Sylvain Runberg signe avec le dessinateur Alexis Tallone une adaptation événement de Capitaine Flam, première nouveauté autour du héros culte depuis plus de 40 ans. Entre fidélité à l’animé de la Toei, modernisation des personnages et exploration de thématiques toujours actuelles, l’auteur nous dévoile sa vision d’un reboot ancré dans la pop culture et l’héritage de la science-fiction.
Quand vous étiez enfant, étiez-vous plutôt Goldorak, Albator au Capitaine Flam ?
Sylvain Runberg : J’'étais les trois, parce qu'à l'époque, quand ces dessins animés japonais sont arrivés, ça a été vraiment un changement de paradigme par rapport aux programmes qu'on pouvait voir en tant qu'enfant. C'était aussi l'arrivée de la science-fiction, que j'ai découverte notamment à travers ces trois animés japonais.
Star Wars, je l'ai vu après : j’habitais à l’époque dans un village du Vaucluse, donc ce n'était pas évident d'avoir accès au cinéma. Le fait que ça soit diffusé à la télévision permettait à tout le monde de voir ces dessins animés. Et c'est ce dont on parlait dans les cours de récréation. On y jouait, aussi. Donc ça a vraiment été quelque chose qui a marqué les esprits, aussi bien garçons que filles. Mais mon dessin animé préféré parmi les trois, c'était Capitaine Flam !
Pour quelle raison ?
S.R : Ce qui m'a fasciné à l'époque, c’était le côté spaceopera, même si je ne connaissais pas le terme. A savoir la découverte de toutes ces planètes, ces civilisations extraterrestres… Et avoir une équipe emblématique, qui ressemble d'ailleurs beaucoup aux équipes de super-héros Marvel ou DC, quand on voit l'équipage du Capitaine Flam. Ce sont un peu des précurseurs. Et c'est ce qui m'a vraiment fasciné. Ce qui m'avait aussi beaucoup marqué, c'est la première scène du premier épisode avec cet agent transformé en créature préhistorique, qui est abattu. C'était assez violent comme dessin animé, avec des thématiques très adultes et avant-gardistes, ce qui fait que ça restait très actuel dans le cadre d'une adaptation.

Extrait de la BD " Capitaine Flam : L'Empereur Éternel " (Kana, 2024) par Sylvain Runberg et Alexis Tallone, reboot en bande dessinée du héros culte de la science-fiction japonaise. © Kana - Runberg et Tallone
L'adaptation
Pourquoi est-ce que vous avez adapté ce premier épisode et non pas écrit un scénario original, comme a pu le faire Xavier Dorizon pour Goldorak ?
S.R : Parce que la situation avec Capitaine Flam était complètement différente par rapport à Goldorak, et à Albator aussi d'ailleurs. D'abord, notre adaptation est la première nouveauté de Capitaine Flam depuis plus de 40 ans. Même si tout le monde se souvient du personnage et du générique, quand on a commencé à poser des questions autour de nous, personne ne se souvenait des histoires ! Donc, faire la suite d'un récit dont personne ne se souvient n’avait aucun sens.
Ce qui est très différent avec Albator, pour lequel il y a eu plein de de projets qui ont existé en mangas et en dessin animé après la diffusion de la première série télé à la télévision française. Et Goldorak c'est différent parce que c'est toujours basé sur le même type de récit, avec des épisodes complets à savoir que Goldorak va affronter un nouveau Golgoth. Il y a aussi des récits qui tissent la trame de Goldorak et qui sont bien plus complexes sur la longueur, mais en gros tout le monde se souvenait de qui était Goldorak, que c'est un robot dirigé par Actarus et qui combat une invasion extraterrestre.
Donc faire une suite à Goldorak n’était pas compliqué alors que les récits de Capitaine Flam sont beaucoup plus complexes dans la structure narrative, parce que ce sont à chaque fois des histoires complètes en quatre épisodes. Et encore une fois, moi, quand je demandais « Alors, Capitaine Flam, qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que vous vous souvenez par exemple de la première histoire, L’Empereur de l’Espace ? », les gens se souvenaient éventuellement du personnage et de son aspect, l'Empereur, mais personne n'était capable de nous dire de quoi ça parlait. Donc, faire une suite dans ce cadre-là, ça n'avait absolument aucun sens.
Il fallait faire un reboot pour réimplanter le personnage, pouvoir aussi développer ses origines. Parce que dans le dessin animé, on sait que ses parents meurent, mais on ne sait pas comment, pourquoi, alors qu'ici, on a pu vraiment le placer dans notre adaptation et ensuite tout reprendre à partir de là. Et ce qui était intéressant, notamment avec cette première saison de Capitaine Flam, c'est que les thématiques qui étaient développées restaient complètement d'actualité. C'est sur l'intelligence artificielle à travers Krag et Mala, les deux compagnons de Capitaine Flam, c'est sur l'exploration spatiale, sur la colonisation en général, sur les mutations génétiques, sur le rapport entre la science et la politique…
Donc ça valait vraiment le coup de faire un reboot, contrairement à ce qui était fait par exemple sur Goldorak, qui avait tout son sens avec Goldorak. A l'arrivée, ça donne aussi des projets très différents, ce qui fait aussi tout l'intérêt de la collection Kana Classics.
J’ai donc choisi la première histoire, L’Empereur de l’espace, parce qu’à la fois, c'était le début de la série télévisée, et en même temps, l'histoire s'y prêtait complètement.

Planche de " Capitaine Flam : L'Empereur Éternel " (Kana, 2024), adaptation moderne par Sylvain Runberg et Alexis Tallone de l’animé culte de la Toei.© Kana - Runberg et Tallone
D'edmond Hamilton à Sylvain Runberg et Alexis Talone
Avez-vous lu le roman d’Edmond Hamilton, pour faire le scénario ?
S.R : Oui, mais la bande dessinée est vraiment basée sur l'animé de la Toei. Ensuite, on connaît les romans d'Hamilton. Les romans d'Hamilton sont destinés à un public adulte. C'est beaucoup plus sombre encore que le dessin animé. Donc ça a été une inspiration en soi. Mais c'est vraiment l’adaptation du dessin animé.
Les personnages étaient très caractérisés dans le dessin animé. Est-ce que vous avez fait un travail supplémentaire sur leur caractérisation ou est-ce que vous vous êtes surtout laissé porter par ce qui avait déjà été fait par les adaptateur et l'auteur ?
S.R : L’intérêt de faire une adaptation, c'est quand même d’y mettre notre patte et de donner un maximum d'éléments originaux. Et il y a quelque chose qu'il fallait absolument changer dans la caractérisation des personnages, c'est celui du personnage féminin principal qui est Johann, qui est une agente spéciale envoyée par le gouvernement sidéral, et qui, dans la version de l'animé, a une place de faire-valoir qui n'est là que pour être sauvée par le Capitaine Flam. Ce qui n'était évidemment pas possible de faire aujourd'hui, et pas souhaitable.
Un des préalables pour faire cette adaptation, et pour moi ce n'était pas négociable, c'est de pouvoir faire de Johann un personnage contemporain, à savoir une agente galactique qui est tout à fait compétente, qui se débrouille toute seule parce que ça fait partie de son métier et de son curriculum vitae. Elle voit l'arrivée de Capitaine Flam, avec qui elle doit s'associer pour accomplir cette mission, comme quelque chose qui peut être problématique. Parce que lui, à ses yeux, il est quelqu'un qui vit en dehors des règles qu'elle doit suivre. Donc il peut potentiellement devenir dangereux. Ça change vraiment par rapport à l'animé d'origine : on a maintenant avec Johann un vrai personnage, ancré, avec un caractère solide, des compétences, et qui fait face à Capitaine Flam. Leur relation, dans notre adaptation, est au départ assez conflictuelle.
Et sur les autres, Capitaine Flam, Curtis Newton, dans le dessin animé d'origine, c'est quand même le héros classique des années 70, sans peur et sans reproche. Et c'est vrai que là, dans notre version, ça reste un héros positif. C'est quelqu'un qui se bat toujours pour la justice, la démocratie, qui croit en la science, qui refuse de donner la mort. Mais c'est quand même quelqu'un qui a des zones grises, ce qui n’apparait pas dans l'animé. C'est-à-dire que c'est quelqu'un qui, au départ, est marqué par un trauma : c’est l'assassinat de ses parents qui fait qu'il va devenir Capitaine Flam. C'est quelque chose qu'il doit encore porter sur ses épaules. Donc, c'est un personnage qui a des fêlures, et on les montre dans cette adaptation. Ce qui n'est pas le cas dans l'animé.
Les romans d’Edmond Hamilton étaient marqués par une vision très positive de la science, typique des auteurs de SF des années 40-50. Est-ce que vous croyez aux vertus de la science ?
S.R : La science, ce sont des connaissances qui sont nécessaires pour comprendre le monde dans lequel on vit. Donc la science est indispensable, mais on ne peut pas uniquement se baser sur la science. Ce qui est important, c'est dans quel système de valeurs ces découvertes scientifiques sont utilisées. Les nazis se basaient beaucoup sur la science, et on a vu ce que cela a donné, par exemple.
