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Nadia Nakhlé, metteur en scène et autrice BD de talent

Deuxième album pour Nadia Nakhlé, après Les oiseaux ne se retournent pas en 2020, Zaza Bizar, toujours chez Delcourt. Un titre jeunesse nommé au prix de la meilleure BD jeunesse ACBD, qui permet à l’autrice de commencer à tracer un chemin tout à fait spécifique. Rencontre avec une artiste de BD et bien plus encore.

Les oiseaux ne se retournent pas est sorti en plein confinement. Comment toi, est-ce que tu as vécu ces événements particuliers, à postériori ?

Nadia  Nakhlé : Je suis quand même contente pour le livre, qui a eu une visibilité malgré tout.

Ce n’était pas évident de sortir dans cette période. Il devait sortir le 18 mars pile quand ça a fermé. Il était dans les cartons et n’a jamais atteint les librairies. C’était un peu dur à vivre, forcément. Mais après, c'est vrai qu'il y avait aussi un contexte sanitaire tellement particulier qu’au-delà du livre, je pensais à autre chose.

Delcourt avait relancé le titre au mois de juin, non ?

N.N : En fait, la vraie sortie ça a été au mois de juin puisqu’il n'était finalement pas sorti en librairies. Même si on pouvait l’acheter en ligne.

Est-ce que ce que le livre a réussi à s'en sortir un peu dans ce contexte-là ?

N.N : Oui, il y a plutôt des retours de ventes très positifs. Il a eu de nombreux prix aussi, 7 ou 8, ça a bien aidé à le faire connaître. En tout cas il y a eu plusieurs réimpressions d'après mon éditeur, c’est toujours bon signe.

Il y avait un spectacle qui avait été écrit autour de cet album. Au vu de ces circonstances, comment a-t-il pu tourner ?

N.N : On a joué juste avant le confinement en janvier. La première, c’était à Nantes et ensuite, on a joué dans le cadre d'un festival qui s'appelle Voie d'exil, entre les deux confinements. Mais sinon, évidemment, tous les festivals prévus ont été reportés sur 2021, 2022 ou 2023.

Zaza Bizar, résidence de création LE CUBE, 2014

Zaza Bizar, résidence de création LE CUBE, 2014 © Nadia Nakhlé, 2022

Quel était le lien album-spectacle ?

N.N : Je viens plutôt du cinéma d'animation et du spectacle vivant. J'avais déjà mis en scène des projets. Donc ici, je suis vraiment metteur en scène. Il y a quatre interprètes sur scène, deux comédiennes qui interprètent le texte et en musicien, un joueur d’oud et un pianiste. Moi, je dirige les acteurs et je m'occupe aussi de l'espace scénique par la mise en scène et des projections animées.

Zaza Bizar, votre nouvel album, sort finalement peu de temps après la sortie des Oiseaux. On dit souvent dans le milieu que sortir un deuxième album est presque plus compliqué que de sortir le premier. Comment ça s'est passé pour vous ?

N.N : Zaza Bizar, c'est une histoire que j'avais inventée avant Les oiseaux ne se retournent pas.

Donc, j'avais déjà vraiment l'histoire en tête, sachant qu'elle existait aussi déjà sous la forme d'un spectacle qui avait beaucoup tourné. On avait fait environ 150 dates. J'avais l'histoire et les dessins, puisque le spectacle mélangeait aussi deux comédiens sur scène, une musicienne et des projections animées. Il y avait un aspect interactif entre les dessins et le jeu des comédiens. Zaza Bizar, c'est un projet que je maîtrisais dans une enceinte scénique et que j'ai pu ainsi sortir sous la forme d'un roman graphique très rapidement.

Dès la création du spectacle, j'avais en tête cette forme d'un roman graphique et plus particulièrement, d’un journal intime dessiné. C'est vrai que ce n'est pas vraiment une bande dessinée classique.

Zaza Bizar

Zaza Bizar © Delcourt, éditions 2022

Est-ce que vous le définissez plus comme un livre illustré ou une bande dessinée ?

N.N : Je le définis plus comme une bande dessinée. Comme un entre deux, en tout cas. je vois pas toujours la différence entre bandes dessinées et romans graphiques. Mais en tout cas, oui, je ne saurais pas trop comment le classer.

Comment cette proposition a-t-elle été perçue chez Delcourt ?

N.N : J'ai eu un très bon accueil chez Delcourt. J'étais vraiment enchantée. Je pense qu’ils avaient envie de me suivre sur mon second album et c'est vrai que sur Les oiseaux ne se retourne pas j'ai été assez choyée et j'avais envie de travailler avec la même éditrice, Leslie Perreault. Elle a tout de suite adoré le projet, même si c'est vrai que c'est un format particulier. Elle m’a laissée vraiment libre de ce côté-là, même si je pense que la spécialité de Delcourt, ce n’est pas forcément la jeunesse. Après, justement là, en librairie, je vois qu'il est parfois mis dans le rayon adulte, parfois jeunesse. Je pense qu’il est assez inclassable.

Est-ce que tu as réutilisé des illustrations produites pour le spectacle dans le livre ?

N.N : Pas réellement. Parce que pour le spectacle on avait vraiment des décors animés projetés autour des deux comédiens. Donc, en fait, je ne pouvais pas réutiliser exactement les mêmes dessins. En revanche, je pense qu’en terme graphique, il y a une cohérence. Mais j'ai dû quand même redessiner toutes les planches.

Qu'est ce qui fait votre intérêt pour le sujet des troubles DYS ?

N.N : C'est vraiment l'histoire de ma sœur qui avait des troubles du langage quand elle était enfant. J'ai plutôt vu ça en tant que grande sœur. C’est ce qui m'a donné envie de parler de cette histoire.

Zaza Bizar

Zaza Bizar © Delcourt, éditions 2022

C’est une manière de transformer une expérience qui peut être traumatisante pour nombre d’enfants DYS, en quelque chose de plus positif, porteur d'espoir. C'est vraiment ce qui a été mon déclic pour travailler sur ce projet, sachant qu'après les représentations théâtrales, j'ai pu rencontrer de nombreux enfants atteints de dysphasie ou dyslexie qui étaient venus voir le spectacle. Et ça m'a aussi nourri dans l'écriture même du récit, puisqu'il y a des jeux de mots que ces enfants faisaient naturellement qui m'ont inspirée aussi pour les jeux de mots présents dans le roman graphique.

Dans cet album, tu as vraiment déployé des formes narratives très surprenantes. La plus visible, elle apparaît dès la couverture, c’est cette façon d'éparpiller les lettres. Quelles ont été les premières clés graphiques que tu as vu que tu conçues ?

N.N : C'est vrai que le jeu des lettres, typiquement, je voulais que ce soit présent dans l'album puisque dans les troubles du langage il y a vraiment une confusion entre les différentes lettres ou syllabes. C’était intéressant d'entrer dans la tête de la petite fille, de se mettre vraiment à sa place et finalement, de voir à travers ses yeux. Notamment, les lettres et les inversions de chiffres. Pour moi, c'était vraiment la principale clé graphique de cet album.

Zaza Bizar

Zaza Bizar © Delcourt, éditions 2022

Ce mélange de techniques que tu déploie dans les planches, avec des pages de cahier, avec du dessin, est-ce qu’il est déjà très clair quand tu écris l’histoire ?

N.N : Ça dépend. Il y avait certaines idées qui étaient très claires dans l'intention. Je voulais que ça ressemble à un cahier d'écolier. Mais c'est vrai qu'au début, j'avais peut-être en tête de faire l'ensemble des pages lignées. Et puis, ça a évolué avec le monde imaginaire de l'enfant. Là, ce n’était pas forcément cohérent que ce soit sur des pages lignées. C'est vrai que ça s’est construit au fur et à mesure du graphisme et en même temps avec une idée précise en amont, celle de vouloir retranscrire les paroles de l'enfant à la manière d'un journal intime.

L'intrigue du livre diffère-t-elle beaucoup de celle du spectacle ?

N.N : Pas tant que ça. Notamment parce qu'il y vraiment des évolutions du langage de l'enfant au fur et à mesure des âges. Elle parle de mieux en mieux en faisant de moins en moins de faute. Et elle retrouve le langage, notamment en rencontrant son orthophoniste mais aussi en faisant la rencontre de Léo. Et pour le coup, dans le spectacle, je pense qu'il y avait vraiment un jeu sur le langage oral ou chanté et l'apprentissage du langage. En passant par la musique que je ne pouvais pas, par exemple, retranscrire dans le roman graphique. Toute cette partie-là est complètement différente. On voit un court passage où l'orthophoniste joue du piano et dans le spectacle, c'était vraiment une scène clé où l’on jouait du piano et où la musique et le langage de Zaza commençaient à se transformer.

Zaza Bizar, résidence de création LE CUBE, 2014

Zaza Bizar, résidence de création LE CUBE, 2014 © Nadia Nakhlé, 2022

Ce sont deux approches différentes pour deux médias différents. Dans le spectacle l’enfant tient un journal intime mais ce n'est pas la clé du spectacle finalement. On ne la suit pas au jour le jour. J'avais justement envie que le journal qu'on voit sur scène et qui n’est qu’un accessoire, prenne tout son sens dans le roman graphique.

Sur quoi est-ce que vous travaillez aujourd’hui ?

N.N : Sur un troisième album. Je travaille sur un roman graphique qui est un récit croisé entre un frère et une sœur, et comme je suis en pleine écriture, j'avoue que je ne peux pas en dévoiler plus. Le titre pressenti c’est « Les notes rouges ». La place de la musique y sera toujours très forte, comme dans les deux autres albums.  

Un point commun entre les trois donc. Mais on a quand même deux premiers albums très différents dans la forme. Est-ce que ce troisième explorera encore une autre voie ?

N.N : C'est souvent l’histoire, qui va définir la forme. Dans ce troisième projet, il y a aussi une forme épistolaire, en tout cas pour l'instant, bien présente et qui va m'amener d’autres enjeux en termes graphiques. Ce sera encore différent. Zaza Bizar était un livre pour enfant, Les oiseaux ne se retournent pas, plutôt ado/adultes, et celui-ci sera dans la même veine. Plutôt pour adulte.

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