Après l’adaptation de l’Oracle della Luna et loin du diptyque Dickens et Dickens, Rodolphe et Griffo s’unissent une nouvelle fois pour tisser une épopée faite de voyage à travers le temps, de conquêtes meurtrières et d’héritage spirituel. En son cœur trône Iruene, dieu revêche…
Qu'est-ce qui vous a mené vers une histoire qui débute au XVe siècle en pleine conquête espagnole ?
RODOLPHE : À l’origine, lassé de sa vie hollandaise, Werner Griffo décide de changer d’environnement pour vivre dans un décor plus aventureux. C’est ainsi qu’en 1987, après moult péripéties, il débarque sur l’île de Palma aux Canaries pour ne plus en bouger. Très vite sensible à la culture locale, il s’interroge sur l’histoire de l’île et notamment sur l’arrivée des conquistadors et le génocide des civilisations établies en ces lieux. Ensuite, pour résumer, il a eu envie d’écrire une histoire pour rendre hommage à sa terre d’accueil.
Iruène © Daniel Maghen, 2022
Comme pour l’Oracle della Luna, après avoir conçu un premier jet de son récit, avoir posé la plupart des éléments et même avoir dessiné quelques planches, il m’a simplement demandé de l’aider à mettre en place la structure scénaristique nécessaire à la création de l’album. Moi j’apprécie et l’artiste et l’homme. De plus, la thématique plutôt éloignée du mi-francilien mi-breton que je suis, m’a paru suffisamment intéressante pour m’y lancer.
Qui ou plutôt qu'est-ce que Iruène ?
RODOLPHE : Iruene est une divinité animiste, c’est-à-dire qu’elle représente sur un
même plan le bien et le mal, à contrario du christianisme apporté par les conquistadors qui opposent un dieu de lumière à un démon des ténèbres. Le peuple des Guanches de Palma ne connaît pas les notions de pêchés ou de rédemption. Ils vénèrent un dieu de la nature symbolisé par les volcans de l’île. Sous couvert de religion les Espagnols veulent s’approprier un territoire en y effaçant ses habitants. C’est un épisode guerrier que l’on retrouve dans la plupart des civilisations où le dieu des vainqueurs écrase et fait disparaître le dieu des vaincus.
Iruène © Daniel Maghen, 2022
Au-delà de son support historique, votre fiction aborde deux autres thèmes importants : la réincarnation et le voyage à travers le temps...
RODOLPHE : Effectivement, le héros de l’histoire est une sorte de réincarnation, un genre de fil conducteur entre les hommes d’aujourd’hui et les membres d’un peuple disparu un demi-millénaire plus tôt. C’est d’ailleurs une divinité ancienne, Iruene qui vient lui chatouiller les doigts de pieds pour l’éveiller. Ce dieu disparu le guide dans ses rêves, et l’homme incroyant finira par se rendre compte qu’en vérité, il est le seul à pouvoir le maîtriser ainsi que ses propres démons. Iruene est ancré depuis toujours dans son inconscient. C’est son héritage.
Iruène © Daniel Maghen, 2022
"Entre Werner et moi, c'est toujours un ping-pong de documentations. Chacun fait ses recherches qu'il partage avec l'autre."
Peut-on y déceler une dimension spirituelle ?
RODOLPHE : En vérité je ne me suis pas posé la question de savoir si Alexis croit ou non en la réincarnation, vie antérieure, etc. Il est animé par quelque chose qui vient le tarabuster et il est emporté dans cette aventure comme une bouée dans la mer, à son corps défendant. Il n’en tire pas une philosophie ni un nouveau regard sur le monde, tout ce qu’il souhaite concrètement, c’est dormir et arrêter de faire des rêves traumatisants.
On ne cherchait pas à explorer une réalité absolue. On est plus dans une fable.
L’aspect initial de l’ouvrage est d’ailleurs sans équivoque : d’un côté on y développe le jeu de la double identité chère à Edgar Allan Poe et qui est un classique du fantastique, et de l’autre le fantasme du voyage dans le temps à la manière de notre ami H. G. Wells, une
incursion dans le passé qui d’un petit coup de pouce change ce qui doit l’être.
Comment conçoit-on à deux un récit historique qui se déroule dans un environnement temporel et géographique éloigné ?
RODOLPHE : Entre Werner et moi c’est toujours un ping-pong de documentations. Chacun fait ses recherches qu’il partage avec l’autre. L’idée c’est de poser ensemble un décor crédible puis d’y inclure des thèmes universels et hors du temps : une population décimée par une autre, l’appropriation d’un territoire, l’imposition d’une culture, d’une religion, etc.
En réalité la bande dessinée, comme beaucoup d’autres arts, est un art de l’illusion. Elle se construit généralement suivant un premier plan extrêmement réaliste où nos acteurs,
nos personnages, interprètent les rôles assignés. Au second plan, on élabore un environnement brossé pour alimenter le réalisme de l’histoire. Enfin, on peaufine en ajoutant en arrière-plan des accessoires visuels qui n’ont pas besoin d’être précis ou vraiment réalistes, ils ne sont que des suggestions. Comme au théâtre, c’est sur le premier plan que le spectateur ou le lecteur fixe son attention, et je l’espère avec Iruene, pour son plus grand plaisir.
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