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La BD comme support émergeant du journalisme indépendant?

Hélène Constanty, journaliste indépendante et spécialiste de l’investigation écrit dans L’Express, Mediapart et réalise des documentaires pour la télévision. Nouvelle corde à son arc: elle s’est lancée dans la bande dessinée d’investigation avec Monaco: Luxe, crime et corruption. Elle a déjà écrit des récits journalistiques pour La Revue Dessinée mais c'est son premier album. Si elle est à la plume, Thierry Chavant est au crayon pour cet album. Le dessinateur a déjà notamment travaillé sur Sarkozy-KadhafiZoo est allé à la rencontre de ces deux investigateurs.

Comment est né votre intérêt pour la Bande dessinée d’investigation?


Hélène Constanty: J'ai découvert ça il y a quelques années, quand j'ai commencé à travailler pour La Revue Dessinée. J'aime beaucoup la bande dessinée et j'ai vu qu'il commençait à avoir cette nouvelle veine de BD d'enquête, mais je restais très loin de cet univers là. Un jour, j'étais au festival du livre de Nice, car je présentais un livre d'enquête que j'avais écrit, et je me retrouve aux côtés d'un scénariste de bande dessinée belge très connu. On bavarde et je lui dis que son travail me fait rêver et il me répond que moi aussi, je devrais m'y mettre, que les éditeurs sont en ce moment très friand de bd d'enquêtes. Et c'est comme ça que tout à commencé, auprès de La Revue Dessinée.

Thierry Chavant: Je repense toujours à la première fois où on m’a proposé de travailler avec un journaliste, Frank Bourgeron à La Revue Dessinée. J’avais eu la réaction de la plupart des gens, je me disais que la BD adaptée au journalisme doit être hyper exacte, il faut être hyper sérieux… Mais la BD est un média. La plupart des journalistes m’ont montré que la BD est parfois plus honnête qu’un documentaire filmé, car on comprend tout de suite que c’est du dessin et que l’on va nous raconter une histoire authentique. Ca m’a convaincu.

Que pensez-vous du support bande dessinée pour publier des enquêtes et investigations journalistiques? 

HC: J'ai tout de suite adoré ce support. Ça donne surtout beaucoup de liberté dans la façon d'écrire les histoires. J'ai toujours un plaisir incroyable à écrire mon texte, à découvrir le brouillon puis les planches du dessinateur. C'est extraordinaire de se dire que c'est mon histoire, et qu'elle rend comme je la visualise. Ça permet aussi de toucher un public beaucoup plus large que celui qu'on touche avec nos articles. 

TC: Avec la bande dessinée, on a un pouvoir de synthèse tout à fait remarquable. En quelques cases, en quelques dessins, on arrive à évoquer énormément de choses. Je me répète, mais la BD est parfois plus honnête qu’un reportage télé.

Qu'est-ce qui est différent des autres médias? 

HC: C'est beaucoup plus vivant. On a l'impression de voir les personnages vivre sous ses yeux. J'ai fait de la presse écrite, mais aussi beaucoup de télévision, où là, on est très contraint par le tournage, les gens qui acceptent de parler ou non, les autorisations… Avec la bande dessinée, tout devient possible. C'est fabuleux. 

TC: Aujourd’hui il n’y a plus aucune chaîne télé indépendante, les journaux c’est plutôt pareil… Les milliardaires, parfois monégasques d’ailleurs, ont racheté ces médias. Du coup, les journalistes qui souhaitent parler de ces problèmes ne sont pas aidés. Je suis très content que le monde de la BD journalistique se développe, car ça leur donne un nouveau moyen de s’exprimer librement. En espérant que ces riches ne commencent pas à acheter les maisons d'édition. J’aime bien me spécialiser là-dedans en tous cas.

Est-ce que ça demande une méthode de travail différente pour produire une BD d'investigation? 

HC: L'enquête reste de la même nature. Le fond de mon travail reste le même: aller chercher de l'information, rencontrer des gens, me documenter… Le petit truc en plus c'est que je prends des photos ou des vidéos pour les envoyer au dessinateur pour qu'il s'en inspire. 

