Pour Groom, José-Luis Munuera et Nob ont mis en BD La crise des réfugiés. Aiguillés par Damien Perez, le rédacteur en chef, José-Luis Munuera a mis en scène des dinosaures en quête d’une terre fertile et Nob le périple d’un petit garçon qui se terminera sur le rivage de l’Europe. Ils nous ont confié tous les deux ce qui les a fait participer à ce nouveau journal.
Un exercice difficile donc intéressant
Comment avez-vous été embarqués dans l’aventure Groom ?
Nob : Je suis assez souvent en contact avec l’équipe de Spirou, vu que Dad parait régulièrement dedans. C’est là que j’ai connu Damien Perez et quand il m’a parlé du projet j’ai directement dit oui !
Extrait de Voir la mer de Nob
Quand il m’a soumis trois-quatre sujets dans lesquels je pouvais piocher, je pense qu’il avait déjà une idée derrière la tête. Bien sûr le thème des migrants n’était pas facile à traiter mais du coup ça m’intéressait beaucoup !
José-Luis Munuera : Je suis très fier d’avoir participé à cette initiative ! Damien Perez m’a appelé pour me donner le sujet sur lequel il me voyait bien travailler : l’immigration. C’est déjà un sujet fort délicat en lui-même et il l’est encore plus pour moi, vu que j’habite au Sud de l’Espagne, qui est un des portes d’entrée des refugiés. Sur les plages où je vais nager l’été avec mes enfants, il y a des petits bateaux avec des immigrants qui arrivent.
Ce sujet me touche donc de façon directe. À tel point que j’ai voulu le traiter de manière indirecte. J’ai décidé de faire une fable animalière et en y réfléchissant, j’ai opté pour les dinosaures.
Extrait de Terre fertile de José-Luis Munuera
Tous les deux, vous avez choisi des points de vue très particuliers :
José-Luis Munuera : Grâce aux dinosaures, j’ai pu essayer de montrer les différents points de vue. D’un côté, j’ai pu mettre en avant l’émotion liée au père et son enfant à la recherche d’une terre pour survivre. On se rend bien compte qu’ils sont en danger mais les gardiens du monde fertile donnent aussi leurs raisons, qu’on peut approuver ou pas, de ne pas les accueillir. Exposer le sujet sans le juger était très intéressant.
Grâce à l’équipe du journal, j’ai modifié surtout les figures des carnivores qui ne veulent pas laisser de la place dans leur sanctuaire aux migrants. Je les avais créés beaucoup plus méchants, alors qu’il faut aussi nuancer ce point de vue en exposant leurs raisons de refus.
Nob : Pour moi, le choix du point de vue d’un enfant offrait un regard neutre : le héros découvre en même temps que le lecteur ce qui se passe autour de lui. En plus comme il a grandi dans un pays en guerre, il ne comprend pas pourquoi ce n’est pas « normal ». Il n’a pas de regard négatif sur ce qu’il quitte : c’est en tant qu’adulte qu’on sait ce qui se joue vraiment dans son voyage pour « Voir la mer ».
Avant-dernières cases de Voir la mer
Finalement, j’ai choisi le même point de vue que dans Les Souvenirs de Mamette : un enfant vit quelque chose qui le dépasse un peu, ce qui fait cohabiter la petite histoire et la grande. Le petit, il veut rester avec son doudou, ne pas être malade dans le bateau : des préoccupations d’enfant universelles et simples, malgré la situation « exceptionnelle ».
Dernières cases de Voir la mer
Vos deux chutes sont marquantes : d’un côté une météorite annonce la fin des dinosaures et de l’autre un doudou se retrouve échoué, seul, sur une plage…
José-Luis Munuera : La météorite est un fait réel : les dinosaures ont disparu. Mais avec cette chute, je donne aussi mon point de vue sur l’idée qu’empêcher les gens de venir se réfugier chez soi empêche la catastrophe.
Nob : Il y a des choses que je ne montre pas mais laisse la place au lecteur pour qu’il y mette sa propre émotion. Au début, Damien voulais plutôt que je parle de petit Aylan et de son parcours. Mais je préférais plutôt montrer qu’il y a plein de petits Aylan. La fin de l’histoire aborde l’histoire d’Aylan mais de manière détournée.
Dernières cases de Terre fertile
Être sérieux tout en faisant rire
Comment fait-on pour s’adresser aux enfants sur des sujets aussi graves ?
José-Luis Munuera : La seule façon de s’adresser aux enfants, c’est d’être encore plus sincère qu’avec les adultes. Il faut être encore plus sérieux, plus responsable et plus profond car les enfants n’ont pas autant de recul par rapport à l’histoire que des personnes plus grandes.
Extrait de Terre fertile de José-Luis Munuera
Nob : D’ailleurs, je ne m’adresse pas qu’aux enfants car dans l’histoire, il y a pas mal d’éléments que seul un adulte comprend, par exemple l’achat des gilets. C’est montré sans être expliqué, donc c’est pour moi une porte d’entrée pour un enfant qui peut poser aux adultes des questions sur ce qu’il lit.
D’ailleurs sur un thème très grave, vous trouvez tous les deux des pirouettes pour faire rire…
José-Luis Munuera : Toute fiction se base sur une réalité, même lointaine, pour qu’on y croie. Il faut encore plus de rigueur quand on traite la réalité. On peut parler très sérieusement de choses très importantes et très sérieuses sans oublier d’en rire !
Extrait de Voir la mer de Nob
Nob : Comme je suis le premier lecteur, j’ai besoin d’un petit truc qui doit me donner le sourire. Souvent, j’ai une histoire en tête et quand je la dessine, j’y ajoute des petites choses qui donnent de la vie à la page. Quand je raconte, la situation pas drôle à la base va devenir un gag et inversement… J’adore faire le grand écart entre le drôle et le dramatique !
Qu’a de plus la BD pour traiter d’actualité ?
José-Luis Munuera : Ce qui formidable, c’est le budget : on peut créer les dinosaures et leur monde avec crayon et du papier. On peut parler de la réalité sans être limités par la réalité physique.
Extrait de Terre fertile
Nob : La BD a l’avantage d’immerger dans un endroit et d’une époque tout de suite grâce à l’image. En plus, le regard est à la fois un peu distancié car on n’est pas dans l’immédiateté de la photo ou du documentaire et subjectif. Le regard de quelqu’un sur l’actualité donne envie d’en savoir plus.
José-Luis Munuera : Groom peut aider à créer une discussion, être le moteur pour revenir sur un sujet. Et que les enfants trouvent des réponses ou au moins se posent des questions.
Nob : Si tant est qu’on ait un rôle comme auteur, on doit soulever des questions. Le plus difficile était de ne pas être trop moraliste, pas trop mélo-dramatique avec un thème qui est une réalité pour plein de gens.
José-Luis Munuera : La ligne éditoriale de Groom, m’a aidé justement à cet équilibre : transposer la ligne du Journal de Spirou, pertinent, fantaisiste et drôle pour raconter le monde.
Nob : C’est finalement un zapping intelligent de l’actualité avec une grande richesse de points de vue, de tons et de graphisme. C’est un panel de sensations qui montre bien la diversité du monde qui nous entoure. Il est d’ailleurs salutaire de revenir sur l’actualité, d’avoir un panorama de tout ce qui s’est passé alors qu’on a l’habitude qu’un sujet chasse l’autre.
Extrait de Voir la mer
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