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Dans l’atelier de Claire Bouilhac : immersion dans l’univers créatif de la dessinatrice de BD

Depuis quinze ans, la dessinatrice Claire Bouilhac crée ses bandes dessinées dans un atelier conçu sur mesure. Entourée de ses chats, de ses objets choisis avec soin, et de ses outils fétiches, elle y cultive une routine à la fois souple et rigoureuse. Dans cet espace intime, elle partage ses réflexions sur l’équilibre entre solitude créative, liberté d’organisation et besoin de lien avec le monde extérieur.

Est-ce que vous avez toujours travaillé de chez vous ? Et toujours seule dans un atelier ?

Claire Bouilhac : Depuis que je suis complètement artiste-auteur, que je ne fais plus que de la bande dessinée, j’ai beaucoup travaillé chez moi, dans mon salon. Ensuite, j’ai partagé un atelier avec Jake Raynal, qui est mon scénariste sur Francis le blaireau farceur. Mais un jour, le plafond nous est tombé sur la tête – littéralement – et ça a marqué la fin de cet atelier. À ce moment-là, j’ai eu l’occasion d’agrandir un peu l’appartement, ce qui m’a permis d’avoir une pièce dédiée à mon travail. Depuis, je suis seule dans cet atelier, et ça me convient parfaitement.

Claire Bouihlac à son bureau dans son atelier

Claire Bouilhac à son bureau dans son atelier © ZOO Le Mag

Depuis combien de temps travaillez-vous dans cet atelier ?

C.B : Environ quinze ans.

Donc vous aimez travailler seule ?

C.B : Oui, ça me va bien. Je ne me sens pas isolée : il y a les chats, les enfants qui passent, du mouvement dans la maison… Et j’aime pouvoir écouter ce que je veux, faire ce que je veux, m’organiser comme je veux, sans devoir me déplacer. Ne pas avoir de trajet, c’est aussi très agréable.

Travailler avec vos chats, c’est une aide ou un obstacle ?

C.B : Ça dépend de leur humeur. S’ils veulent s’installer sur mes genoux ou sur mon papier, ce n’est pas vraiment pratique. Mais sinon, leur présence est chouette.

Vous travaillez en musique, en silence, ou avec autre chose en fond ?

C.B : Ça varie. Il y a des périodes où j’écoute uniquement de la musique, d’autres où ce sont des podcasts, ou même des séries en fond sonore. Tout dépend de l’étape du travail. Quand je fais du scénario, je ne peux rien écouter. Mais quand j’encre, je peux me permettre beaucoup plus de distractions, selon mes envies du moment.

Comment avez-vous organisé votre espace de travail ?

C.B : L’organisation est restée très stable. Les meubles ont été conçus pour s’adapter à mes besoins, notamment les étagères, faites sur mesure. Du coup, tout est à sa place et peu mobile. Par exemple, si mon imprimante meurt, je suis un peu coincée car elle a son propre emplacement précis. Je ne change pas grand-chose, je ne suis pas très changeante. Une fois que ça me plaît, ça me plaît.

La disposition par rapport à la lumière a-t-elle été réfléchie ?

C.B : Oui, j’y ai beaucoup pensé. Comme je suis droitière, j’ai placé la lumière à gauche. Je n’utilise pas uniquement la lumière naturelle, j’ai besoin d’une source artificielle complémentaire. J’ai pensé mon espace pour pouvoir tout faire en restant assise : scanner, imprimer, attraper mes livres… C’est très pratique, même si ce n’est pas idéal pour mon dos ou mes cervicales !


Vous travaillez sur papier ou sur tablette ?

C.B : Depuis peu, je fais les storyboards et crayonnés sur tablette. Ça fait gagner du temps, pas de scan ni d’impression à faire. Je n’utilise que 0,8 % de la tablette, comme Photoshop, mais ça me suffit. J’encre encore sur papier, j’aime avoir un original physique. Cela dit, pour des BD longues, je pense sérieusement à tout faire sur tablette à l’avenir.

Que trouve-t-on dans vos bibliothèques ?

C.B : Des livres sur la couleur, des dictionnaires j’adore les dictionnaires comme le Grevisse ou un petit dictionnaire des codes typographiques que j’utilise souvent. J’ai aussi des bandes dessinées auxquelles je me réfère de temps en temps, les livres de Catel aussi, car je regarde parfois comment elle a résolu certains problèmes graphiques. J’ai aussi du Carlos Nine, surtout pour la couleur. Et puis, bien sûr, mes propres livres, que je consulte pour garder une cohérence visuelle entre eux par exemple sur la taille des cul-de-lampes.

Bibliothèque de Claire Bouilhac, dans son atelier

Bibliothèque de Claire Bouilhac : ouvrages de référence, bandes dessinées, dictionnaires et inspirations graphiques © ZOO Le Mag

Les cul-de-lampes, c’est quoi ?

C.B : Normalement, ce sont les petits dessins qui terminent un chapitre. Chez Dargaud, on les appelle cul-de-lampes, même quand ils ouvrent un chapitre. On peut les retrouver dans La Princesse de Clèves, Indiana et bientôt dans Gigi.

Comment se déroule une journée type dans votre atelier ?

C.B : Difficile à définir, car à Paris j’ai souvent des rendez-vous qui me sortent de l’atelier. En général, je commence par les tâches administratives le matin. Puis, en fin de matinée, je peux commencer à bosser sur le dessin. L’après-midi est plus consacré au travail créatif. Cela dit, il arrive que je sois très productive à 17 ou 18h. Depuis que je n’ai plus d’enfants en bas âge, je suis plus libre.

Vous avez des horaires de travail définis ?

