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David Prudhomme entre deux voyages

Entre Paris et Bordeaux, David Prudhomme nous ouvre les portes de son univers créatif. L’auteur de BD revient sur son rapport au dessin, à ses outils et à son rythme de travail singulier.

David, vous avez deux lieux de vie entre Paris et Bordeaux. Comment organisez-vous vos espaces de travail ?

David Prudhomme : Depuis dix ans, j’ai réduit le format de mes planches : pour Rébétissa par exemple, je suis passé à deux A3 que je recolle ensuite. Cela a changé la narration, il y a une petite influence. J’essaie d’avoir du matériel en double, mais je transporte toujours quelques outils ou carnets favoris. Je suis comme un escargot : ma maison, ce sont mes planches.

Quand je travaillais en atelier, c’était pareil : les autres laissaient leur matériel, moi je ramenais tout chez moi pour dessiner la nuit, puis je rapportais mes pages le matin. J’ai toujours besoin d’être avec mes planches. Aujourd’hui, je ne fais plus la navette qu’une fois par semaine…

L’atelier de David Prudhomme

L’atelier de bande dessinée de David Prudhomme, entre Paris et Bordeaux © ZOO Le mag

Est-ce que le fait de travailler chez vous influence votre rythme de travail ? Est-ce que ce n’est pas plus difficile qu’en travaillant en atelier ?

D. P : J’ai des plages de temps qui durent 24 heures et qui sont totalement libres d’organisation. Si j’ai une insomnie, je peux me relever et travailler ; si j’ai envie d’aller voir un film, une expo ou même de faire mes courses, je peux le faire quand je veux. C’est une des choses que j’ai cherchées en faisant de la bande dessinée : fuir l’astreinte d’un horaire fixe.

Mon rythme passe par le dessin, et le dessin déborde sur tout le reste. Finalement, j’arrive au même résultat, peut-être même davantage, parce que je suis disponible en permanence pour créer. Certains voient dans le trajet vers l’atelier un moment de fraîcheur, une manière de séparer travail et vie. Pour moi, c’était plutôt un handicap : cela me sortait de mes pensées.

L'espace de travail de David Prudhomme, entre intimité et création graphique.

L'espace de travail de David Prudhomme, entre intimité et création graphique © ZOO Le Mag

Le mouvement du corps est complètement différent. En atelier, on se tient d’une certaine manière, alors qu’à la maison, je suis dans une autre posture, plus libre. Je retrouve mon intimité, et c’est là que je puise mes temps de réflexion, mes moments de rêve éveillé. Je ne peux pas travailler en me fixant un nombre de cases par jour.

J’ai besoin de me demander : « Qu’est-ce qu’il se passe dans cette case, dans cette page, dans cette atmosphère ? » Je me lève, je vais chercher un livre, je reviens… Ces petits mouvements me régénèrent. C’est une liberté de geste et de pensée que je n’avais pas à l’atelier, où je me cantonnais à ma table.

Quand vous avez besoin de documentation, elle est autour de vous, mais vous n'avez pas forcément la doc dans les deux espaces.

D. P : Maintenant, Internet a tout changé alors je n'ai pas les mêmes livres, et je n'ai pas tous les livres en double. J'ai un espace à Bordeaux qui est plus structuré où il y a tous mes livres. Et depuis dix ans, j'ai d'autres livres ici à Montrouge, mais qui ne sont pas les mêmes. Enfin, ma collection de BD est à Bordeaux.

Ouvrez-vous souvent des bandes dessinées qui vous ont marquées ?

D. P : Oui, je pioche parfois dans la BD. J’ai énormément lu Astérix : je suis comme un baba au rhum, bien imbibé d’Astérix ! J’y retourne pour une image, une expression… La capacité d’Uderzo à incarner ses personnages est incroyable. Parfois, c’est un détail — une ombre, un bout narratif — qui me revient et m’inspire. On tire son chapeau aux autres, mais il faut ensuite inventer sa propre solution. Ça donne du courage, une direction, une exigence.

Mes références viennent aussi d’ailleurs : de l’illustration et de la peinture. En ce moment, je regarde beaucoup Eduard Thöny, Gus Bofa, Georges Beuville… et aussi Van Gogh pour ses dessins incroyables, comme Rembrandt ou Seurat.

Utilisez-vous vos temps de voyage pour travailler ?

