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Serge Ewenczyk : 20 ans des éditions Ça et Là, et toujours debout

Depuis vingt ans, Serge Ewenczyk défend une idée simple mais ambitieuse : faire découvrir au public français la bande dessinée venue du monde entier. Avec Ça et Là, il a bâti un catalogue unique, entre documentaires, autobiographies et fictions ancrées dans le réel. Aujourd’hui, il revient sur cette aventure… et les défis qui l’accompagnent.

Depuis 2025, les éditions Ça et Là sont devenus une SCOP (Société coopérative de production) © Ça et Là

Equipe des éditions Ça et Là en 2025 : Marie Hornain, Louise Fourreau, Serge Ewenczyk et Hélène Duhamel, réunis dans leur nouvelle SCOP. (Société coopérative de production) © Ça et Là

Pouvez-vous vous présenter ?


Serge Ewenczyk : : Moi ou la maison d’édition ? (rires) Alors, je m’appelle Serge Ewenczyk, j’ai 56 ans. J’ai créé la maison d’édition Ça et Là il y a vingt ans. Avant cela, j’ai travaillé dans le dessin animé pour la télévision, une première carrière dans l’audiovisuel, donc.

En 2005, je me suis lancé dans l’édition avec une spécificité : publier exclusivement de la bande dessinée d’auteur et d’autrice venant de pays étrangers. C’était un créneau que je connaissais bien, notamment pour la BD américaine, et je voyais beaucoup d’ouvrages passionnants qui restaient inédits en français. C’est cette envie de les faire découvrir qui a déterminé la ligne éditoriale de départ.

Pourquoi avoir quitté le dessin animé pour la bande dessinée ?


S.E : J’avais envie de plus d’indépendance et de légèreté. Le dessin animé, ce sont de très grosses productions : des centaines de personnes, des budgets de plusieurs millions, des délais très longs et beaucoup de compromis artistiques.

J’hésitais entre lancer un label de DVD car je suis passionné de cinéma, notamment de séries B et Z ou créer une maison d’édition de bande dessinée. Grand lecteur de BD, surtout étrangère et anglo-saxonne, j’avais suivi de près l’émergence de la BD indépendante américaine. Finalement, j’ai choisi l’édition. Avec le recul, j’ai eu de la chance : le marché du DVD a quasiment disparu.

Serge Ewencyzk : Serge Ewenczyk : 20 ans des éditions Ça et Là, et toujours debout

Couverture de la BD Come Over, Come Over de Lynda Barry, publiée par Ça et Là et récompensée au Festival d’Angoulême 2025 par le Fauve du patrimoine.

Comment s’est construite la ligne éditoriale de Ça et Là ?


S.E : Au début, nous avons surtout publié des auteurs et autrices anglo-saxons, repérés sur des salons aux États-Unis ou via le marché des droits du Festival d’Angoulême. Mais je ne voulais pas me limiter à ce seul espace linguistique.

Aujourd’hui, notre catalogue compte 215 titres, avec des auteurs et autrices venus de 33 pays. La part des anglophones est devenue minoritaire (10 à 15 % des publications annuelles). Nous faisons beaucoup de bande dessinée documentaire, autobiographique et de fiction ancrée dans la réalité. Parfois, je m’autorise des coups de cœur hors de ce registre.

Comment choisissez-vous les ouvrages que vous publiez ?


S.E : Au départ, je devais aller chercher les titres. Je fréquentais des salons comme le MoCCA à New York, ou les premières Comic-Con, même si ces dernières sont trop orientées grand public pour notre ligne éditoriale.

Désormais, Ça et Là est mieux connue à l’étranger : nous recevons deux à trois propositions par jour, que ce soit de la part d’auteurs, d’agents ou d’éditeurs. Nous publions 11 titres par an, pas plus, pour rester dans une approche artisanale et bien défendre chaque livre. Une partie importante de notre programme est occupée par des auteurs que nous suivons depuis longtemps, comme Derf Backderf, Annelie Schurmans, Kate Zernike, Ville Ranta, Marcelo Quintanilha ou Andy Watson.

Serge Ewencyzk : Serge Ewenczyk : 20 ans des éditions Ça et Là, et toujours debout

Couverture de la BD Mon ami Dahmer de Derf Backderf, roman graphique culte publié par les éditions indépendantes Ça et Là.

À quel public vous adressez-vous ?


S.E : Nous n’avons pas défini de cible précise, mais nous touchons surtout un lectorat de littérature générale. Ce sont souvent des amateurs de roman graphique, pas de la BD franco-belge traditionnelle ou de série. Nous ne faisons pas de BD jeunesse : nos livres sont destinés aux adultes, ou aux lycéens.


Parlons de votre campagne « Ça va pas, Là » : pourquoi cet appel à soutien ?


S.E : L’économie d’une maison d’édition indépendante, c’est une suite de hauts et de bas. Trois fois déjà, Ça et Là a failli disparaître. Cette année, la situation est compliquée pour une raison nouvelle : la baisse générale des ventes en librairie, autour de 10 %.

Quand les libraires vont mal, nous allons mal : 85 % de notre chiffre d’affaires vient de leurs ventes. Après le succès de La Couleur des choses, qui nous a portés deux ans, nous n’avons pas eu de titre au même impact récemment. Résultat : un trou de trésorerie.

Nous cherchons toutes les solutions : subventions, prêt bancaire, soutien des libraires, et appel aux lecteurs via HelloAsso et enfin création de l’association « Les Amis de Ça et Là »

Affiche de la campagne

Affiche officielle de la campagne Ça va pas là, opération de soutien aux éditions indépendantes Ça et Là lancée en 2025.

L’ensemble du secteur est-il touché ?


S.E : Oui. Cette fois, ce n’est pas seulement une question de best-seller manquant : beaucoup de maisons d’édition, de libraires et même d’imprimeurs sont en difficulté. Certaines structures ont déjà été rachetées ou ont lancé des appels à soutien. Les grosses maisons tiennent grâce à leurs blockbusters, mais pour les indépendants, 2025 sera une année compliquée.

Pourquoi avoir choisi une tombola plutôt qu’un financement participatif classique ?


S.E : Nous voulions limiter les coûts et ne pas concurrencer nos libraires en pré-vendants nos livres. La tombola permet de collecter des fonds directement, avec quelques lots issus de nos archives, comme un dessin original de Linda Medley. L’idée est avant tout de soutenir la maison, pas d’attirer par la valeur des lots.

Ticket de Tombola vendu dans le cadre de la campagne

Ticket de tombola proposé par les éditions Ça et Là en 2025 pour financer la campagne de soutien Ça va pas là. © Ça et Là

Comment l’équipe vit-elle cette période ?


S.E : Depuis début 2025, Ça et Là est devenue une SCOP : les quatre salariés, moi compris, sommes associés à parts égales. Nous partageons donc les décisions et les responsabilités.
L’instabilité fait partie de la vie d’un éditeur indépendant, mais l’équipe est motivée, tournée vers les solutions. Nous sommes concentrés sur l’avenir, car 2026 et 2027 s’annoncent très riches en parutions.

Les éditions Ça et Là sont devenus une SCOP (Société coopérative de production)

Les éditions Ça et Là en SCOP depuis 2025, maison de bande dessinée indépendante et internationale dirigée par Serge Ewenczyk © Ça et Là

Quels sont vos projets pour les prochaines années ?


S.E : En 2026, nous publierons le nouveau livre d’Ulli Lust, une grande BD documentaire sur la place des femmes dans la préhistoire, déjà saluée en Allemagne, ainsi que le nouvel ouvrage de Martin Panchaud, auteur de La Couleur des choses.

Serge Ewencyzk : Serge Ewenczyk : 20 ans des éditions Ça et Là, et toujours debout

Couverture de la BD La Couleur des choses de Martin Panchaud, roman graphique primé et succès en librairie publié par Ça et Là.

En 2027, sortiront le nouveau Marcelo Quintanilha (Écoute jolie Márcia), et le prochain Derf Backderf (Mon ami Dahmer). Ce sont quatre titres très importants pour nous.

Serge Ewencyzk : Serge Ewenczyk : 20 ans des éditions Ça et Là, et toujours debout

Couverture de la bande dessinée Écoute jolie Márcia de Marcelo Quintanilha

Qu’aimeriez-vous que l’on vous souhaite pour la suite ?


S.E : Que l’on réussisse à traverser cette période et à poursuivre notre travail. Le soutien que nous recevons nous encourage énormément. On va faire en sorte que ça passe.

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