ZOO

21 ans de BD engagée avec Des Ronds dans l’O, échange avec l’éditrice Marie Moinard

Éditrice, autrice et critique, Marie Moinard dirige depuis vingt-et-un ans Des Ronds dans l’O, une maison d’édition indépendante à la ligne éditoriale engagée. Son catalogue met en avant des récits centrés sur l’humain, le devoir de mémoire et les voix peu entendues.

Comment est né le nom de votre maison, Des ronds dans l’O ?

Marie Moinard : C’est un clin d’œil aux ricochets sur l’eau. C’est une image poétique que j’adore et qui me relie à mon père. Mais j’avoue que c’était une mauvaise idée d’un point de vue pratique : 80 % des gens l’écrivent e-a-u, ce qui complique les recherches. Mais malgré ça, ce nom me ressemble : il évoque la douceur, l’humain, la poésie… comme ce que j’essaie de transmettre dans mes livres.

Couverture

Couverture de la BD Virginia Woolf de Liuba Gabriele, publiée par la maison d’édition engagée Des Ronds dans l’O en 2022

Justement, en quoi ce nom reflète-t-il votre ligne éditoriale ?

M.M : Il y a un lien très fort. Les maisons d’édition indépendantes portent souvent le caractère de leurs fondateurs. Chez Des ronds dans l’O, on se concentre sur l’humain, sur ceux qui n’ont pas ou peu de porte-voix. On parle de mémoire, de liberté, de violences faites aux femmes, de migrations. C’est notre fil rouge.

Par exemple, En chemin elle rencontre est une trilogie de BD basée sur des témoignages réels de violences faites aux femmes. On y a travaillé avec des associations, des victimes, des chiffres concrets. C’était audacieux, mais essentiel, avec une grande diversité d’auteurices, et une vraie parité hommes-femmes pour montrer que les violences faites aux femmes sont l’affaire de tous. En 2009, on était alors un peu précurseurs sur ce terrain.

Couverture

Couverture de l'album En chemin elle rencontre, tryptique engagée sur les violences faites aux femmes, publiée par Des Ronds dans l’O en 2009.

Est-ce que votre parcours de journaliste vous aide dans votre travail d’éditrice ?

M.M : Pas nécessairement. J’ai toujours été sensible à ces sujets, depuis l’enfance. Adolescente, j’étais révoltée, aujourd’hui je suis dans la transmission. L’édition, c’est ça : transmettre sans injonction. On raconte des faits. Chacun est libre de ressentir ou non de l’indignation. Mais on sème des graines.

Des jeunes lecteurs de Si je reviens un jour ont été bouleversés. Certains, à 10 ans, nous ont dit qu’ils ne laisseraient jamais passer de propos antisémites. Ça, c’est puissant.

Couverture de

Couverture de la BD Si je reviens un jour de Trouillard et Lambert, récit mémoire publié par Des Ronds dans l’O en 2020.

Vous travaillez aussi beaucoup avec des écoles et des structures éducatives ?

M.M : Oui, quand on le peut. On a développé des fiches pédagogiques, des expositions, surtout autour des BD liées à l’histoire ou aux violences faites aux femmes. Nos auteurrices interviennent en classe, animent des ateliers. Ce sont des moments très forts. Parfois, on reçoit des confidences bouleversantes d’élèves, des révélations. On comprend alors l’impact concret que peut avoir une BD.

Comment choisissez-vous les projets que vous publiez ?

M.M : C’est souvent un coup de cœur. Le sujet doit nous parler. Et même si le dessin ne nous plaît pas toujours au premier abord, si le fond est fort, on prend le temps. Mais c’est vrai que l’image compte : les lecteurs en librairie sont attirés par une couverture, un style. Alors on y est attentifs. Avec les auteurices, c’est très variable. Certains sont très autonomes, d’autres ont besoin d’accompagnement, surtout sur un premier album. C’est un travail main dans la main.

Quels sont les prochains titres à paraître chez vous ?

M.M : On prépare Périmée, l’histoire de Céline Gandner, qui raconte son parcours de PMA . C’est dessiné par Joël Alessandra, en aquarelles. Un très beau livre plein d’espoir. On sort aussi La rentrée de mémé, un album jeunesse sur l’illettrisme, très émouvant. Et Le Joint français, sur une usine bretonne en grève dans les années 70. Un sujet social fort. Il y aura aussi une BD sur Jim Morrison, très colorée, et La Vape, un album sur les dangers des vapoteuses chez les jeunes, signé par un journaliste de Cash Investigation.

Couverture de

Couverture de la bande dessinée Périmée, histoire autobiographique de Céline Gandner illustrée par Joël Alessandra, publiée par Des Ronds dans l’O en 2025.

Notamment, cette année vous avez lancé votre première campagne de crowdfunding pour " Ça arrive à tout le monde ". Pouvez-vous nous en dire plus ?

M.M : C’est une BD sur l’arrêt naturel de grossesse, signée Guillaume Boutanox et Veronica Tchi. Ils racontent leur propre histoire, leur douleur, leur isolement, l’indifférence du corps médical. Ce projet était essentiel. On a lancé un crowdfunding, car on voulait absolument qu’il existe malgré nos difficultés financières. Et on a eu de beaux retours, notamment dans le 20e arrondissement où ils habitent.

Extrait de

Ça arrive à tout le monde de Veronica Tchi et Guillaume Boutanox, bande dessinée témoignage sur l’arrêt naturel de grossesse, publié chez Des Ronds dans l’O en 2025.

Quelles sont ces difficultés que vous évoquez, sur le plan économique ?

M.M : Depuis quelques mois, plus particulièrement depuis fin 2024, on subit de grosses baisses dans les placements et une forte augmentation des retours. Malheureusement, ça influe très lourdement sur notre CA et nous n'avons plus de trésorerie (merci à notre imprimeur qui nous soutient avec patience). Nous avions espéré que le marché reprenne mais ça ne semble pas être le cas et c'est évidemment très difficile à gérer. Nos recherches de soutien se multiplient. Nous avons obtenu un prêt économique par le CNL ( pas encore touché à ce jour) mais nous n'obtenons pour ainsi dire aucune des subventions demandées quant à l'aide pour la publication des albums ou pour la promotion des auteurices. On tente de multiplier les salons où le public nous réserve souvent un bel accueil, ce qui nous redonne le sourire, on travaille sur la réduction des coûts logistiques pourtant déjà très maîtrisés, tout compte !

Le 5 août dernier, nous fêtions notre 21ème anniversaire et j'ai la triste sensation que l'édition indépendante et la diversité qui va avec disparaissent petit à petit. Je reste tournée vers l'avenir mais sans le soutien du public et des libraires, nous ne tiendrons pas… Si un mécène nous lit...

Quel regard portez-vous finalement sur ces vingt années ?

M.M : Petite, je pouvais passer des journées entières dans une pièce remplie de livres chez ma grand-tante. Aujourd’hui, je les fabrique. Et chaque fois que je récupère un nouveau titre chez l’imprimeur, je suis émue. Je suis fière de En chemin elle rencontre, de la trilogie, de notre travail sur la mémoire avec Robin Walter, de livres de poésie comme ceux de Laurent Bonneau… et du chemin qu’on a parcouru avec des dizaines d’auteurices. J’ai du mal à choisir un seul projet. Mais c’est une grande fierté. Être éditrice, c’est exigeant, parfois épuisant. Mais c’est aussi une immense joie. J’ai souvent les larmes aux yeux en découvrant un nouveau livre, et j’aime cette émotion-là.

Interview

Rencontres

Editeur

EditeurEté2025

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants