Dans son dernier album, Les Danois, Clarke pose un postulat : et si tous les enfants naissaient blonds aux yeux bleus quelle que soit leur ethnie d’origine ou la couleur de peau de leurs parents ? Et si un curieux rétrovirus provoquait cette différence, comment le monde réagirait-il ? L’auteur nous raconte comment est né ce roman graphique étonnant...
La schizophrénie comme méthode de travail
De Mélusine aux Danois, vous jouez énormément avec votre style...
Clarke : A 52 ans, j’ai un paquet d’albums derrière moi ! J’ai commencé chez Spirou vers 25 ans et le premier Mélusine est sorti quand j’avais 29 ans. Et je viens juste de sortir le roman graphique Les Danois au Lombard.
De projet en projet, je varie beaucoup mon style mais c’est parce que j’adore la BD ! C’est un medium extraordinaire, qui est malheureusement très codifié. Si vous donnez un album à un adulte alors qu’il n’en a pas lu enfant, il ne rentre pas dedans. Il y a une grammaire, un lexique propre à la BD qui est difficile à appréhender.
Il n’empêche que j’adore ce medium car il manipule l’art de l’ellipse, une espèce de narration fragmentée qui semble naturelle à un lecteur de BD mais qui ne l’est pas du tout pour quelqu’un habitué au cinéma, à la littérature, etc. Cet art combine en plus le texte et l’image, ce qui peut donner des albums magistraux quand on voit les auteurs jouer avec l’alternance texte-dessin. Bref, j’aime ce medium et c’est pour cela que j’ai envie de tout essayer dans cet art !
Vous adaptez votre dessin par rapport aux histoires que vous racontez ?
J’ai été dessinateur d’abord. Je suis devenu scénariste un peu par défaut : je me considère toujours au service d’un scénariste et d’une histoire. Si l’histoire demande tel type de dessin, je ferai tel type de dessin. Quand je fais un album tout seul, je commence par le scénario. Et ensuite, en bon schizophrène, je parle au dessinateur qui est en moi et je lui dis : « Tu le feras comme ça et pas autrement ! » Maintenant, j’ai un style caricatural qui est assez semi-réaliste et un style semi-réaliste qui est assez caricatural. Schizophrène d’accord mais je n’en suis pas encore au stade clinique du problème… [Sourire]
Extrait du premier tome de Mélusine
J’approche tout doucement des trente albums pour Mélusine et il y a six ou sept albums, je me suis dit qu’il fallait changer. Je ne me voyais pas raconter sans arrêt les mêmes gags. Je voulais me maintenir en éveil : si j’ai l’impression de raconter trois fois le même album, je passe à autre chose.
Les Danois contre la psychose
D’où l’envie des Danois, beaucoup plus proche de l’actualité ?
Cette histoire est née de l’actualité fin 2015, après les attentats de Paris, en pleine psychose générale. Ma compagne qui donne des cours de Français Langue Etrangère à des primo-arrivants, me parlait souvent de ses journées le soir. Elle me racontait ces adolescents qui arrivaient de Syrie, n’avaient plus rien et à qui elle devait apprendre le Français en deux mois.
Cet environnement a investi ma façon de penser... Puis j’ai eu deux conversations qui ont donné naissance aux Danois. La première avec Zidrou, où l’on a parlé de son album Les Promeneurs sous la Lune où le somnambulisme est contagieux, ce que je trouvais très amusant. La deuxième avec Stéphan Colman, où on a parlé des yeux bleus qui sont une mutation génétique, un accident dans l’évolution. A partir de là, je me suis demandé : pourquoi les blonds ne seraient pas contagieux ? Qu’est-ce que ça donnerait dans le contexte actuel ?
J’ai pensé à tous ces discours de l’extrême-droite type « Le teint mat et les cheveux crépus vont faire disparaître notre espèce, nos phénotypes. » et me suis demandé ce que l’inverse donnerait, si subitement les communautés immigrées se sentaient menacées par nos phénotypes. J’ai fait cet album comme une thérapie contre une psychose mais j’ai réalisé qu’en le créant j’apportais un jugement personnel sur une situation en montrant à quel point elle pouvait être ridicule en l’inversant.
Dans Les Danois, on se retrouve avec des immigrés qui veulent dans leur pays d’origine, qui les refuse car ils sont porteurs d’un virus. Les ambassades ne veulent pas délivrer 3 000 visas en une journée, etc. On se retrouve avec une situation absurde qui, par son absurdité, met le doigt sur un problème actuel.
Pourquoi partir d’un virus ?
Le virus fait tout l’intérêt de l’histoire : la peur de la contagion fait paniquer tout le monde alors que le récit amène à relativiser.
Le scénario, très choral, compose avec énormément de personnes. Plus il y a de personnages, plus un scénariste doit apprendre à se laisser guider par eux ! Il y a plein de scènes qui n’étaient pas prévues mais que j’ai ajoutées car tel personnage avait tel caractère qui amenait naturellement cette situation.
Dès le début de l’écriture, j’avais cette fin en tête mais je me donnais l’opportunité de glisser vers autre chose. Je n’avais pas révélé le dénouement au Lombard et toute l’équipe a été surprise par son optimisme ! Si ce livre parle d’un problème, je ne prétends pas apporter une solution mais je prétends qu’au sein de l’histoire, il doit y avoir une conclusion. Et la conclusion du problème est qu’il doit être dépassé, c’est à dire : le problème est passé, on a eu un petit chaos sur la route mais ça n’empêche pas la voiture de rouler. Actuellement, on crée des conflits et des tensions sur une situation qui n’est, à l’échelle sociologique, pas si grave…
Avez-vous eu des craintes par rapport à l’accueil de l’histoire ?
C’est le boulot de l’éditeur d’avoir des craintes ! Il a dit oui tout de suite car il a conclu que ce genre de scénario était une grenade... [Sourire] Personnellement, je ne me pose jamais la question de l’accueil du public, je fais l’histoire pour moi. Je cherche un système imaginatif et créatif pour résoudre un problème qui m’entoure et me bouffe mon oxygène. Je cherche à me mettre en paix avec une situation qui m’oppresse...
Quels sont vos projets en cours, maintenant que Les Danois est sorti ?
Je suis sur un double album de Mélusine. Depuis que je suis seul aux commandes de la série, j’ai installé des petits ingrédients qui amènent à une conclusion que j’avais depuis le début en tête.
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