C.B : Pas vraiment. Je n’arrive pas à séparer clairement temps de travail et vie perso. J’essaie de ne pas travailler trop tard, car je préfère la lumière du jour, et aussi parce que je dors beaucoup. J’ai aussi une vie sociale très active, donc je ne suis jamais là le soir. Mais je garde un certain rythme : je ne commence pas à travailler sans avoir pris ma douche, par exemple. En général, je commence vers 9h ou 9h30, et j’évite de dépasser 21h sauf en cas de charrette.

Vous avez besoin de sortir de votre atelier pour vous inspirer ?

C.B : Oui, je sors presque tous les jours, même un court moment. C’est rare que je reste enfermée toute une journée.

Vous utilisez des carnets croquis dans votre travail ?

C.B : J’ai un carnet de croquis que j’emmène quand je vais à des concerts, par exemple. Mais ce n’est pas un outil central dans mon travail. Pour les décors ou personnages, j’utilise souvent des photos. Mais je fonctionne plus avec des images mentales. Pour Francis, je ne fais pas de crayonné, je dessine directement. J’ai en tête tout un répertoire d’images génériques – d’objets, de lieux – que je réutilise. Je prends aussi des notes visuelles tout le temps, même sans carnet. Quand je parle avec quelqu’un, je le dessine inconsciemment : une boucle d’oreille, une main, un nez… C’est comme un carnet mental.

Quel est le processus de création, de l’idée au dessin final ?

C.B : Ça dépend du projet. Pour Francis, Jake m’envoie le scénario. Parfois, il me lance des défis assez fous, genre « la chute de l’Empire occidental », donc je cherche des images, tape des mots-clés… Pour mes scénarios à moi, j’ai une méthode un peu étrange : je me mets au lit, dans un état entre veille et sommeil, et je laisse les idées venir. C’est comme ça que je trouvais mes gags pour le magazine belge où je publiais toutes les semaines.

Et quand vous travaillez avec Catel, c’est différent ?

C.B : Oui, ce sont des adaptations, donc on a déjà l’histoire. On travaille à deux sur le découpage, puis on fait le storyboard ensemble, côte à côte. On retravaille aussi les textes ensemble. C’est très collaboratif.

Est-ce qu’il y a des objets particulièrement importants dans ton atelier ?

C.B : Tous, vraiment tous. Cette pièce, c’est la seule qui soit entièrement à moi dans la maison, elle est entièrement dédiée à mon travail. J’y ai mis tout ce que je voulais. Chaque objet a sa place et son importance. Il n’y en a pas un que je caresse le matin pour me mettre au travail, mais j’ai été chercher chaque meuble, chaque élément. Il y a mes petits Francis en métal, le chien policier de mon grand-père, et tous les trucs accrochés aux murs, qui changent parfois. Et puis bien sûr, il y a tous mes personnages. Je les garde à portée de main pour me souvenir de petits détails.

Claire Bouilhac : Visite atelier Claire Bouilhac
Mur de l'atelier de Claire Bouilhac : souvenirs, croquis et objets fétiches de la dessinatrice © ZOO Le mag
Vous avez aussi réalisé des objets pour une exposition, non ?

C.B : Oui, à l’étage, il y avait eu un mobile, un Francis en peluche et deux coussins peints sur soie. J’avais aussi brodé un peignoir pour mon scénariste Jake à une époque… J’ai fait plein de petites choses autour de Francis, ça me plaît beaucoup.

Donc c’est à la fois un lieu de travail et un espace personnel très investi ?

C.B : Oui, complètement. J’ai aussi des objets très pratiques : mon nouveau siège — conseillé par mon kiné —, mon imprimante que j’aime beaucoup, mon petit scanner qui est super.


Vous ne rangez jamais votre espace de travail ?

C.B : Jamais. L’ordinateur, lui, me suit partout, c’est l’avantage d’avoir un portable. Mais le reste, mes trousses, mes outils, ça reste en place. Quand je pars en festival ou que je vais bosser un peu à la campagne l’été, je prends ce qu’il faut. J’ai un autre scanner, une autre imprimante (la même marque), et je recrée un mini-atelier. Ce n’est jamais totalement pareil, mais ça tourne avec peu de choses : mon ordi, ma tablette graphique, mon iPad, mon imprimante, mon scanner. Du coup, je peux travailler presque partout.

Vous n'avez pas besoin d’être toujours dans votre atelier parisien pour créer ?

C.B : Pas forcément, mais je ne pourrais pas être globe-trotteuse non plus. J’ai besoin de temps, d’un certain rythme. Je ne peux pas changer d’endroit toutes les 48 heures. Il me faut un minimum de stabilité pour pouvoir m’installer et avancer correctement.

Vous arrivez quand même à vous adapter à d’autres lieux ?

C.B : Oui, par exemple, je vais parfois travailler chez des amis, comme chez Isa à Marseille. Elle a déjà la moitié du matériel qu’il me faut, donc c’est parfait. Je me branche chez elle, je peux y rester une semaine et je bosse très bien.

Et dans tout ce matériel, quels sont les outils vraiment essentiels pour vous ?

C.B : Mon ordinateur, ma tablette, mes trousses pleines de crayons. J’ai un vieux pinceau tout pourri, sans poils, qui me sert à appuyer la feuille pendant que j’encre, sinon ça bouge, c’est hyper important. Et puis ma super règle avec plein de petits carreaux, parfaite pour faire des parallèles ou des perpendiculaires. Un grand merci à Ronan Lancelot qui me l’a offerte ! Voilà, il y a plein d’objets, mais certains sont vraiment incontournables.

Claire Bouilhac : L'atelier de Claire Bouilhac

Dédicace originale de ClaireBouilhac pour ZOO © ZOO Le mag

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