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Dimitri Armand et Tristan Roulot, auteurs du Convoyeur

Le Convoyeur, série de western post-apocalyptique, prend place dans un univers où le métal et ses dérivés s'effritent inexorablement. Les bâtiments et véhicules ne sont pas les seuls rongés : les humains deviennent des sortes de monstres. C'est là qu'entre en scène le héros de Tristan Roulot et Dimitri Armand : le convoyeur... Rencontre. 



Est-ce que le succès du Convoyeur est une preuve que la série d'aventure franco-belge a encore un avenir ?

Dimitri Armand :  Oui, je pense qu'il y a un avenir pour cette Bande Dessinée. C'est bien qu'il y ait une ouverture pour d'autres styles. On a la chance d'avoir un médium qui est très riche, on peut faire plein de choses.

Il ne faut pas pour autant qu’une nouvelle arrivée signe l’arrêt de mort de ce qui se fait ailleurs. Et je pense que Le Convoyeur comme plein d'autres séries franco-belges, grand public, de genre, fonctionnent très bien en réalité. C'est juste que ça a un petit peu moins de visibilité dans une certaine presse, peut-être plus élitiste, qui donne l'impression que c'est relégué au second plan. 

Le Convoyeur

Le Convoyeur
© Le Lombard, 2022

Tristan Roulot : Je dirais même qu'on a plus que notre place puisqu'on est le cœur de l'industrie de la bande dessinée. Donc ça serait bien qu'on nous donne un peu de prix… C'est grâce à nous, à cette BD-là, qu'il y a tout ça à Angoulême. J’aimerai bien qu’on nous dise un peu merci. 

Alors pour ce qui est du Convoyeur. Comment est-ce que se construit cet univers très particulier entre vous ? 

T.R. : D’abord, sur cette histoire de bactéries qui a dévoré le fer. Et puis après, le personnage est arrivé. J’avais parlé avec Dimitri de faire une bd d'aventure ensemble, avec un personnage qui se balade dans un univers dangereux.

Dimitri est arrivé avec des premières ébauches, moi je me suis amusé avec ça, puis à nouveau je lui ai envoyé des idées qu’il a exploité. C’était une vraie discussion. Quand des personnages arrivent, cela me donne envie de les exploiter… 

De qui vient cette idée de développer une France postapocalyptique ? Le concept n’est pas si fréquent…

T.R. : Oui, et c'est étrange d'ailleurs, parce qu'il y a eu des tentatives, notamment Malville, de Robert Merles. C’est excellent d'ailleurs, je conseille à tous les lecteurs. On se fait bouffer un peu par la culture hollywoodienne, mais il ne faut pas lâcher.

Le Convoyeur

Le Convoyeur
© Le Lombard, 2022

Dimitri, qu'est-ce que vous avez pu faire naître en tant que dessinateur, pour faire évoluer l’univers du convoyeur ?

D.A. : Un peu comme disait Tristan, dans ce ping-pong, ce que j’apporte ça va être, je pense, une orientation dans certaines de ses idées. Il va me suggérer quelque chose. Je vais dessiner et lui ensuite va rebondir et ajuster ou partir autre part. C'est intéressant parce que ce n'est pas juste un échange d'idées. C'est vraiment le cœur de ce que je fais au dessin qui va influencer le récit. Et ce que j'apporte, c'est peut-être le fait que Tristan n'hésite pas à aller loin dans ses idées, dans le gore, dans la violence. Et comme j'ai un dessin qui est plutôt de l'ordre du « assez propre », finalement, ça vient apporter une certaine…

T.R. : Une certaine élégance dans l'horreur et dans le gore. Ce qui rend la chose digeste et agréable. Ça permet d’emmener le lecteur, de les confronter à des idées et des situations assez malsaines. Mais portés par le dessin de Dimitri, par ces images très fortes, finalement, c'est agréable. La lecture est belle.

Le Convoyeur

Le Convoyeur
© Le Lombard, 2022

D.A. : Je pense que les mêmes idées, dessinées comme dans les comics des années 70, ça ferait un truc totalement déprimant.

T.R. : Ce serait désagréable. Là, j'ai l'impression que Le convoyeur, ça reste un moment agréable et surprenant, parfois un peu choquant, mais qui reste dans le divertissement.

