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Les chats ne font pas les chiens (mais les renards font les poussins)

D’après notre chroniqueur Pierre,« Jamais renard n'est apparu plus sympathique » (il en a d’ailleurs fait l’un de nos coups de coeur de la semaine) ! Et effectivement, difficile de ne pas s’attendrir devant l’excellent album de Benjamin Renner ! Nous avons profité de sa présence à Angoulême pour revenir sur ses personnages hauts en couleurs et sur l’écriture d’une histoire originale dont l’aventure a commencé et continue en ligne !

Une BD comme une cour de récré

Comment vous est venue l’idée de l’album ?

Enfant, on m’avait expliqué que lorsqu’un œuf éclot, le poussin va prendre la première chose qu’il voit pour sa mère. Forcément, j’ai eu envie d’essayer, mais du haut de mes 7 ans, je ne me sentais pas prêt à devenir parent, trop de responsabilités pour mon jeune âge !

L’idée du renard m’est venue au lycée je crois. Et à la fin d’Ernest et Célestine, j’ai décidé de me lancer ! Il y avait en plus une certaine concordance entre Le Grand Méchant Renard et Ernest et Célestine qui raconte l’histoire d’un ours qui adopte une souris. Avec ce renard qui adopte des poussins, j’avais envie de rester dans ce type de thématiques !

Travailler en tant que réalisateur sur Ernest et Célestine vous a apporté quelque chose pour cet album ?

Plusieurs choses ! À l’origine par exemple, je voulais finir l’album par un procès pour savoir qui obtiendrait la garde des poussins. Mais comme Ernest et Célestine se terminait aussi par un procès, la redite m’a sauté aux yeux. J’ai deux histoires qui se ressemblent : j’ai pu concrétiser certaines idées avec Ernest et Célestine qui me plaisaient aussi dans Le Grand Méchant Renard...

Je me suis donc forcé à ne pas les réutiliser, pour m'en libérer en somme. Mais du côté des influences directes, je travaillais énormément par sketches avant Ernest et Célestine. Et le fait que ce soit une histoire longue m’a donné des idées pour écrire au long cours !

Visuellement, y a t-il des ponts entre les deux œuvres ?

Le Grand Méchant Renard est plus personnel en termes de dessin, plus « à l’arrache ». Un style un peu plus cartoon, aux expressions assez exagérées. C’était pour moi l’occasion de me lâcher, d’aller chercher les expressions les plus marrantes. Je ne voulais pas faire une « belle BD », je voulais surtout faire une BD expressive en dessin et en narration !

C’est aussi pour cela qu’il n’y a que peu de décors : l’action se focalise vraiment sur les personnages. Cette BD, c’est ma cour de récré, le moment où je me lâche et où je fais ce que je veux. Et dans le fond, je n’aime pas vraiment dessiner les décors [rires].

À quel public destinez-vous l’album ?

Je me pose toujours un peu la question. J’ai l’habitude de faire des albums sans trop me préoccuper de l’âge des lecteurs, à l’inverse de l’animation où l’on vise un « public-cible ». Étant donné que je suis très sensible à la littérature jeunesse, j’ai du mal à me dire que c’est uniquement pour les enfants. Daniel Pennac dit d’ailleurs que la bonne littérature jeunesse, c’est celle que les parents piquent aux gamins !

Je dirais que je fais des albums tout public, mais je ne me pose pas la question en écrivant : je fais l’histoire qui me plaît, qui me fait rire, en espérant qu’elle fera rire les enfants aussi ! Je sais que les enfants n’ont pas le même rapport à l’humour que les adultes. Par exemple, je ne sais pas vraiment comment ils reçoivent la bande dessinée, qui est très dialoguée. Mais personnellement, je ne lisais pas les dialogues !

Pourquoi ce choix d’une BD sans cases ?

Je trouve que je n’ai jamais été très bon en composition. Même en animation, j’ai tendance à d’abord dessiner sur feuille libre, sans cadrer. Ça m’offre donc une certaine liberté que j’apprécie. C’est aussi dû au format blog pour lequel les cases n’étaient pas vraiment nécessaires. Comme dans un théâtre, les personnages sont les seuls sujets de l’album, des cadrages précis n’étaient donc pas utiles.

