Dans un registre plus proche du Guide du Routard que de la légende romanesque des grands explorateurs, Simon Hureau nous livre dans Mille parages un ensemble de récits pittoresques et inattendus. Retour sur les origines de l’ouvrage.
Des voyages naissent les récits
Vos récits de voyage alternent instantanés, récits de galère et expériences méditatives. Pourquoi ?
À la base, il s’agissait de compiler toutes les histoires réalisées depuis une douzaine d’années, lorsque je ressentais le besoin de retranscrire en BD certaines expériences vécues. Certaines histoires se passent tout près d’ici, d’autres à l’autre bout du monde. Elles ont comme trait commun le déplacement et ce qui nous arrive d’imprévu lorsqu’on est à l’extérieur. Parfois ce sont des choses toutes bêtes mais qui ont des conséquences inimaginables.
C’est donc plus proche du récit que du carnet de voyage ?
Oui, ça n’est pas du tout un carnet, même si j’en ai toujours un sur moi et que je prends des notes graphiques. J’ai parfois utilisé des croquis dans l’album, mais l’ensemble est strictement narratif.
Il y a beaucoup d’histoires que j’avais noté rapidement au brouillon pour plus tard et quelques autres que j’ai réalisées directement en rentrant. On a fait un tri pour la compilation et j’ai dû redessiner les plus anciennes pour avoir un livre cohérent.
Vos balades vont de Florence au Burkina Faso, de la Creuse à la Thaïlande. Comment avez-vous fait vos choix ?
On a écarté tout ce qui faisait des gros sujets, qui feront probablement l’objet d’autres compilations. Je dois avoir 200 pages sur l’Indonésie à sélectionner, relire et retravailler. Pour la Chine, j’ai 80 pages qui seront pour un prochain volume. Il fallait conserver un patchwork d’éléments disparates à peu près équivalent en pagination, de 1 à 15 pages maximum. Globalement on a dû prendre 95 % des récits courts réalisés pour Lapin, Ego comme x ou des fanzines.
Chaque histoire a un format particulier, avec des rythmes différents parce qu’elles n’ont pas été réalisées en même temps ?
Pas forcément, j’ai l’impression que chaque histoire a son esprit graphique. Je sentais certaines planches au lavis parce qu’elles étaient nocturnes, d’autres plus au trait... Je pense que chacune a son rythme selon l’état d’esprit du moment vécu.
Etes-vous influencé par l’underground américain ?
J’en lis mais je ne sais pas à quel point mes lectures peuvent se retrouver dans mon trait, si j’ai pu être influencé par Crumb, JC Menu, Trondheim, Blutch… Ça m’est venu assez naturellement en sortant des Arts Déco.
Nécessairement on en arrive à se mettre en scène du simple fait d’avoir envie de raconter quelque chose de vécu, on devient le personnage de ses propres aventures. Au début, je me demandé s’il était légitime de raconter des histoires vécues et si ça pouvait intéresser des gens. Finalement, on ne se pose plus la question, on le fait car on en ressent le besoin.
Avez-vous uniquement travaillé avec vos souvenirs ? Il y a des petits détails improbables comme cette affiche sur la Gironde qu’on voit dans un haut-commissariat burkinabé.
[Rires] Là, en effet, j’avais fait un croquis : on poireautait tellement dans cette salle d’attente qu’on avait le temps de dessiner. Dès que j’ai de la matière en images, je l’exploite. Parfois la documentation m’a manqué et j’ai dû inventer, mais pour la Thaïlande et le Burkina Faso, j’avais toujours un carnet à la main : j’ai pu me servir de mes notes. Les histoires les plus peu anciennes ayant été réalisées à chaud, il y en a peu que j’ai dû redessiner de mémoire.
Les périples extraordinaires d’un homme ordinaire
En redessinant vos planches, avez-vous créé des « copies actualisées » de vos planches originales ?
Je pense que, la plupart du temps, j’ai été fidèle à la première version. Ça avait vieilli graphiquement et je ne me reconnaissais plus dans ce dessin. Les redessiner m’a aussi permis de voir les petits défauts de narration et préciser des éléments elliptiques : je me rends compte que je n’écrivais pas de la même manière.
Sur la vingtaine d’histoires, il y en a trois sur le sommeil…
J’ai un ressenti particulier avec la nuit, je ne suis pas spécialement nocturne mais ce n’est pas n’importe quel moment de la journée.
Concrètement, je me reposais sur l’idée que dormir ne devrait pas se prévoir à l’avance, ni être payant vu que c’est un besoin naturel. On devrait pouvoir dormir où on veut et comme on veut, et malheureusement tout est fait pour qu’on soit obligé d’aller à l’hôtel.
C’est aussi l’occasion de raconter des anecdotes où vous vous mettez un peu en danger.
Ce n’est pas volontaire mais ça s’est vite transformé en périples proprement nocturnes. La ville est fermée, on est dans la rue en cherchant juste à dormir. Ca n’est pas une grosse mise en danger, au pire on marche toute la nuit. On ne prévoit pas qu’on va réussir à rentrer dans un endroit, se faire jeter par la police et que ça nous entraîne jusqu’aux petites heures du matin. On ne fait que jouer avec les codes du voyage.
Par rapport aux autobiographies traditionnelles, vous racontez des situations exceptionnelles.
Je ne raconte pas ma vie, seulement mes voyages. Certes je me mets en scène mais j’ose espérer que ça ne soit pas nombriliste pour autant. Je restitue mon expérience insolite et mes impressions, finalement comme n’importe quel récit de voyage. Je suis une sorte de Tintin, j’ai l’impression que le lecteur peut s’identifier au personnage qui vit ces déambulations. En racontant les histoires italiennes, j’ai pensé au film de Scorsese After Hours : ça pouvait presque être de la fiction, évidement en moins rocambolesque et en plus court.
Il y a des histoires dans lesquelles je ne vis rien, ce sont des sortes de célébration. Quand je réussi à me trouver un petit coin pour dormir dans le Sud de la France et que je passe une jolie nuit à la belle étoile, j’ai juste envie de décrire un cadre qui me plaît. Je veux rendre hommage à des choses qui me paraissent belles, sinistres ou sordides.
Ce n’est pas non plus du reportage social ou un documentaire dessiné…
Je n’ai pas cette prétention. Si j’ai l’opportunité extraordinaire de vivre une situation dont il faut vraiment parler et que peu de gens peuvent imaginer, je ferais quelque chose dans l’ordre du reportage.
Mais jusque-là j’ai été un voyageur ordinaire qui a vécu des choses assez ordinaires, j’ai pu voir les mêmes choses que les autres mais sur un chemin de traverse.
Ce livre représente une sorte de respiration par rapport à vos livres de fiction ?
Tout à fait, ce n’est pas du tout le même type de plaisir ou de difficulté. Ces vieux trucs qui étaient éparpillés dans mes pochettes ont maintenant une vie, je peux les ranger et passer à autre chose.
Il n’y avait pas moyen de les utiliser en fiction ?
Ça a pu arriver, le fait que je sois allé au Cambodge m’a servi dans Le Massacre. D’ailleurs je me suis mis en scène dans une fiction. J’ai complètement mélangé les narrations, entre l’historique, la fiction, l’autofiction, qui peut amener le lecteur à se demander si tout ça est vrai. Je m’étais amusé.
Pour vous, c’est quoi le voyage ?
La liberté, l’improvisation. Ne pas se retrouver piégé par une organisation, un calendrier ou des horaires. Pouvoir décider qu’on va bouger quand on a marre d’un endroit.
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