Pourquoi avoir choisi d'enquêter sur des faits qui se sont déroulés à Monaco? 

HC: Je vis du côté de Nice depuis quelques années. Je ne connaissais pas du tout Monaco et je n'y avais jamais mis les pieds avant de vivre là-bas. Un jour par curiosité, je décide de m'y rendre. J'en avais l'image de ce que je vois dans Voici, Gala ou Paris Match, mais j'ai été très étonné de ce que j'ai vu. Avec ces grands immeubles de 40 étages, Monaco rendait comme un bandeau de béton au bord de mer. Avec le luxe qui est présent partout en principauté, quand on se balade, on se pince pour y croire. Alors vu que je m'intéresse beaucoup au monde des riches et des puissants, qui sont des pistes d'investigation assez peu explorées notamment en bd, j'ai trouvé que s'introduire derrière le paravent des ultra-riches monégasque, ce serait fascinant. 

TC: Essayer un jour d’aller à Monaco ça va vous plomber le moral. C’est tout «clean» et entièrement bétonné. J’y étais allé avec Hélène pour me documenter, j’aime bien savoir comment est l’endroit que je vais représenter, même comment se comportent les gens et leurs tics.


On retrouve fortement le genre polar dans le dessin de Thierry Chavant, c'est voulu?

HC: C'est surtout issu de son travail d'artiste. C'est l'impression qu'on a eu de Monaco quand nous y sommes allés ensemble. Puis l'ambiance polar est surtout issue de notre récit de Monaco: Luxe, crime et corruption. On y raconte l'assassinat en 2014 d'Hélène Pastor, qui était l'une des femmes les plus riches de Monaco. J'ai suivi toutes les étapes de l'enquête et c'est une histoire complètement folle. Donc j'avais envie de raconter ça comme un polar. 

TC: Ici on est dans la bd de réalité, on fait allusion à des personnalités importantes de la principauté. Vu que j’essaye de représenter ce que me raconte les journalistes, et du coup Hélène, on se retrouve souvent à utiliser un genre polar. Il y a tous les codes du genre: des mafieux, beaucoup d’argent, du crime… D'ailleurs, dans le travail que me fournit Hélène, c’était marrant, car je me disais: « Ce que vous me racontez c’est du polar, c’est dingue! »

Quels conseils donneriez-vous à des journalistes qui se lancent dans la BD d'investigation? 

HC: Je le fais tout le temps. Je suis tellement enthousiaste de faire ce genre de BD que j'en parle beaucoup à mes amis journalistes. Après, il faut avoir le goût de raconter des histoires, du récit, savoir mettre du suspens et de la mise en scène. Tous les journalistes n'ont pas cette appétence. Il ne suffit pas d'écrire les faits, il faut les raconter. Même si ce sont des histoires vraies, il faut que ça puisse se lire comme une fiction. 

TC: Les journalistes s'intéressent de plus en plus d’eux même. Ils savent qu’un album sera un bon concentré de leur enquête. Ils arriveront par le dessin à mettre en avant des choses qu’ils n’auraient pas pu faire avec d’autres médias. La BD est très puissante, car elle est très concise, et en plus, on peut s’exprimer librement.

Avez-vous d'autres projets de bande dessinée de ce genre ? 

HC: J'ai mené 2 projets en parallèle. Le hasard des parutions fait que j'ai un autre album qui sort mi-avril, chez Dargaud cette fois. C'est une histoire sur le nationalisme corse. C'est un projet encore plus ambitieux puisque l'album fait 200 pages. Ça raconte les 40 dernières années de la Corse et du mouvement nationaliste du front de libération national corse. C'est un sujet que je connais bien, car j'ai déjà écrit plusieurs livres sur la Corse, des articles pour Mediapart et un reportage télé pour Envoyé spécial. Mais j'ai encore d'autres projets concernant le neuvième art en cours! 

TC: J’ai aussi d’autres projets de BD avec des journalistes, mais je ne peux pas encore trop en parler. Ce sont des journalistes qui travaillent énormément sur des sujets sociaux et les injustices. C’est important d’utiliser le média BD pour révéler ces problèmes.

 
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