De nombreux commentateurs voient dans votre travail commun des références cinématographiques. Est-ce que cela fait partie de vos intentions ?

D.A. : En fait, je pense que ça se fait naturellement. Au départ, on a plus une envie d'univers, de certains thèmes, d’une certaine violence... Tout cela va être nourri par mes influences, mais elles ne sont pas volontaires. Ce n'est pas un hommage à Mad Max ou quoi que ce soit d’autre, cette série.

T.R. : Tu mets le doigt dessus. Ce n’est pas un hommage. Ce n'est pas une caricature. On a été biberonné aux influences qu'on connaît tous, Mad Max, Ken le survivant, peut-être de la littérature un peu plus ancienne aussi, à l’époque des menaces nucléaires. Je pense à Un garçon et son chien. J’ai été aussi choqué par un film qui s’appelle Freaks Show, Elephant Man, ce genre de choses…

Et tout ça, c'est une sorte d'atmosphère qui se précipite et qui donne Le Convoyeur à l’arrivée, sans qu'on ait cherché à rendre un hommage particulier à telle ou telle chose.

D.A. : Les références, même si on ne voulait pas, il y en aurait. Et c'est essentiel aussi pour que les gens trouvent des marqueurs communs. Parfois, ça peut être agaçant parce que les gens vont cataloguer très rapidement. Mais l'avantage c'est qu’au moins on n'est pas un ovni que personne ne peut identifier et n’aura envie de lire parce que c'est trop bizarre ou que ça ne remplit aucune case. On a besoin de pouvoir remplir certaines cases pour adhérer à quelque chose. 

T.R. : En fait, le truc, c'est que même moi je ne suis pas capable de lister toutes les influences du Convoyeur. De temps en temps, je vais rencontrer un lecteur qui va me dire « Ah, ça me fait penser à tel truc ». Et en fait oui. Mais ça vient de tellement loin, ça a juste fait son chemin dans ma tête pour arriver à telle ou telle nouvelle idée.

D.A. : Mon dessin, c’est pareil. Je ne crois pas appartenir à une école précise. Et les gens, que ce soit dans l'univers du Convoyeur ou dans mon dessin, vont dire « ça me rappelle ceci, ça me rappelle cela ». Et en fait, on se rend compte que ça dépend largement de la psychologie de la personne qui parle.

Ce n'est pas un western qui ressemble à du Giraud, par exemple. Ce n'est pas un problème, mais c'est clairement une famille particulière. Là, chacun va y trouver ce qu’il a envie d’y trouver. Et je trouve cela intéressant. Deux lecteurs qui viennent vont trouver des choses complètement différentes. Et je trouve ça assez fascinant.

Dimitri Armand, est-ce que vous abordez différemment un album du Convoyeur (56 planches), de ceux plus épais avec Pierre Dubois ? 

D.A. : Non parce que, en l'occurrence, Le Convoyeur et les Western avec Pierre sont les albums sur lesquels je me sens actuellement le mieux. Je suis dans ma bulle et c'est juste que cette bulle est plus longue suivant le nombre de pages. Mais je n'aborde pas forcément les choses différemment.

Vous ne ressentez pas non plus le besoin d'adapter votre dessin pour aborder des univers aussi différents ?

D.A. : Non. Et même, dans mon auto-flagellation, c’est mon problème.Je sais que certains personnages principaux pourraient, au cinéma, être joués par les mêmes acteurs. Je pense qu’il y en a qui vont trouver du Bill Balantine dans le convoyeur. Il y a des personnages comme ça qui reviennent. J'arrive plus à sortir de mes rails pour les personnages secondaires. Mais en fait, les univers sont parfois tellement différents que naturellement, je ne vais pas changer de trait, mais que je vais l’aborder différemment. Tu veux dessiner des chevaux dans un univers western assez crédible, ou un post-apo assez vénère ou un Bob Morane réaliste et carré, tu vas naturellement faire des choses assez différemment. 

Comment travaillez-vous tous les deux pour cette série ?

T.R. : Déjà, on a une façon de travailler où on se laisse chacun beaucoup d'espace. Quand on se lance dans l’écriture, je pose quelques bases, puis je commence à sculpter un peu le scénario et quand il commence à avoir une belle forme, là je vais lui envoyer. Et là, on va rediscuter ensemble. Après, Dimitri part à son tour sur le story-board.