Le renard qui n’en était pas un !

Votre album présente des personnages aux personnalités marquées et tous très différents. Comment les avez-vous développés ?

Le cochon, c’est moi tout simplement. Il y a longtemps, je faisais des bandes dessinées pour offrir des cadeaux à ma famille qui mettaient en scène un lapin, un canard et occasionnellement un cochon, parce que j’ai l’habitude de me dessiner en cochon.

Un jour, j’ai écris une longue histoire pour la naissance du premier enfant de mon frère. Ça m’a donné l’idée de la ferme avec tous ses personnages. Je la vois un peu comme un village des Schtroumpfs, où je peux raconter plein de petites histoires !

Pourquoi avoir choisi comme personnage un renard qui arrive à tout sauf à être un renard ?

À l’adolescence, on est censé se définir socialement via ce que nous présente la télé ou autre. Mais c’est souvent un modèle dans lequel on ne se reconnaît pas ! Le renard c’est pareil, il est censé être fourbe, intelligent, rusé, un peu cruel et il n’y arrive pas ! Dans le fond, il n’a même pas vraiment envie de l’être.

De la même manière, j’ai pu essayer d’être le « mec cool » mais ça s’est terminé dans des catastrophes vestimentaires ! [rires] Et évidemment, en grandissant, on comprend à quel point tout cela était vain. Dans le fond, c’est une BD sur l’adolescence, sur le principe de s’accepter soi-même. Découvrir que l’on est l’opposé de ce que l’on est censé être mais qu’en fait, c’est pas bien grave !

À l’inverse la poule, qui a du mal à accepter que le renard puisse en fait être quelqu’un de sympa, représente l’injonction de se conformer ?

Pas vraiment ! La poule est avant tout la mère prête à tout pour récupérer ses poussins, celle qui va les chercher à la hache si besoin, pas la gentille maman poule ! Par contre, je faisais la BD pendant le débat sur le mariage pour tous. Je ne sais pas si ça a influencé l’album, mais ma copine trouvait que le fait que les poussins aient en quelque sorte deux mamans résonnait avec l’actualité.

Dans le fond, je pense que le renard est son propre ennemi. C’est lui seul qui cherche à se conformer à ce qu’il doit être. Il y a peut être le loup qui peut lui en donner l’injonction, mais plutôt parce qu’il ne comprend pas que le renard n’est pas tel qu’il est censé être.

Comment est né ce personnage du loup d’ailleurs ?

À la base il est né d’une autre histoire, où je l’avais imaginé comme un personnage mystérieux, un Jean Gabin des loups. J’ai essayé de le garder très sobre, parce qu’il fait peur aux animaux par sa seule présence ! Mais en même temps, il est un peu amorphe !

Il était beaucoup plus machiavélique au début de l’écriture, mais j’ai enlevé cet aspect cruel au personnage pour ne pas rendre le récit manichéen. Qu’il soit un carnivore est une motivation suffisante à son existence sans y ajouter la cruauté !

Et les poussins finalement ?

Il s’agit tout simplement de mes trois neveux et nièces ! La plupart de leurs scènes avec le Renard sont des petites tranches de vie. J’avais un rapport un peu particulier aux enfants, auxquels j’avais tendance à parler comme à des adultes. Je ne comprenais pas que mes neveux et nièces paraissaient m’adorer alors que je restais assez distant, un peu mal à l’aise, sans trop savoir comment réagir en fait ! J’étais fasciné par cette espèce d’amour immédiat que peuvent exprimer les enfants. Évidemment maintenant je les adore !

Vos projets en cours ?

Je suis en train d’adapter l’album en petit court-métrage avec mes producteurs. J’aimerais pouvoir y ajouter des histoires de la ferme qui ne sont pas dans l’album ! Je travaille aussi sur un projet de BD interactive, une BD dont vous êtes le héros avec mes trois personnages du cochon, du lapin et du canard mais c’est un peu en pause pour le moment, ça prend beaucoup de temps !

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