D. P : Oui, quand je suis dans le train, je peux travailler sur tablette. Pour des petits zigouigouis ou même des jeux de dessin. Je fais aussi beaucoup de découpage dans le train. Je m’amuse à dessiner le paysage sans regarder la feuille. J'adore ça, la réponse automatique de la main sans regarder le résultat. Bon, à la fin, ça se superpose tellement que ça donne une zone très noire on ne déchiffre rien. Mais moi, ça me donne plein de courbes. C'est vraiment en toute décontraction. La belle courbe d'un champ avec une route, trois bouts de peupliers qui sont posés comme ça à cet endroit-là, ça fait des petites compositions que je note, qui peuvent après être utilisées. Je m'en suis servi dans Rupestres.

Cette superposition sur la vitre, qui se retranscrit sur la feuille, m’a rappelé les parois ornées de dessins superposés à l’infini. J’y ai vu une transposition moderne, que j’ai réutilisée dans Du bruit dans le ciel . Et puis le paysage qui défile, tout en restant immobile, est une formidable ressource pour le découpage : ce mouvement nourrit la pensée.

Croquis automatiques réalisés en train : paysages saisis à main levée

Croquis de paysages réalisés à main levée dans le train par David Prudhomme, une méthode utilisée pour Rupestres et Du bruit dans le ciel © ZOO Le mag

Avez-vous un objet fétiche qui participe à votre concentration ou à votre imagination et que vous transportez d'un endroit à un autre, mis à part votre matériel ?

D. P : Non… peut-être mon passeport ! J’ai aussi, chez moi, un tas de sable que j’ai ramené du Danube, dans lequel je plante de petits objets de voyage. Ça compose une scénette, que j’utiliserai peut-être un jour dans une BD.

Une scénette composée d’objets de voyage et de figurines, déposée dans un tas de sable du Danube

Une scénette composée d’objets de voyage par David Prudhomme, déposée dans un sable du Danube qui nourrit son imaginaire graphique © ZOO Le Mag

Ah si, il y a un crayon que j’aime bien avoir avec moi : un critérium doré, épais, d’une lourdeur incroyable, qui glisse merveilleusement sur le papier. Celui-là, je l’adore.

Le critérium doré, lourd et fluide, compagnon fétiche de David Prudhomme

Le critérium doré, objet fétiche de David Prudhomme, qu’il considère comme essentiel à son travail de dessinateur © ZOO Le Mag

Vous travaillez plutôt en silence, ou au contraire, vous avez besoin de musique ou de podcasts ?

D. P : Ça a beaucoup évolué. Au début, j’avais besoin de musique, de radio, tout le temps. Puis il m’a fallu le silence. Et aujourd’hui… c’est un peu n’importe quoi ! Je peux mettre une série sans intérêt, du foot, juste pour avoir un décor sonore, sans enjeu visuel.

C'est Dominique Bertailqui m’a donné l’idée. Quand il m’a dit qu’il regardait des films en dessinant, je l’ai pris pour un fou… et puis j’ai essayé. Ce sont des ruses pour tenir à la table. Parfois aussi, je mets la même musique en boucle toute la journée, pour rester dans un bain d’émotions continu. Peu importe le style : l’essentiel est que cette musique me porte jusqu’au bout de la page.

Les trousses de dédicaces, toujours prêtes pour les festivals et les rencontres avec le public

Les trousses de dédicaces de David Prudhomme, toujours prêtes pour ses rencontres avec le public © ZOO Le Mag

La musique correspond aux ambiances de votre album ?

D. P : Oui, ou à l’humeur que je veux que la musique décuple. Une fois que je suis dedans, je vais au bout de cette émotion, jusqu’à être rincé. Mais il ne faut pas de sautes : j’ai besoin d’un bain continu. En atelier, même avec un casque, la présence des autres change tout. Je suis trop attentif à la moindre mouche qui vole. Le moindre mouvement me sort de ma bulle. Alors j’ai recours à toutes sortes de petits stratagèmes pour me mettre en auto-hypnose et rester à la table.

Le fait d'être chez vous implique la proximité de vos proches. Est-ce qu’ils ont le droit de passer ? Ou est-ce qu'au contraire, il faut vraiment que vous soyez isolé ?

D. P : L’important, c’est d’entrer dans une sorte d’orbite stationnaire. À ce moment-là, tout disparaît autour de moi : je suis entièrement absorbé par ce que je fais. J’ai besoin de cette bulle, peu importe le moyen ou l’endroit, pour me plonger à fond dans le travail.

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