Une fois terminé, on va rediscuter. Ce sont de grandes plages de temps où on est chacun dans notre bulle jusqu’à ce qu’on l’ouvre et que l’on entre en contact. Je m'aperçois que c'est très difficile pour moi, par exemple, de prendre des shots de cinq pages d’un de mes scénarios. Parce que c'est comme si je devais abandonner ce sur quoi j'étais, me recalibrer sur la fréquence Convoyeur alors que c'est un langage particulier, différent de La forêt du temps

Le Convoyeur

Le Convoyeur
© Le Lombard, 2022

J’ai besoin de prendre le temps de m'installer et de retrouver mon rythme. Et ça n'a rien à voir avec la beauté des pages. C'est juste que j'entends quasiment les bruits de la forêt et ceux du convoyeur. On se laisse donc chacun des grands moments de temps de travail. Evidemment, on a dû se faire quelque Skype pour caler des trucs… Mais à chaque fois ce sont des temps assez longs. On en profite pour parler d’autre choses aussi.

Est-ce que ce post-covid, ce retour en dédicaces, en salons comme ici à Angoulême, change quelque chose pour vous deux ?

T.R. : Je réponds pour moi. Les dédicaces, c’était devenu un peu une corvée. En début de carrière on est un peu excité, au trentième album, on est un peu blasé. Là, je suis ravi de revoir des lecteurs. Ça fait deux ans que les albums sortent, qu'on n'a pas de retours hormis des critiques. Mais voir l'enthousiasme des lecteurs... Voir des gens qui verbalisent le fait d’aimer ton album, qui sont là, qui attendent… Là tu as envie de leur dire merci. Merci d'être là. Merci d'être là au bout du fil.

D.A. : D’autant plus que Le Convoyeur est vraiment sorti juste après le premier confinement. C'est un album COVID. Je n’aime déjà pas trop l'exercice de la dédicace. Avec le COVID, je n'en ai quasiment pas fait, juste Saint-Malo et Angoulême. Et effectivement, ça fait du bien. Mais quand tu fais une pause, ça permet aussi de se recentrer. Et là, je me dis que c’est cool d’être ensemble, d’échanger pendant une interview. C'est là que c'est intéressant. Me retrouver tout seul en interview, ce n'est pas moi qui ais le matériau de départ. C'est très dur de parler pour les deux. Je me demande toujours, quand je parle, si c’est ce que Tristan ressent ou pense vraiment. C’est pour ça que les séances de dédicaces, ensemble, sont intéressantes. 

T.R. : De toute façon, je vis au Canada, donc ce n’est pas tant le COVID qui nous a empêché de nous retrouver physiquement. Je pense qu'on a développé une belle complémentarité, en dédicaces ou quand on bosse ensemble. 

D.A. : Pour croiser avec une des questions précédentes, avant je ne faisais jamais un album complet en story-board. Ça me soulait d'être sur une seule phase trop longtemps. Au départ avec Tristan, j’avais peur qu'il prenne mal le fait que je travaille beaucoup dans ma bulle, et en fait on arrive à être bien là-dedans. Moi, j'aime bien justement jouer dans ma bulle. C’est intéressant parce que quand lui se met dans sa bulle pour regarder le storyboard, quand il me renvoie, je peux me remettre dans ma bulle de dessin à nouveau. Et finalement, c'est un rythme qui permet de respecter la liberté et le besoin d'indépendance de l'autre.

Le Convoyeur

Le Convoyeur
© Le Lombard, 2022

T.R : Avec toujours autant le plaisir de la surprise. Tu sais qu’à un moment tu vas recevoir le truc et te régaler. Quand je reçois aussi bien le story-board que les planches encrées, je sais que je vais passer un bon moment et en prendre plein la gueule !

D.A. : Sur Bob Morane, il y avait des échanges beaucoup plus fréquents avec les scénaristes. Depuis, je me suis rendu compte que ça m’oppressait parce que je ne me sentais jamais libre de créer mon truc. Recevoir un avis sur tout, tout le temps, il y a plein d’auteurs pour qui ça fonctionne. Dès qu’ils font un truc ils se l’envoient. Mais c'est beaucoup trop contraignant pour moi.

