ZOO

RIP, une fin mortelle

Le dénouement de la série à succès de Gaët’s et Julien Monier RIP est là ! C'est avec Eugène que se termine cette série en 6 tomes. Rencontre avec Gaët’s et Julien Monier.

Comment êtes-vous devenus auteurs de BD ?

Julien Monier : Je suis venu à la BD sur le tard. J’ai toujours aimé dessiner. Et, à 30 ans, je me suis dit que je n’avais rien à perdre en montrant mes dessins. J’ai commencé par faire de l’illustration jeunesse et, de fil en aiguille, on m’a proposé des projets BD. De projet en projet, j’en suis venu à rencontrer Gaëtan. Notre éditeur nous a mis en relation. RIP m’a plu. J’ai dit : « c’est bon, j’en suis ».

Gaët's : Et depuis il veut plus me lâcher !

Julien Monier et Gaët's en dédicace en 2019

Julien Monier et Gaët's en dédicace en 2019
© PAco et Sloane, 2022

J.M : J’ai fait des albums assez différents les uns des autres : Fatalitas, Gant blanc et Gant noir, La faucheuse des moissons… A toi Gaëtan !

G : Je suis autodidacte comme Julien. Mais l’avantage que j’avais sur lui c’est que mon père est le fondateur des éditions Petit à Petit. J’ai grandi au milieu des planches de BD. Il m’a donné ma chance alors que je n’aspirais pas du tout à faire ce métier. Je faisais plutôt des petits jobs alimentaires pour pouvoir me payer un billet d’avion et partir à l’aventure. Pendant dix ans, je me suis occupé d’animaux sauvages dans des zoos et le soir j’écrivais des BD. J’ai fait beaucoup de « collectif » chez Petit à Petit : les Beatles, Bob Marley... J’ai fait un western, Catamount, puis une adaptation avec Salvo d’un roman de Michel Bussi. J’ai fait quelques contes et livres pour enfants. Et en 2012, Un léger bruit dans le moteur, avec Jonathan Munoz. On a eu le prix SCNF du polar. Pour RIP, le projet trainait depuis un moment. J’ai contacté plein de dessinateurs et aucun n’avait les épaules assez costauds pour se lancer 7 ans dans cette aventure. Puis on m’a présenté Julien !

Gaët’s, comment t’es venu l’idée d’écrire l’histoire d’un groupe de videurs de maison dont les occupants sont morts seuls, sans famille ?

G : Je faisais les vendanges il y a 15 ans. Et, il y avait un mec qui faisait un métier un peu similaire. Le soir, on se retrouvait à table, entre vendangeurs, tous de milieux différents. Ce gars-là, qui était Belge, s’appelait Cédric. Il nous a raconté qu’il travaillait pour une boite de maisons aux enchères (un peu plus cadrée que celle de nos dégénérés dans RIP…) et il fréquentait des milieux peu ragoutants. Ça a écœuré tout le monde à table. Moi, je suis resté, fasciné. J’ai commencé à imaginer un tel univers. Je me suis dit : « on a rarement vu ça dans le cinéma, dans la BD ». Une idée en amenant une autre, c’est devenu une série autour de la mort et de la solitude avec des personnages… atypiques.

Julien, comment as-tu fait le chara design de cette galerie haute en couleur ? Tu t’es inspiré de proches ?  

J.M : On s’était mis d’accord avec Gaëtan. A la fin de la version originale du premier tome, on a montré quelques-unes des photos qui nous ont servi pour déterminer les physiques des personnages. Il y a quelques photos d’acteurs aussi. Mais ça s’est surtout fait spontanément. C’est pour ça que les personnages évoluent un petit peu au fil des tomes, à force de les dessiner. Je n’ai pas mis de gens que je connaissais. Gaëtan, lui, a l’habitude de glisser des copains dans ses BDs.

RIP T.5 - Fanette : mal dans la peau des autres

RIP T.5 - Fanette : mal dans la peau des autres
© Petit à Petit, 2022

G : Dans les noms de famille par exemple ou même le personnage de Dédé, qui était un ami qui nous a quitté récemment. Il était vraiment exactement comme il est dans la BD : le même caractère, la même façon de parler, le même mode de déplacement. Sinon, ce ne sont pas vraiment des connaissances, ce sont plus des clins d’œil, des hommages. Julien en fait aussi mais plus subtils : avec des t-shirts, des tags, dans des foules. Mais on ne fréquente pas ce genre de loustics au quotidien !

Le fil rouge de la série est d’abord la bague disparue, puis s’entremêlent des histoires de mafieux, de vengeance, de couverture policière. Est-ce que tu avais déjà tout ça en tête au début Gaëtan ?

G : Pour le premier tome, il n’y avait pas tout ça. Il y avait la bague : l’élément déclencheur de cette descente aux enfers pour Derrick. Mais j’avais envie de parler des autres personnages, qui étaient tous un peu transparents, gravitant autour de Derrick, lui-même un peu effacé. Pour Maurice, je me suis dit : ce vieux-là, qui ne dit rien, doit cacher un lourd passé. Mais je n’avais pas encore l’idée qu’il soit un ancien prisonnier surveillé. Il y avait encore des choses en suspens. J’hésitais à rallonger un peu le tome 1, mais un one shot de 200 pages ça fait beaucoup. Une fois l’écriture finie, Julien a commencé à m’apporter ses premiers dessins. Alors j’y pensais tout le temps : est-ce que je fais un autre tome ? Je n’avais jamais fait de série mais ça s’est fait naturellement. L’ossature générale est venue avec l’écriture du tome 2. C’est pour ça que dès la fin du tome 1 on annonce qu’il y aura 6 tomes.

Julien, tes couleurs participent énormément de l’ambiance de RIP : as-tu un camaïeu de couleurs spécifique ?

J.M : C’est la première fois que je fais une série aussi longue. C’est un exercice un peu particulier de faire durer ses dessins sur le long terme. Alors pour me désennuyer des couleurs ternes et « ocre » du premier tome, je profite de plus en plus des flashbacks pour introduire des nouvelles couleurs, des reflets de néons, des couleurs directes tranchées. Dans RIP, les lecteurs ne font peut-être pas toujours attention, mais il y a un code couleurs assez précis : en fonction des lieux, du moment, de l’époque. Dès lors qu’on aborde les souvenirs d’un nouveau personnage, on explore une nouvelle gamme de couleurs. En règle générale, c’est quelque chose que j’aime bien les couleurs. Je trouve que c’est souvent sous-estimé comme part de la BD, mais c’est un super vecteur d’imaginaire. Je prends plaisir à faire la couleur sur RIP.  

G : Ça se voit. Tu sublimes ça d’album en album : le rose devient de plus en plus rose ! (Rires).

RIP T.5 - Fanette : mal dans la peau des autres

RIP T.5 - Fanette : mal dans la peau des autres
© Petit à Petit, 2022

Julien, j’imagine que tu as dû faire des recherches documentaires pour dessiner les petites bébêtes purulentes sur les corps. Mais pour les autres trucs un peu gore, tu t’es renseigné ou tu as fait appel à ton imagination ?

J.M : C’est un subtil mélange des deux. Il a fallu que je me renseigne, moi qui ne connais rien à la médecine légale. L’avantage du style de RIP, c’est qu’on n’est pas totalement dans un style réaliste. Le semi-réalisme me permet de ne pas coller exactement à la réalité. Je peux faire un peu comme je l’imagine. Mais Gaëtan s’évertue à m’envoyer des liens dégueulasses à regarder ! D’ailleurs, j’en profite : arrête de m’envoyer des trucs, je n’en ai jamais regardé un seul et je n’en regarderai jamais ! Ce sont des liens, par exemple, sur des fermes de cadavres. J’aurais pu les regarder mais j’ai préféré imaginer. Et au final je crois que ça ressemble ! Donc je cherche de la documentation mais pas plus que ça, parce que je n’ai pas de fascination particulière pour la décomposition…

Et toi Gaëtan, une fascination pour la mort ?

