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Mitterrand Requiem : la fin d’un président mystique par Joël Callède

En janvier 1996, ce sont les derniers jours de François Mitterrand et de la part mystique de ce personnage rare qui aura marqué l’histoire de France du XXe siècle. Joël Callède donne sa vision pertinente d’un théâtre où l’ancien président revient sur sa vie dans un monde de marionnettes dont il a tiré souvent les ficelles. Pour ce Mitterrand Requiem, Anubis, dieu égyptien des morts, sera son guide. François Mitterrand se confie, émouvant et cynique, profond et, après tout, sincère.

Un homme de combat

Choisir les derniers jours de Mitterrand comme sujet et en particulier son discours où il parle des choses de l’esprit, ce n’était pas évident ?

Joël Callède : C’était le point d’entrée qui me plaisait car je m’intéresse à des thèmes spirituels. Ce discours m’a marqué : j’ai creusé le sujet et j’ai compris que ce n’était pas une parole en l’air quand il parlait des choses de l’esprit, de la vie qui ne finissait pas avec la mort.

Mitterrand les forces de l'esprit

Mitterrand est en fin de vie. Espérer qu’il y a autre chose après la mort n’est pas une façon de s’accrocher à la vie justement ?

Peut-être mais quand on suit son parcours, il a été toujours proche de ses amis quand ils vont mourir. Il n’a jamais abandonné personne au seuil de la mort. Ce passage était important à ses yeux.


Sauf, et vous en parlez, Grossouvre et Bérégovoy qui se suicident.

Il a laissé mourir parfois. Hormis ces deux cas-là, il a accompagné ses amis et il cherchait déjà cette idée de passage qui le travaillait.

Vous commencez le récit en Egypte peu de temps avant la mort de Mitterrand à l’hôtel Old Cataract. Cela vous permet de faire appel à la mythologie égyptienne avec Anubis ?

Oui, il fallait que je donne un interlocuteur à Mitterrand, qui est un homme de dialogues. On l’a caricaturé, traité de dieu, de sphinx mais il avait une vraie passion pour l’Egypte antique. Avec Anubis, le dialogue lui permet de se regarder en vérité. Enfin une sorte de vérité. Il fait un bilan de vie avec Anubis, passeur qui ne juge pas et oblige Mitterrand à ouvrir les yeux sur plein de choses.

Anubis

Vous croyez qu’il fallait lui ouvrir les yeux ? Ce n’était pas un tendre...

Je ne m’attache pas à l’animal politique. C’était un homme de combat capable de mettre plus bas que terre ses ennemis. Mais là c’est un combat intérieur entre lui et les fantômes de sa vie.

Anubis

Vous dites qu’il a pourtant beaucoup de tendresse pour sa fille, Mazarine.

Oui mais c’est tout à fait documenté. Il a eu tard cette fille du secret. Il était en admiration devant Mazarine et a mis sa vie en ordre en laissant dévoiler son existence. Il avait peut-être plus d’amour pour elle que pour ses fils qui étaient dans l’ombre. J’extrapole mais il avouait qu’il n’a pas été pour eux très présent.

Sa femme Danielle a eu une sacrée patience, que ce soit avec la mère de Mazarine ou avec d’autres ?

Je suis resté romanesque mais il a eu pas mal d’aventures. C’était un vrai séducteur. Avec Danielle Mitterrand, ils avaient mis en place un modus vivendi pour leur vie privée.

De la droite à la gauche, sans états d’âme

Vous vous êtes attaché à lui avec votre album ou vous aviez déjà de la bienveillance à son égard ?

J’aime cet homme, je ne m’en cache pas. Je n’approuve pas tout ce qu’il a fait mais j’ai de la tendresse pour lui. En plus, il va presque mourir en direct. C’est terrible.

Mitterrand
Vous lui faites dire dans votre album que lui, il n’était pas allé au Fouquet’s. Vous taclez ses adversaires...

Mitterrand c’était autre chose quand même : pas le même rapport à l’Histoire ni intellectuellement, ni politiquement avec un de ses successeurs. En termes de culture pure, je le rapprocherais de Mélanchon, homme très lettré.

Mitterrand a eu un parcours politique sinueux. Par manque de choix à droite, il est allé à gauche sans que cela ne le gêne beaucoup ?

Oui, il a été très fort, sans vrais états d’âme. J‘ai repris ses passages obligés : un parcours tracé de la guerre par son passage à Vichy et puis au Panthéon où je le fais rencontrer Jaurès en 81.

Au Panthéon
Comment avez-vous construit votre ouvrage ?

Je suis scénariste et dessinateur pour la première fois. Le scénario se créait avec la mise en scène. Je travaillais par séquences, comme la guerre ou l’Algérie par exemple avec des brouillons graphiques, de quinze, vingt pages.



Vous parlez aussi dans l’album de la peine de mort ?

Oui, il a émis des avis favorables pour des exécutions pendant la guerre d’Algérie, comme Garde des Sceaux, mais il a fait abolir la peine de mort. Il a eu des regrets. J’ai dessiné une scène violente à ce sujet : la BD permet pas mal de choses.

Discussion de la peine de mort

On dit qu’au moment de mourir on visite sa vie, on fait un bilan. Mitterrand disait qu’il était très en paix avec lui-même. Il s’est défendu bec et ongles contre ses accusateurs à la fin de ses jours.

Vous signez un essai journalistique en somme sur un Mitterrand qui est un homme ambigu ?

Oui, ce n’est pas une fiction. C’est un peu cette approche. Mitterrand n’était pas ambigu, plutôt ambivalent en fait. Il a été tout et son contraire. Il est très français, on le voit avant la guerre et pendant avec Vichy, la Résistance ; avec ses contradictions. Il disait qu’il aimait charnellement la France. Ce n’était pas des mots en l’air. Curieusement, il est plus royaliste que révolutionnaire...

Vivre libre...
Et quel est votre projet suivant, après Mitterrand Requiem ?

Pour l’instant, je suis en phase de réflexion sans but précis. Je vais voir comment cet album sera reçu. J’ai envie d’écrire des scénarios pour d’autres. Je voudrais aussi explorer des sujets comme le spirituel, le sacré, la religion. En BD, cela n’existe pas. Je ne sais pas par contre si les éditeurs seront sensibles à cette démarche...

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