Vous viviez la même chose avec Pierre Dubois, ou bien c’était une relation plus proche de celle avec Tristan Roulot ?


D.A. : Pierre Dubois c'est presque l'extrême inverse. Quand on se voit on ne parle pas du bouquin, et on se voit très rarement. Je reçois le matériau de départ et après c'est comme si j'étais en roue libre jusqu'à la fin. Je trouve qu’avec Tristan on a le bon équilibre.

Question provocante : est-ce que Le convoyeur n’est pas, quand même, un univers et un personnage sévèrement burné ? Un bon truc de mec ?

D.A. : Je ne suis pas d'accord. Déjà parce que c’est dommage de genrer les choses. Le bouquin peut être lu par des meufs et à aucun moment on ne fait appel à une culture alpha. La preuve c'est que la chasseresse – cela sera encore plus flagrant dans le tome 3- est plus burnée que le convoyeur lui-même. C’est d’ailleurs pour ça que je n’aime pas ce terme, « burné ». 

T.R. : Je pense qu’en effet, il y a comme vous dites, une atmosphère années 80 à la Mad Max ou Ken le survivant. Mais on est quand même des enfants de cette époque et forcément, il y a des influences, des courants sociaux qui nous traversent aussi. Et voilà, on fait évoluer l'histoire, le personnage, pour qu’ils répondent aussi à ce que nous comprenons des attentes et des enjeux du moment. Donc ce n'est pas le même bouquin que ce qui aurait pu être écrit dans les années 80. C'est moderne, post-moderne. 

En revanche, ce que j'aime moi en tant qu'auteur, c'est quand même que le lecteur comprenne la base du récit, qu'il se sentent bien dedans avant que je ne l'amène là où nous, on a envie qu'il aille. Ce sont des choses qui sont assez peu comprises, notamment par les critiques (sans vouloir critiquer votre métier). Mais il y en a d'autres que j'ai vu qui ne comprennent pas qu'un tome 1 soit un tome d’introduction pour aller quelque part. Ce n'est pas un format figé ce n'est pas la fin de l'histoire, c'est la première partie. Donc on se laisse le temps, on respire et on se laisse guider.

D.A. : Ne serait-ce que sur les deux premiers tomes, il y a un côté justement méta par rapport à ça. Le convoyeur représente un peu le mec burné, viril. Mais l'idée, c'est sans spoiler, de déconstruire ce personnage-là qui se fait remplacer par la chasseresse. Et du coup, avec ce côté burné qui finalement ne l'est pas tant que ça puisque le personnage le plus puissant est une femme : c'est une évolution de la figure du héros.

Le Convoyeur

Le Convoyeur
© Le Lombard, 2022

T.R. : C'est ce qu'était le point de départ du scénario et de la collaboration. C'est qu'on ne voulait pas faire un énième Mad Max. Ca a été très bien fait avant. Mais maintenant, il faut réinventer le héros, pas forcément en le tirant avec des idées sombres. On n’est plus non plus chez Marvel ou Spawn dans les années 90. 

Donc c'est quoi le héros de 2022 ? Voilà nos propositions. C’est le convoyeur. Je pense qu'il y a des gens qui l’ont senti justement, qu'on n'était pas dans un truc classique. Et il y a d'autres lecteurs qui essayent de plaquer des choses qu'ils veulent comprendre et qu’ils veulent voir. Ces gens-là sont dans l'erreur, il faut qu’ils arrêtent. Et qu’ils aillent lire autre chose.

D.A. : Ce qui est chiant, quand tu veux caler des trucs un peu subtilement c'est que des gens peuvent complètement passer à côté et tu ne sais dans quelle mesure tu dois être plus direct et peut-être pas très subtil. C'est dur en fait.

T.R. : Moi, je veux des lecteurs intelligents, je veux qu’ils aiment cette subtilité. Moi, le lecteur, ou la personne d'ailleurs, polarisée, m'emmerde. Je n'aime pas les choses polarisées. J'aime être un mélange de gris. Le Convoyeur, ça navigue dans ces eaux-là, c'est ça qui est intéressant. Si tu aimes ça tu vas y trouver ton compte.

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