C'est d'ailleurs un propos d'Hamilton, cette utilisation de la science à bon escient, versus à mauvais escient par les méchants de ces histoires.
S.R : Voilà, tout à fait.
Comment avez travaillé avec Alexis Tallone ?
S.R : J'ai travaillé comme d'habitude. J'aime bien travailler en ping-pong, c'est-à-dire que j'écris le scénario de mon côté, mais c'est toujours en relation avec le dessinateur ou la dessinatrice. Donc j'envoyais régulièrement mes avancées à Alexis Tallone, on en discutait. Et une fois que le scénario a été finalisé, il a fait le storyboard, on en a discuté aussi, puis il a fait les planches encrées, puis ensuite l'étape de la colorisation. Donc c'était un travail qui, durant tout son cours, s'est fait en communication permanente.

Extrait de " Capitaine Flam : L'Empereur Éternel " (Kana, 2024), revisitant les aventures de Curtis Newton et de son équipe dans un space opera revisité. © Kana- Runberg et Tallone
Cabaret Vert, Capitaine Flam et Pop Culture
Quel est votre regard sur le Cabaret Vert ?
S.R : C'est un super festival ! C’est la troisième fois que je viens ! Moi qui adore la musique, justement, un festival qui mélange musique et bande dessinée, c'est parfait. Le cadre est fantastique, l'équipe est hyper dynamique et hyper sympa. C'est un des meilleurs festivals qui soit, le Cabaret Vert ! Il y a plein d'artistes qui jouent en concert et que j'apprécie, en général. Ça permet d'en découvrir de nouveaux. A chaque fois, c'est vraiment une super expérience.
Qu'avez-vous envie que le visiteur retienne de l'expo du Cabaret Vert, du moins sur la partie qui concerne Capitaine Flam ?
S.R : Que ceux qui ont connu Capitaine Flam dans leur enfance puissent s’y replonger avec notre nouvelle approche. Et surtout, que ceux qui ne connaissent pas Capitaine Flam, à savoir à peu près tous les moins de 40 ans, puissent le découvrir !
Outre l’expo du Cabaret Vert sur Capitaine Flam et Goldorak, se tient aussi cet été à Charleville-Mézières l’exposition « POP POP BIC » consacrée la pop culture, au travers des dessins de Teddy Bellino. La pop culture est-elle importante pour vous ? Comment la définissez-vous ? A priori, Capitaine Flam en fait partie…
S.R : Capitaine Flam est quand même une des icônes de la pop culture, on a grandi avec, donc pour moi c'était vraiment un honneur de pouvoir redonner ma vision du personnage en compagnie d'Alexis !
Et en dehors de Capitaine Flam ou des autres personnages de SF en anime dont on a parlé, sur la pop culture, vous avez d'autres références qui sont clés pour vous en musique, ciné, télé ?
S.R : Oui, oui, j'en ai plein. J'ai commencé à m'intéresser à la musique au milieu des années 80, quand j'avais 13-14 ans. Donc avec toute la scène hardcore, punk, notamment américaine, que j'ai découverte à travers la culture du skateboard, avec des groupes comme Dead Kennedy's, qui était aussi très politique d'ailleurs, très anti-Reagan. Cela m'a beaucoup influencé. Le hip-hop aussi, à la même époque, avec des groupes comme Beastie Boys, Run DMC, Public Enemy, que j'écoutais beaucoup. Le rock indépendant britannique également : comme The Jesus and Mary Chain, un de mes groupes préférés. Donc j'ai été très influencé par la musique. J'écoute de tout, mais pas n'importe quoi ! Aussi bien du jazz, du funk, la musique électronique… J'ai vécu en Angleterre au milieu des années 90, donc ça m'a aussi beaucoup influencé.
En science-fiction, je pourrais faire une longue liste de ce qui a pu m'inspirer, mais la trilogie de La Culture de l'écrivain écossais Iain M Banks, par exemple, m’a beaucoup marquée.
Pour conclure, allez-vous faire un autre Capitaine Flam ?
S.R : On aimerait bien. Après, on verra, je n'ai pas de réponse à apporter pour l'instant. En tout cas, nous d'un point de vue créatif, on serait partant.

Affiche officielle de l'exposition Capitaine Flam Affiche au festival Cabaret Vert 2025, célébrant le retour du héros culte en bande dessinée. © Cabaret Vert
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