G : Je suis très fan de faits-divers, de revues de médecine légale. J’ai plusieurs livres d’anatomie de la mouche. J’ai des traités de médecine et des thèses. Je regarde plein de documentaires et je me dis « oh ça, il faut absolument que je l’envoie à Julien ! »

J.M : Je le mets à la corbeille direct !

G : Je me dis : « s’il me retranscrit le truc, on est en plein dedans. Il va être tellement plongé dans l’univers que je n’aurai pas besoin de lui faire de descriptions ». Et en fait, je découvre que non ! Qu’il s’en fout complètement ! (Rires) Blague à part, ça me fascine. Parce que je voulais être médecin légiste quand j’étais jeune. Et même au zoo, avec les animaux, on faisait plein d’autopsies. C’est un petit animal assez intéressant la mouche quand on commence à mettre le nez dedans. Et la crim’, c’est un univers qu’on connait peu et qui a son importance. Mais je vais arrêter d’envoyer des trucs à Julien. (Rires)

J.M : Tu me feras des résumés !

Tu parles beaucoup des mouches, mais aussi d’un point de vue métaphorique. Il y a tout un champ lexical autour des « cafards », « parasites » et « charognes » dans la série. Tu t’en sers pour faire un portrait de la société très pessimiste.

G : C’est pour montrer la bêtise humaine. Le lexique de l’insecte est péjoratif et tourne beaucoup autour des « vermines, microbes et cloportes ». Ce sont des termes hyper durs pour qualifier un être humain. Comme « parasite » par exemple. C’est un lexique qui a une double connotation et qui est assez intéressant à utiliser. Et phonétiquement je trouve que c’est rock & roll. Charogne ! Cadavre ! Pourriture ! C’est un peu comme ça qu’on se nomme en dédicace avec Julien. (Rires)

J.M : Je n’ai pas l’impression que RIP soit si désenchanté que ça. Enfin un peu. Disons que la barre est basse mais on finit toujours par trouver de petites touches d’humanité chez certains personnages. Bon, parfois faut gratter beaucoup, mais j’aime bien cet aspect pas seulement blanc et noir. On finit par s’attacher à des personnages qui sont franchement des salopards. Et à l’inverse ceux qu’on s’imaginait spontanément en héros ne le sont pas tant que ça. Je trouve cet équilibre assez juste.

RIP T.1 - Derrick : je ne survivrai pas à la mort

RIP T.1 - Derrick : je ne survivrai pas à la mort
© Petit à Petit, 2022

G : C’est pour ça qu’on recule dans l’enfance de chacun des personnages. On a toujours une petite page où deux qui dit « moi quand j’étais petit… ». Je tenais à ce qu’on aille dans l’avant RIP. Qu’est ce qui a poussé ces personnages à se retrouver dans cette situation ? Dans cette entreprise, mêlés à tout ça ? Alors qu’ils ont tous marché à quatre pattes, qu’ils ont tous eu des rêves. Avec Julien, on adore le cinéma, des séries comme Oz, The Wire, Les Sopranos. Ce ne sont pas des enfants de chœur et pourtant ils ont une petite part d’humanité, d’émotion. On arrive à s’attacher à eux. On a tous notre petit préféré alors que ce sont des pourritures. On a tous nos petites parts d’angoissé, ou comme Ahmed le désir de faire ses preuves, comme Albert l’envie d’être aimé, comme Derrick celle de sortir d’un quotidien aliénant, comme Maurice de protéger ses proches, comme Fanette de se racheter…

Quel est votre personnage préféré ?

J.M : Maurice. Peut-être parce que j’aime bien le dessiner. Il est très satisfaisant à dessiner par rapport aux autres : c’est un rectangle. Et il colle au cliché du repenti. Il est touchant comme père. Après je trouvais le rapport Dolorès/Derrick intéressant.

