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Catel et Bocquet réhabilitent en BD les clandestines de l’Histoire

Catel Muller et José-Louis Bocquet, respectivement dessinatrice et scénariste, en couple à la ville comme en BD, travaillent en duo depuis 2003 sur des femmes qui ont compté, mais que l’Histoire a oubliées. Rencontre à l’occasion de l’expo Cinq femmes du 9e art à la médiathèque Alain-Gérard à Quimper.

Comment êtes-vous entrés dans la bande dessinée et comment vous êtes-vous connus ?

José-Louis Bocquet. Je suis tombé dans la BD très jeune, car mon père avait une jolie bibliothèque. J’ai écrit mon premier article sur la BD dans un fanzine à l’âge de 11 ans. Il y avait beaucoup de fanzines dans les années 1970, on était toute une génération de petits fanzineux et je travaille d’ailleurs encore avec certains aujourd’hui. J’ai créé ma première maison d’édition quand j’avais 17 ans, Bédérama, en publiant la BD Cauchemarrant de Franquin. C’est aussi l’âge où j’ai écrit mon premier scénario, formé par François Rivière : Le Privé d’Hollywood. À 18 ans, je suis devenu libraire BD à Paris, puis j’ai fait toute ma carrière dans le journalisme et l’édition. En 2003, j’ai rencontré Catel à Angoulême.

Catel Muller. J’étais au festival d’Angoulême pour la série Lucie que je dessinais avec Véronique Grisseaux. J’ai grandi en Alsace. Au départ, je n’étais pas du tout dans le milieu de la bande dessinée. Mes parents étaient professeurs de sciences, mais mon grand-père était libraire et je dessinais beaucoup dans sa librairie : je recopiais les œuvres de Goscinny (NDLR : sur qui elle fera plus tard un roman graphique, Le Roman des Goscinny, naissance d’un Gaulois), Astérix, Lucky Luke, Le Petit Nicolas…

Puis j’ai fait l’école des Arts décoratifs à Strasbourg, dans la section illustration de Claude Lapointe, où sont également passés Marjane Satrapi, Riad Sattouf, Mathieu Sapin… J’aiaussi  obtenu une maîtrise d’arts plastiques à la fac de Strasbourg. Puis je suis partie avec mon petit carton à dessin à Paris où j’ai tout de suite trouvé du travail dans la presse jeunesse (Fripounet, puis Bayard presse : Astrapi, Okapi, J’aime lire…) Mais je ne faisais pas de BD, j’écrivais des scénarios en ayant toujours du mal à finir mes histoires.

J’ai rencontré Véronique Grisseaux, la coloriste de Margerin, de Dupuy et Berbérian. On voulait toutes les deux créer une héroïne normale car depuis toutes petites, nous n’avions pas d’héroïnes du quotidien auxquelles nous identifier en BD. Notre BD, Lucie, a plu à Jean Dujardin et Alexandra Lamy qui nous ont demandé d’écrire des sketchs pour leur série Un gars, une fille. Véronique et moi avons ensuite continué de travailler pour des scénarios télé. Puis j’ai eu envie de m’orienter vers une BD avec une héroïne féminine de la grande Histoire. J’ai rencontré Christian De Metter et nous avons fait Le Sang des Valentines. La BD a reçu un prix à Angoulême, où j’ai rencontré José-Louis Bocquet en 2003. Depuis, on ne s’est plus quittés.

Catel/bocquet : Catel et Bocquet réhabilitent en BD les clandestines de l’Histoire

© Catel

Pourquoi avoir choisi de travailler ensemble sur une biographie de Kiki de Montparnasse ?

 José-Louis Bocquet. Quand je l’ai rencontrée, Catel était une des premières autrices, avec Véronique Grisseaux, qui parlait de personnages féminins et contemporains ; c’était tout à fait nouveau et révolutionnaire, on n’avait pas vu ça depuis Chantal Montellier, Florence Cestac et Claire Bretécher. À force de parler de BD, on a décidé d’en faire ensemble. J’avais arrêté la bande dessinée depuis une dizaine d’années, j’écrivais des polars pour la Série noire chez Gallimard, mais j’ai vu dans notre rencontre le moyen de me réinventer en allant sur un terrain qui n’était pas le mien.

Très vite, on s’est dit qu’on pourrait travailler ensemble sur un personnage féminin. Kiki de Montparnasse nous fascinait depuis longtemps. Mais on n’en connaissait que la photo de Man Ray, avec des ouïes de violoncelle sur le corps de sa maîtresse. J’ai tout de suite adoré le travail graphique de Catel, qui est classique-moderne : d’une culture classique et un trait libre, de notre époque.

Catel/bocquet : Catel et Bocquet réhabilitent en BD les clandestines de l’Histoire

© Catel

Catel. José-Louis ma apporté les mémoires de Kiki dans un café. On a travaillé de façon empirique. Et face au succès international de cette BD, primée à Angoulême, cela nous a poussés à continuer dans ce sens. On s’est lancés sur Olympe de Gouges : on a tous les deux été bercés par des mamans féministes qui lisaient Benoîte Groult, en particulier son livre Ainsi soit-elle : on s’est donc lancé sur Olympe de Gouges, certainement une des premières féministes de l’Histoire.

Je dis souvent qu’on fait des biographiques, c’est-à-dire des biographies en BD. Il n’existait pas de biographies sur des personnages de ce format-là. Mathieu Sapin a beaucoup travaillé ensuite dans ce sens-là. Comme j’ai lié une amitié avec Benoîte Groult, j’ai pu dessiner Olympe de Gouges au fur et à mesure de nos échanges. Et, plus tard, j’ai consacré une BD à Benoîte : Ainsi soit Benoîte Groult.

Vous avez ensuite travaillé en duo sur Joséphine Baker, la cinéaste Alice Guy et désormais sur l’aventurière et navigatrice Anita Conti…

Catel. Oui, c’est devenu une série, Les Clandestines de l’Histoire. Ce sont des femmes qui ont œuvré, mais ont été oubliées de l’Histoire. C’est une façon de leur redonner une place dans les livres d’Histoire. Ce sont des personnages fondamentaux pour nous et ils ont donné des modèles à nos trois filles.

José-Louis Bocquet. À l’époque, je vivais près de Ploermel en Bretagne, où ma mère réside toujours. Je suis donc revenu m’installer à Paris quand j’ai rencontré Catel. Nos trois filles ont en effet été notre premier moteur. On s’est dit que c’était intéressant de faire pour elles des modèles car il n’y en avait pas dans les livres d’histoire. Elles ont été notre premier public.

Catel/bocquet : Catel et Bocquet réhabilitent en BD les clandestines de l’Histoire

© Catel

Pourquoi avoir choisi de dessiner en noir et blanc ?

José-Louis Bocquet. Le roman graphique, d’un format plus petit que l’album classique de bande dessinée, mais à très forte pagination, a été une révolution énorme : broché et en noir et blanc, il coûtait moins cher à fabriquer et permettait de raconter une très longue histoire. C’est donc un choix matériel au départ, mais aussi une liberté qui fait écho au sujet qui traitait de Kiki de Montparnasse. Le noir et blanc nous donnait la liberté de narration que la BD classique ne permettait pas.

Comment avez-vous choisi les femmes suivantes ?

José-Louis Bocquet. De manière empirique, il n’y a pas de plan. Le succès a été tel que notre éditeur nous a demandé : « Bon alors, c’est qui la prochaine ? » (Sourire). On s’est alors dit qu’on avait mis le doigt sur quelque chose : parler des femmes en BD. Et on a voulu prendre des risques. Olympe de Gouges, c’était quelque part un hommage à nos mères et pour Joséphine Baker, c’est la rencontre avec ses enfants qui nous a donné envie de travailler sur elle.

« C’est une manière pour nous de créer des modèles pour nos trois filles. »

Vous vous intéressez désormais à l’aventurière et navigatrice Anita Conti…

José-Louis Bocquet. Oui. Elle était très attachée aux côtes bretonne et normande. Nos ateliers sont à Fécamp, juste à côté de la maison où elle a vécu : cela fait partie des nombreux hasards heureux qui surviennent lorsque nous travaillons sur un livre. Celui sur Anita Conti paraîtra en 2024. Chaque BD est un chantier créatif qui demande beaucoup de temps : la recherche documentaire, la construction du scénario, et ensuite le dessin, pour Catel, qui réalise plusieurs centaines de planches et fait aussi plein de choses à côté ! En fait, on a réinventé le principe de la série. Mais avec un personnage différent à chaque fois.

Qu’attendez-vous en général des rencontres publiques que vous animez ?

Catel et José-Louis Bocquet. On essaie de privilégier ce type de rencontres en médiathèque ou dans les lycées, plutôt que les seules séances de dédicaces. Elles nous permettent de prendre le temps de rencontrer les gens et de discuter avec eux.

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