ZOO

Christian Lallemand, cofondateur des Editions du Tiroir : Je veux publier moins… mais mieux

Cofondateur des Éditions du Tiroir aux côtés d’André Taymans, Christian Lallemand s’est imposé en quelques années comme un acteur singulier de la BD belge. Éditeur par nécessité, scénariste par passion, il défend un modèle artisanal, exigeant et fondé sur la relation directe avec les auteurs, les libraires et les lecteurs. Rencontre avec un amoureux du livre-objet.


Pouvez-vous revenir sur votre parcours avant la création des Éditions du Tiroir ?

Christian Lallemand : Pendant vingt-sept ans, j’ai occupé le poste de directeur administratif et financier de la SACD/Scam en Belgique, organisme chargé de la gestion collective des droits d’auteur. En parallèle et au début de ma carrière, j’ai suivi, en cours du soir, une formation en Bande dessinée à l’Académie des Beaux-Arts Jean-Jacques Gaillard de Saint-Gilles (Belgique), où je me suis orienté vers le graphisme et l’animation, par pur plaisir personnel. J’ai rapidement constaté que l’animation est un domaine particulièrement exigeant : sans financement ni producteur, rien ne sort. C’est encore plus complexe que la bande dessinée, où l’on peut avancer à deux ou trois. Dans l’animation, sans moyens, c’est tout simplement impossible.

Comment s’organise l’édition chez vous ?

Au départ, nous étions trois associés, mais très vite, André et moi avons continué seuls. André consacre la majorité de son temps à ses propres œuvres et suit aussi certains auteurs en particulier. On se partage l’édition des albums à parts égales. Moi, en plus, je gère toute la partie administrative et organisationnelle, avec l’aide d’une comptable, d’une graphiste, d’un manutentionnaire et de bénévoles. C’est une structure légère, qui demande beaucoup d’investissement personnel mais permet de maîtriser les coûts.

Votre modèle économique est original, avec un fort lien aux collectionneurs

Oui, parce que nous intégrons très tôt les / nos collectionneurs et le financement participatif dans notre plan de production. Dès qu’un projet est validé avec un auteur, nous établissons un plan financier, qui inclut souvent une campagne Ulule afin de proposer des livres objets et/ou objets liés à nos collectionneurs. Cela permet de sécuriser une partie des ventes avant la sortie en librairie, tout en proposant une différenciation de produits et une relation différente avec les lecteurs auteurs. Je préfère dire que c’est un outil plutôt qu’un modèle en soi : notre ligne directrice, c’est d’abord de s’engager pleinement sur le projet dès le départ.

Comment définiriez-vous d’ailleurs votre ligne éditoriale ?

Nous n’avons pas de ligne thématique stricte. Ce qui compte, c’est la qualité graphique. Le scénario peut varier, les sujets peuvent être très différents, mais le dessin doit être impeccable. Nos collectionneurs n’accepteraient pas une approximation : que ce soit une voiture, un bâtiment ou un visage, tout doit être juste même si graphiquement on peut accepter une grande créativité. C’est un point non négociable.

Vous aviez aussi lancé une revue…

Oui,son nom est L’Aventure. On a atteint 350 abonnés, ce qui était encourageant, mais la gestion des abonnements et la fabrication demandaient énormément de temps. La revue est en pause aujourd’hui, mais elle nous a permis de rencontrer beaucoup d’auteurs et de nous faire connaître auprès d’un public passionné.

Couverture de la revue L’Aventure Preview n°2 – Deuxième numéro du trimestriel de bande dessinée des Éditions du Tiroir (2019), mêlant prépublications d’albums, récits courts et chroniques graphiques.

Couverture de la revue L’Aventure Preview n°2 – Deuxième numéro du trimestriel de bande dessinée des Éditions du Tiroir (2019), mêlant prépublications d’albums, récits courts et chroniques graphiques.

Le fait d’être un éditeur belge change-t-il quelque chose aujourd’hui ?

Oui et non. Nous sommes fiers, et même revendiquons, notre identité d’éditeur belge. Nous avons beaucoup travaillé notre réseau local, en multipliant les contacts individuels et en développant des partenariats, comme celui avec la RTBF. En France, je ne sais pas exactement dans quelle mesure nous sommes connus. Ce que je peux dire, c’est que notre ratio de ventes est d’environ 1 à 3 : nous vendons deux à trois fois plus en France qu’en Belgique.


C’est positif, mais si l’on compare les populations, près de 12 millions d’habitants en Belgique contre plus de 68 millions en France, le rapport devrait plutôt être de 1 à 5 ou 1 à 6. Cela montre qu’il reste un véritable potentiel à exploiter pour faire mieux connaître nos créations et notre maison d’édition sur le marché français. Parlons de vos projets à venir… Je suis particulièrement attaché à notre collection L’Heure H, adaptation en BD de podcasts historiques de la RTBF. Chaque tome est un one-shot, culturellement et historiquement riche.