G : Ce sont tous mes bébés. Ils ont tous une petite part dans laquelle je me retrouve. Et puis selon la période durant laquelle je vais écrire je m’attache plus à l’un ou à l’autre. Les personnages secondaires souvent je les aime bien. J’adore le parler de Dédé. J’aime beaucoup la candeur d’Albert. Pour le personnage de Fanette, c’est sa sensualité qui sort des sentiers battus. Ahmed c’est le côté scientifique. Et Maurice c’est notre chouchou parce que l’histoire est très cinématographique, très rythmée. Et surtout il y a une grosse part d’émotions parce qu’il y a une rédemption qu’on ne trouve pas chez les autres.


[NDLR : interview réalisée à la sortie du tome 5…]
Que pouvez-vous nous dire du tome 6 qui sera dédié à Eugène ?

G : L’idéal ce serait de faire un final grandiose. On essaye à chaque tome de surprendre le lecteur, de l’emmener là où il ne s’attend pas. Pour Fanette, en dehors du bar, on ne voit pas trop ce qu’elle a pu faire. Ahmed, on ne savait pas quelle était sa mission. On n’imaginait pas du tout Albert aussi machiavélique et timbré… Alors Eugène, on va essayer de bluffer les lecteurs. Jusqu’à présent on a tout fait pour qu’il soit le personnage détestable et détesté de tous.

Gaet's, Julien Monier : RIP : quand sonne le glas d'une série mortelle !

© Petit à Petit, 2022

J.M : C’est un peu compliqué d’en faire un héros total. Il a fait des choses trop graves pour être pardonné. Après, tout n’est pas marqué dans le marbre. Gaëtan n’a pas commencé à écrire chaque chapitre de l’album, donc ça peut encore bouger ! Ce serait bien qu’Eugène ait un arc de rédemption… Mais on ne sait pas dans quelle mesure on pourra réussir à le rendre sympathique.

G : ça va être un album qui va se rapprocher un peu plus de celui de Maurice.

La fin approche…

G : À la fois, il y a une certaine mélancolie mais aussi une pression incroyable parce qu’il ne faut pas qu’on se rate.

J.M : On a la tête dans le guidon. C’est une série où à chaque tome, pour tenir les délais, on s’impose un rythme rapide. Faut savoir que RIP, pour l’un comme pour l’autre, c’est fait dans l’urgence. Une urgence qu’on s’impose. Donc on va faire le tome 6 et on réalisera que la série est finie qu’après. Mais comme on va vite enchaîner sur d’autres projets, on n’aura pas le temps d’être triste trop longtemps.

G : On a déjà plein d’autres idées, des projets ensemble et séparément. Julien a une série jeunesse chez Dupuis, j’ai un one shot chez Dupuis et une série jeunesse chez le Lombard. On a aussi quelques collectifs sur lesquels on travaille ensemble, notamment un, pour l’année prochaine, sur les parcs animaliers chez Petit à Petit. Et chez Petit à Petit, il y aura un après RIP. On se lance dans l’adaptation d’un roman complètement loufoque entre Don Quichotte et Las Vegas Parano. Ça promet encore des scènes et des lieux rocambolesques. On ne sera plus dans la noirceur de RIP. Ce sera plus humoristique.

J.M : Ce sera sur la poésie du rien, sur l’éloge du bordel.

G : En tout cas, nous ça nous plait déjà ! Ce sera un one shot. Puis après, je pense qu’on reviendra au polar avec une petite série en trois, quatre tomes minimum qui aura lieu dans le grand Nord canadien... A suivre !

[NDLR : Mise à jour août 2023] Et en 2023, force est de constater que la promesse a été tenue ! Retrouvez notre chronique du 6e tome, Eugène, toutes les bonnes choses ont une fin.

[NDLR : mise à jour novembre 2023]  RIP et ses auteurs sont partout depuis la rentrée 2023. Découvrez la superbe exposition qui leur a été consacrée au festival Quai des Bulles à Saint-Malo, fin octobre !

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants