit attractive ?

Simon Hureau : Oui, c’était un défi. Je n'ai pas travaillé avec un scénariste sur Le vivant à-vif : c'est l'adaptation d'un essai de Bruno David, l'ex-directeur du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, mais j'étais tout seul à la mise en scène. Je partais d'un essai et il fallait composer un album de bande dessinée, donc un récit avec des personnages et une histoire. Ça, c'est de mon invention, j'ai travaillé tout seul là-dessus.

Il y avait la possibilité de rester très illustratif et de reprendre en gros le découpage de l'essai, ses textes, et de les illustrer. Mais pour moi, ça ne faisait pas bande dessinée et ça n'emmenait pas le lecteur. Je ressentais tout bêtement le besoin que le livre ne tombe pas des mains du lecteur et que ce dernier rentre quelque part. La seule solution, c'est une histoire, des personnages, des situations, des dialogues, une mise en scène. J'ai dû créer tout ça pour Le vivant à vif.

Dans L'Oasis, ça avait beau être raconté à la première personne, il y avait un récit, des personnages et des situations. Mais là, il fallait tout créer de toutes pièces. C'était un sacré défi parce que c'est un peu comme si je partais de zéro… sauf que je partais d'un livre déjà existant, mais qu’il fallait que je le réinvente intégralement. Tout en étant extrêmement fidèle, au mot près, parfois. La condition de Bruno David pour que j'adapte son livre était qu'il ait le dernier mot, la dernière relecture, parce qu’il est un scientifique : je ne pouvais pas travestir ou trahir sa parole. Donc, il m'a corrigé tout le storyboard avec un stylo rouge ! Et c'était évident que cette condition était nécessaire et parfaitement acceptable.

Extrait de la BD

Extrait de la BD " Le Vivant à vif " de Simon Hureau et Bruno David (Rue de Sèvres, 2024), adaptation en bande dessinée de l’essai À l’aube de la 6e extinction sur la biodiversité et l’écologie. © Rue de Sèvres - Simon Hureau et Bruno David

Vous avez ajouté au récit des enfants qui, par leurs remarques, parfois naïves, parfois amusantes, permettent d'apporter des respirations. Est-ce aussi parce que vous vouliez vous adresser avant tout aux jeunes ?

Simon Hureau : Un autre défi que je m'étais fixé, c'était de rendre le livre d'origine potentiellement plus accessible à un plus jeune public. A priori, je n'imaginais pas du tout voir A l'aube de la 6e extinction dans les mains d'un adolescent, car c’est un livre austère, aride, un peu technique. Là, déjà, c’était une bande dessinée. A fortiori, le fait que ce soit Rue de Sèvres qui m'ait proposé d'adapter ce livre, je me suis dit « Tiens, Rue de Sèvres, c'est un éditeur qui publie essentiellement des livres pour la jeunesse, dans une tranche d'âge qui n'est pas la petite enfance et qui n'est pas le lectorat purement adulte (même s'ils font aussi des livres adultes, j'ai l'impression qu’ils se sont un peu spécialisés dans la tranche collège-lycée). »

Donc je me suis dit : « L'écologie et la conscience des problématiques que vit la biodiversité en ce moment, il n'y a aucune raison que ça n'intéresse que les adultes. Autant toucher les futurs adultes le plus tôt possible. Au moins pour avertir, pour faire prendre conscience. »
Et le dernier défi du livre, c'était de faire quelque chose de pas trop désespérant, qu'on ait envie de lire du début jusqu'à la fin, et qu'on en ressorte, non pas avec l'envie de se suicider, mais l'envie de se bouger, de se dire : bon maintenant je sais ; je ne peux plus faire comme si je ne savais pas et rester les bras ballants en attendant que ça se passe !

Quand on regarde vos dessins, il y a une importance des décors, dans le choix des couleurs. Votre album magnifie la terre, la nature, les arbres, les fonds marins, le désert... Est-ce pour nous dire : Regardez comme la terre est belle, ne gâchez pas tout ?

Simon Hureau : Oui, totalement. Il fallait que le dessin soit généreux. On parlait de choses difficiles. Si on parle du vivant, autant le montrer sous son plus bel angle. Il était important que le lecteur soit embarqué, qu’il plonge dans les décors. Il ne fallait pas que ce soit rebutant. Cela ne pouvait pas être un livre en noir et blanc, non plus. Il fallait de la couleur. On parle du vivant ! C'est plus qu’essentiel, on ne peut pas vivre sans, on ne peut pas vivre à côté.

Quand on a un jardin, on ne peut plus s'en passer. Quand on commence à observer les oiseaux ou les insectes, c'est un puits sans fond. On ne peut pas ne pas être admiratif de toute cette beauté. C’était aussi une ode à la curiosité, à l’émerveillement. On ne peut pas être conscient des problématiques du vivant si, à un moment donné, on n'est pas un peu tombé dans l'émerveillement. C'est une démarche qui paraît nécessaire. Sinon, on restera toujours en dehors. On pourra être quelqu'un d'urbain, qui ne fréquente même pas les parcs publics ; et le vivant restera quelque chose de lointain, vaguement associé à l'agriculture ou aux loisirs, aux vacances, aux paysages instagrammables.

Et là, on n'est pas du tout là-dedans ! Là, il y a une espèce de prise de conscience et elle ne peut venir que par le fait de s'arrêter, d'observer et d'admirer, de s’émerveiller ! L'Oasis était déjà un peu dans cette démarche-là. Quel que soit le jardin, aussi petit soit-il, on peut faire des choses de sorte que l'émerveillement aille croissant au fur et à mesure du temps et de tout ce qui s'y passe, de tout ce qui y vient et de tout ce qui y vit.

Extrait de la BD

Extrait de la BD " Le Vivant à vif " (Rue de Sèvres, 2024), par Simon Hureau et Bruno David, un récit graphique engagé pour comprendre les enjeux environnementaux. © Rue de Sèvres - Simon Hureau et Bruno David

Le vivant à vif a été sélectionné pour le prix de la connaissance du Cabaret Vert…

Simon Hureau : C’est une belle fierté que le Cabaret Vert ait remarqué cet album. Au Cabaret Vert, il y a une belle ligne éditoriale, une belle thématique, portée déjà dans le nom du festival. Et c'est vrai que je suis flatté que le livre s'inscrive dans les codes du Cabaret Vert. Finalement, qu'il ait le prix ou pas...

La BD « verte », une tendance qui se développe ?

Simon Hureau : Le côté vert dans la bande dessinée est présent tous les ans avec un certain nombre d'albums et des auteurs engagés, c'est certain, je pense à Laetitia Rouxel, par exemple. En même temps que Le vivant à vif est sorti l'album sur le GIEC, aussi en compétition pour le prix. Donc, oui, la thématique existe dans la bande dessinée. Après elle reste relativement discrète et il faut aller la chercher. Il reste à mon avis beaucoup de choses à faire de ce point de vue-là, dans tous les genres artistiques, y compris la bande dessinée.

Il y a encore du pain sur la planche si on veut continuer d’avertir et de faire un travail de pédagogie… ou de divertissement : Car si on prend l’exemple de l’album Verts, sélectionné pour le prix Cabaret Vert du Public, c’est purement de la fiction, voire de la science-fiction. Il n’y a pas de genre interdit pour parler de cette thématique.

Extrait de la BD

Extrait de l'album " Le Vivant à vif " (Simon Hureau, Rue de Sèvres, 2024), une BD pédagogique et écologique invitant à protéger le vivant. © Rue de Sèvres - Simon Hureau et Bruno David

Le vivant à vif a été sélectionné pour le prix de la Connaissance du Cabaret Vert, et vous allez aussi participer au festival, cet été…

Simon Hureau : J'y suis déjà allé deux fois et j'aime beaucoup ce festival, c'est vrai qu'il a une personnalité complètement à part : on ne peut pas le comparer à un autre festival de bande dessinée, parce que cette dernière est ici noyée dans quelque chose d'infiniment plus grand. Et c'est génial d'être juste une partie d'un grand tout, un tout festif, musical, « bandedessinesque », mais autre chose aussi. Les gens sont là pour passer un très bon moment, et ça c'est formidable ! J'aime bien l'idée que les gens ne viennent pas que pour la bande dessinée, qu’ils soient là le jour pour la bande dessinée et le soir pour les concerts.

Juste un moment comme ça où plein de gens puissent se retrouver dans l’été pour passer un très bon moment et en repartir avec des livres sous le bras et de la musique dans les oreilles. C'est festif avant tout, ce n'est pas qu'une histoire de vente de livres ! Il y a vraiment quelque chose de différent.

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