Couverture de l’album L’Heure H – Le procès de la ministresse Henriette Caillaux (1914), collection historique de la RTBF adaptée en BD par les Éditions du Tiroir.

Couverture de l’album Le procès de la ministresse Henriette, Henriette Caillaux (1914), album de la collection historique de la RTBF, L’Heure H adaptée en BD, par les Éditions du Tiroir.

En avril prochain sortira On a volé la Coupe du monde, 1966 !, qui raconte le vol du trophée en 1966 en Angleterre et sa découverte par un chien devenu une star en Angleterre. On envisage aussi de traduire l’album en anglais pour l’exporter directement au Royaume-Uni. Le sixième tome, prévu l’année prochaine, portera sur l’origine du personnage de Sherlock Holmes. Cette collection nous a donné une grande visibilité en Belgique grâce à des campagnes radio nationales, et a permis de toucher de nombreux libraires qui ne vendaient pas encore nos livres.

Comment voyez-vous l’avenir des Éditions du Tiroir ?

Je veux réduire notre production annuelle. L’idée est de préparer chaque titre en profondeur : communication, dossiers de presse, partenariats, événements… ainsi que tirer le meilleur parti de nos séries phares, telles que Caroline Baldwin et Rubine. Il faut être plus exigeants sur les scénarios, pas seulement sur le dessin. Je crois aussi qu’il faut aller chercher un lectorat plus féminin, avec des sujets historiques, sociaux ou politiques, qui leur parlent davantage. Nous manquons d’autrices dans notre équipe !

Couverture de Caroline Baldwin Tome 1

Couverture de Caroline Baldwin Tome 1 – Moon River, le premier album culte de la série policière créée par André Taymans et publiée par les Éditions du Tiroir© Éditions du tiroir

À titre personnel, dans quelques années, j’aimerais consacrer la majorité de mon temps à l’écriture et moins à la gestion, probablement sans laisser tomber le métier d’éditeur.

Couverture du tome 16 de Rubine : Super tuesday

Couverture de Rubine Tome 16 – Super Tuesday, nouvel album de la série d’action franco-belge paru en 2025 chez les Éditions du Tiroir. © Éditions du tiroir

Effectivement, nous n’avons pas encore parlé de votre premier album en tant que scénariste, Lettres mortes

Oui, c’était avec Tangi, un jeune auteur au dessin. Pour lui comme pour moi, c’était notre tout premier album publié, une véritable carte de visite, surtout pour lui.

Lettres mortes a reçu de très bonnes critiques et, en festival, c’est l’album qui plaît le plus dans notre catalogue au public féminin. Peut-être grâce à ce livre, Tangi a d’ailleurs signé immédiatement après chez Glénat.

Couverture de Lettres mortes

Couverture de Lettres mortes – Premier album co-écrit par Christian Lallemand et Tangi, très apprécié du lectorat féminin et salué en festival. © Éditions du tiroir

Ensuite, j’ai enchaîné avec l’adaptation d’un roman d’Henri Vernes, Luc Dassaut – Les rescapés de l’Eldorado, une histoire et un personnage dans la veine de Bob Morane. L’adaptation de roman me plaît beaucoup, c’est pourquoi en ce moment, je travaille sur Du plomb dans la neige, adapté du roman de Pierre Pelot, auteur de nombreux romans dont certains portés à l’écran. L’histoire se déroule début des année 1970, dans les Vosges, et met en scène des malfrats qui, après un braquage, se retrouvent coincés dans un huis clos enneigé. Didier Pagot en assure le dessin. Trois autres projets sont en cours d’écriture et de réflexion… ce n’est pas les projets qui manquent mais le temps !

’adaptation d’un roman d’Henri Vernes, Luc Dassaut – Les rescapés de l’Eldorado

Couverture de Luc Dassaut – Les rescapés de l’Eldorado – Adaptation en bande dessinée d’un roman d’Henri Vernes (créateur de Bob Morane), co-écrit par Christian Lallemand. © Éditions du tiroir

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ce métier ?

Le livre en lui-même. Le papier, la fabrication, le plaisir d’avoir un bel objet entre les mains. Je lis beaucoup de scénarios, et j’adore imaginer ce que cela pourrait devenir. Quand un auteur est constructif, qu’on échange et qu’on construit ensemble un projet, c’est passionnant. C’est ce genre de collaboration qui me donne envie de continuer. Fabriquer un livre que moi-même j’aurais envie d’acheter si je le découvrais en librairie.

ZoomSurUnÉditeur

Belgique

éditions

EditeurEté2025

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants